Réforme du droit du travail Au Maroc, la législation du travail a commencé à voir le jour à partir de 1926, date de l'adoption de la première réglementation du travail. Elle s'est développée progressivement entre 1926 à 1936[1]. Le 2/07/1947, une importante réforme a été apportée à la première règlementation du travail par le dahir du 02/07/1947 portant réglementation du travail. Dès l'indépendance, le premier ministre du travail et des affaires sociales, Abdelhadi Boutaleb a veillé à l'élaboration d'un premier projet du code du travail[2]. Devant la non- adoption de ce projet, de nouveaux textes juridiques portant essentiellement sur les rapports collectifs du travail[3] qui n'ont pas été encadrés par la législation du protectorat. Ces nouveaux textes ont porté sur la médecine du travail[4] et sur la législation du travail fixant les conditions du travail et de rémunération des salariés agricoles[5] Outre cette riche production législative adoptée entre 1955 et 1960, seuls quelques textes juridiques ont été adoptés entre 1967 et 1996, date de signature du premier grand accord social national tripartite. Les acteurs tripartites (pouvoirs publics, syndicats de travailleurs et patronat) se sont engagés à l'élaboration d'un code du travail dans un cadre tripartite En 2003, il y a adoption d'un code du travail qualifié de moderne et conforme dans son contenu à une panoplie de normes internationales du travail[6] . L'élaboration dudit code a été réalisée dans un contexte où les rapports de force étaient en faveur du syndicalisme, dans un processus marqué par le tripartisme et la participation parfois d'experts en matière de législation du travail et du BIT. Le processus a été très long qui a démarré essentiellement en 1994 dans le contexte de grève générale. I)Un bilan quasi-nul de la réforme du droit du travail entre 2003-2023 20 ans se sont écoulées depuis la date d'adoption de cette législation. Celle-ci n'a pas subi de réforme ou de révision sauf la révision du décret auquel renvoie l'article135 du code du travail. Il s'agit du décret n° 2-04-423 du 29/10/2004 fixant les conditions et les formes de présentation de la déclaration d'ouverture d'une entreprise, d'un établissement ou d'un chantier qui a été modifié par celui n° 2-15-367 du 21/05/2015 pour un délai d'un an pour faire cette déclaration. Cette réforme a été entreprise pour répondre à une exigence de doing business pour améliorer le classement du Maroc et qui s'est traduite par la fixation d'un délai d'un an pour établir une telle déclaration d'ouverture d'entreprise, d'établissement ou de chantier. En 2021, après réintroduction du service militaire par la loi 48-06 sur le service militaire, des reformes ont été apportées à l'article 32 et 256 du code du travail. Dans l'article 32 qui fixe les cas de suspension du contrat du travail, il y a ajout l'appel du salarié au service militaire. L'article 256 du code du travail, donne au salarié appelé au service militaire et qui n'a pas bénéficié de son congé, droit à une indemnité compensatrice au congé lors de son départ. Les institutions consultatives du travail, en l'occurrence, le conseil de la négociation collective[7], le conseil supérieur de la promotion de l'emploi[8], le conseil de médecine du travail et de prévention des risques professionnels[9] et la commission spécialisée relative aux entreprises d'emploi temporaire[10] qui ont été encadrées par des décrets adoptés en décembre 2004 ont subi une réforme , quant à leur composition et à la périodicité de leurs réunions . Ainsi, durant vingt ans, aucune réforme importante n'a été apportée à la législation du travail au moment où le droit de la sécurité sociale a subi une profonde refonte. La réforme de la législation du travail s'impose malgré ses détracteurs et malgré le déséquilibre des rapports de force en faveur du capital. II) Les objectifs de la réforme Le droit du travail est la discipline juridique qui s'influence le plus par les mutations du contexte économique social technologique et culturel dont les entreprises et les ressources humaines œuvrent. Depuis 2003 (date de l'adoption du code du travail), le marché du travail connait de profondes transformations qui sont marquées par l'émergence de nouvelles d'emploi (le travail à distance (télétravail), travail à temps partiel, travail via les plateformes, travail para-subordonné...), le développement de l'économie numérique, l'introduction et l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la robotisation et le développement de l'intelligence artificielle. Dans ces nouvelles formes d'emploi, les relations du travail sont soit non réglementées, soit mal réglementées voire sous règlementées. Ainsi, une des finalités du projet de réforme est donc d'apporter une réglementation appropriée aux nouvelles conditions du travail dans ces nouvelles formes d'emplois et du travail. Il s'agit d'assurer une gouvernance dans le travail notamment dans les relations triangulaires du travail, dans le marché du travail et d'humaniser le travail dans l'entreprise. La veille à l'instauration du travail décent dont les quatre piliers sont l'emploi, la protection sociale, les droits au travail et le dialogue social représente une préoccupation qui doit guider la réforme de la législation du travail. Dans cette perspective, il convient de rappeler que la stratégie nationale de l'emploi comprend un volet qui porte sur la gouvernance du marché du travail. Les objectifs que cet axe préconise doivent etre traduits par des règles juridiques à intégrer dans l'ossature du code du travail. La politique de l'emploi a toujours des aspects juridiques[11] et non juridiques (financiers, économiques ..) La législation marocaine du travail comporte un noyau dur des droits fondamentaux au travail qu'il convient de consolider et de renforcer, d'abord pour assurer leur effectivité et ensuite d'y intégrer le droit à « un milieu de travail sur et salubre » conformément à l'amendement apporté à la Déclaration de 1998, lors de la 110e session de la conference internationale du travail en 2022. Deux nouvelles conventions internationales du travail, la convention n°155 sur la santé et la sécurité des travailleurs de 1981 et la convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la santé et la sécurité de 2005 sont érigées en conventions fondamentales. Ces deux instruments s'inscrivent dans un cadre politique et institutionnel que les Etats doivent mettre en œuvre pour une politique publique de santé et sécurité. Le Maroc a ratifié la convention (n°187) le 14/06/2019 et n'a pas encore ratifié la convention (n°155). La veille à l'instauration du travail décent dont les quatre piliers sont l'emploi, la protection sociale, les droits au travail et le dialogue social représente une préoccupation qui doit guider la réforme de la législation du travail. La mise en application du code du travail révèle que beaucoup de dispositions du code du travail sont incohérentes. Dans les rapports collectifs, en matière de négociation collective, en cas d'absence de syndicats les plus représentatifs, il est impossible de négocier et de conclure une convention collective, ce qui prive les travailleurs d'un droit fondamental, le droit à la négociation collective. Ne faut-il pas reformer le droit de la négociation collective pour permettre, en cas d'inexistence de syndicats plus représentatifs, à tout syndicat et éventuellement d'inexistence d'aucun syndicat, de conclure des accords collectifs ?. Par ailleurs, l'analyse de la jurisprudence révèle que beaucoup de dispositions du code du travail ont fait l'objet d'interprétations divergentes par la jurisprudence. Parfois, il y a contradiction entre les jurisprudences des tribunaux. Des dispositions du code du travail sont entachées d'ambiguïtés et de confusions. Il s'agit d'agir sur la lisibilité des textes pour améliorer leur application. La réforme du code du travail sera l'occasion pour transcender les divergences et les contradictions entre la loi et la jurisprudence et clarifier les sens et les significations. Les institutions – dont les entreprises -connaissent actuellement une digitalisation rapide et une grande utilisation des moyens de technologie de communication et d'information dans l'organisation et la gestion du travail et des ressources humaines[12]. L'affichage de la fixation du lieu du lieu et jour de paie est dépassé par le paiement des salaires par virement bancaire. La tenue des livres de paie et de congés annuels payés est dépassée par la gestion information et la digitalisation. L'introduction de l'utilisation des moyens de technologies et de l'information dans l'organisation, le fonctionnement et de l'inspection du travail s'impose pour faciliter l'efficacité du service de l'inspection du travail et sa modernisation. III) Les enjeux de la réforme du droit du travail La réforme du droit du travail obéit à des enjeux conceptuels, économiques, sociaux nationaux et internationaux. Sur le plan conceptuel, l'objectif recherché de la réforme du droit du travail, est la modernisation de cette législation et l'instauration des conditions du travail decent justifie « l'importance d'une réflexion sur les concepts utilisés et sur la vision des rapports entre l'économie et le droit du travail (......) .La définition des concepts de flexibilité et de sécurité doit etre recherchée d'autant plus qu'elle renvoie à des perspective d'autant plus qu'elle renvoie à des perspectives divergentes voire contradictoires »[13]. Dans le contexte de la mondialisation, l'entreprise a besoin d'une certaine souplesse et le salarié, d'une certaine sécurité. C'est de la manière dont cette Flexsécurité devrait etre assurée que dépendra le succès de la réforme de la législation du travail. L'approche des droits humains dans la relation du travail et l'approche genre sont à privilégier dans la perspective réformiste. La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et/ou personnelle et la promotion de l'égalité professionnelle et la lutte contre la violence dans le milieu du travail sont à prendre en considération dans la réforme. La réglementation à concevoir devra s'étendre aux nouvelles frontières du travail notamment le travail numérique pour régir les périphéries de relations du travail non encore couvertes. Cette législation doit s'adapter aux contextes pour éviter son obsolescence et son déphasage. Dans le contexte de la mondialisation, la concurrence nationale, régionale et internationale devient de plus en plus aigüe. Les considérations économiques représentent donc un enjeu crucial en matière de réforme du droit du travail. En contrepartie, les considérations sociales se traduisent par la protection sociale et des garanties inhérentes à la sécurité de l'emploi. IV) Le contenu de la réforme Le contenu de la réforme du code du travail doit cibler les relations individuelles du travail, c'est-à- dire, le cadre contractuel et les conditions du travail), les rapports collectifs du travail (formes de représentation professionnelle, négociation collective, les institutions représentatives du personnel, les modes alternatifs de règlement des conflits), la restructuration des modes de représentation professionnelle en vue d'en faire un acteur collectif unique et crédible , le droit de l'emploi (insertion /recrutement, licenciement ...) et la santé et la sécurité du travail. Le nouveau droit du travail à concevoir pourrait promouvoir le droit du travail négocié, au cas où reconnaitrait une large autonomie aux partenaires sociaux et délimiterait un vaste champ de négociation. Sur le plan formel, le corpus pourrait comporter les principales parties suivantes : * Relations individuelles du travail (le cadre contractuel) * Conditions du travail * Rapports collectifs du travail (représentation professionnelle, négociation collective, conventions collectives, système de résolution des conflits * Santé et sécurité du travail * Droit de l'emploi (embauchage, licenciement ...) * Exécution de la loi (inspection du travail, outils juridiques, procédures, procès-verbaux.) V) Le processus de la réforme : tripartisme et/ou consultation Le processus à mettre en place pour réformer la législation du travail dépend des contextes, des enjeux, des objectifs et rapports de collaboration tripartite et des relations intersyndicales. Dans le cadre du dialogue social et dans l'élaboration du code du travail, le processus mis en place a consisté en la mise en place d'un comité tripartite composé de représentants des pouvoirs publics, des organisations professionnelles d'employeurs et d'organisations syndicales de travailleurs. C'est une forme extrême du tripartisme, dans la mesure où ces différents représentants discutent, examinent les propositions des uns et des autres, et rédigent de manière consensuelle le libellé des articles à retenir. Si ce processus adopté est démocratique, participatif et coopératif, il peut aboutir parfois à des blocages identiques à ceux vécus c lors de l'élaboration du code du travail qui a démarré en 1996 et n'a été adopté par le parlement qu'en septembre 2003. Le succès de l'action entreprise dans ce processus tripartite suppose que les différents membres soient d'une compétence importante en matière de normes internationales du travail, des législations comparées, d'hygiène et de sécurité et de légistique et de rédaction juridique. En cas de difficulté de mise en place ce processus tripartite, l'élaboration de la législation du travail et éventuellement sa réforme, le processus peut etre remplacé par les procédures de consultations sur lesquelles insistent les normes internationales dans la quasi-totalité des questions du travail, de l'emploi et de la protection sociale. Dans ce sillage, les pouvoirs publics peuvent élaborer des projets de réforme par leurs propres experts et éventuellement avec le concours d'experts externes et les soumettent pour avis et propositions aux partenaires sociaux. Les avis et les propositions formulés peuvent etre examinés sur la base des normes internationales, des principes et règles constitutionnels des exigences économiques technologiques, sanitaires et des considérations sociales. En guise de conclusion, la réforme du code du travail s'impose pour les raisons évoquées précédemment. Ladite réforme peut etre entreprise soit, de l'intérieur du code du travail, soit dans le cadre d'une refonte globale contextualisée. Toutefois, la réussite de cette réforme dépend des objectifs affichés, des enjeux en présence, du type processus mis en place et des experts de l'administration et des partenaires sociaux.