Par M'barek HOUSNI Mais alors c'est de moi que monte et que s'élance Un univers plus beau, plus plein de passion, Je suis le sol, la flamme et l'orchestration, Je foule l'infini, j'embrase le silence, Anna de Noailles Les chemins du noir Il y a ce noir, cette encre, qui défile en trait lié/délié, en dessin fini/ouvert, en un ensemble réunissant cela en une harmonie qui frôle l'infinité dans un achevé artistique heureux. On en reste dans le silence de l'admiration raisonnée qui donne au plaisir du regard une satisfaction réconfortante. Ouafa Elhadri part du geste qui crée le trait pour raconter l'univers dont regorge son âme sensible, sa mémoire chargée des influences des affects sentis. Elle s'exprime par ce qu'il suggère, en annonçant du dit franc, du non dit imposé de lui-même, car existant déjà avant l'acte de peindre. Dans ses créations, les formesetleslignes serpentent, s'allongent, s'incurvent, se dilatent, se courbent et se tournent et se retournent, sans l'intention de finir quelque part, que dans la toile. Celle-ci prend la forme d'un texte, les aspects d'un parchemin (vue de loin), d'un talisman, mais en fait c'est un tableau et un vrai où se rejoignent formes et couleurs (quand elles y sont), figuration franche et abstraction déclarée. Le noir crée donc une domination quasi totale, mais ne s'étale pas pour lui-même. Il devient une multitude avec toutes les formes qui lui donnent sens. Des corps rondouillards avec des boursouflures qui sont un œil individualisé ou des visages de femmes à la chevelure exquise. Cela pousse dans un blanc/contenant ou sein d'un gris. Ce qui fait penser à l'éclosion du désir, comme de biais, à l'effort de l'épaississement de ce qui ne peut exister dans la franchise ou dans la donnée directe. Le corps jaillit parfois, comme une écriture sans qu'il le soit. C'est le bonheur du traçage, du dessin, des enroulements, des bifurcations qui le compose et le maintient dans une pose féminine dressée, à la Vénus de Milo (amputée de ses bras), une pose de séduction au plaisir certain. Ou dans une pose enfantine de l'étonnement qu'un très petit détail (regard d'un œil à peine dessiné, à peine visible) signifie, pour retentir entièrement sur toute la création. Lorsque ce n'est pas le corps, c'est la tête, le visage, l'œil, ou une muraille, une ville (Mogador)... Mais à chaque fois, cela suggère, en conclusion, une thématique liée à un sentiment. C'est l'esthétique de la minutie du remplissage qui occupe non seulement un espace, mais ce qui est dessiné ou créé. Les couleurs de compléments sûrs. L'artiste Oufa Elhadri, bien qu'elle utilise fréquemment le noir, n'ignore pas les autres couleurs, dont elle fait un choix personnel. Le vert, le rouge, le brun et le jaune sont utilisés comme des compléments au noir de l'écriture, dans une vision globale de l'œuvre de l'artiste. En les admirant, on ressent une relation effective avec les couleurs que les feuilles prennent lorsque le temps les embaume, ou que les flammes agitent lors de l'incandescence. Il y a beaucoup de mouvement, de bas en haut, qui permettent aux créations de prendre forme et, par conséquent, de donner un sens. On y trouve un visage de femme aux yeux fermés, figé dans ce qui ressemble à une prière intérieure, incliné vers le bas, avec le nez, la bouche et le menton couverts de touffes rouges. Est-ce une montée de plaisir ou son empreinte ? Est-ce le mouvement du ressenti ? Il y a aussi cette tête de femme, le visage de profil, dans des tons de brun et de rouge, avec une texture froissée, un œil d'aigle noir nettement défini au fond d'un jaune clair. Ce visage est appuyé sur des épaules qui, à leur tour, sont en relation avec un grand œil. L'ensemble est rempli de tout ce qu'une ville contient, de ce que la vie montre. Mogador et ses secrets, la femme associée à la chasse, avec un bec pointu émergeant de l'arrière de la tête. Cette toile à double visage ou à double sens révèle toute la fougue imaginative de l'artiste qui, lorsqu'elle prend ses crayons, oublie le monde pour en créer un autre. Elle est vraiment douée et bien inspirée. Elevée dans une maison imprégnée de culture et d'art, dans la ville d'Essaouira, berceau singulier de l'art, Oufa Elhadri ne peut être qu'attentive à cela. De plus, elle est la fille d'un grand érudit de la ville et de la région, feu Sidi Ahmed Elhadri, dont plusieurs générations de cadres de la ville l'ont eu comme professeur et guide spirituel. Cela signifie qu'elle a dès le départ suivi la voie indiquée pour devenir une artiste talentueuse et créative.