Nabil El Bousaadi Les aborigènes d'Australie, qui sont, aujourd'hui, au nombre de 900.000 et qui vivent dans des conditions très difficiles comparativement à leurs compatriotes, notamment en matière d'accès aux soins et à l'éducation, avec une espérance de vie beaucoup plus faible et des taux de pauvreté et d'incarcération plus élevés – pourraient, enfin, avoir « voix au chapitre » après plusieurs siècles d'attente, car le Sénat a adopté, ce lundi 19 Juin 2023, une loi appelée « Voix » autorisant la tenue d'un référendum qui leur permettrait d'être reconnus officiellement par la Constitution australienne. Approuvée par 52 voix contre 19, cette loi qui semble faire consensus au sein du Sénat divise, néanmoins, les australiens quant à son bien-fondé car si les premiers sondages avaient laissé croire que la majorité allaient voter en sa faveur, certaines enquêtes faites récemment montrent que le soutien apporté aux autochtones s'amenuise au fil du temps. Or, le plus important est que si ce projet de loi venait à être adopté, les populations aborigènes vont pouvoir disposer, enfin, du droit d'être consultées par le gouvernement central à propos de toutes les questions susceptibles d'avoir un impact sur leurs communautés et même d'être représentées au Parlement par l'entremise d'un organe consultatif. Aussi, en considérant que le référendum concernant ce projet de loi va être « historique » et constituer « un moment d'unité nationale » qui donnera l'occasion, à l'Australie, de devenir meilleure, le gouvernement du Premier ministre travailliste Anthony Albanese a estimé que les Australiens vont, désormais, avoir la possibilité de rattraper des siècles d'injustice à l'égard des populations aborigènes en leur conférant le droit d'avoir une voix dans le processus décisionnel. Ce référendum dont le vote devra avoir lieu avant la fin de l'année quand les deux camps auront terminé de dresser, chacun de son côté et dans un délai maximum de 28 jours, la liste des questions qui vont être envoyées aux 25 millions d'Australiens et auxquelles ceux-ci seront tenus de répondre par oui ou par non, viendrait donc à point nommé pour corriger les erreurs qui, au fil des siècles, avaient fait des aborigènes d'Australie des citoyens de seconde zone. Mais, outre le fait que l'opposition conservatrice est montée au créneau par la voix du chef du parti libéral, Peter Dutton, qui a dénoncé un « effet orwellien où (même si) tous les Australiens sont égaux, certains sont plus égaux que d'autres », ce projet de loi serait loin de faire l'unanimité au sein même des communautés aborigènes qu'il est supposé défendre. Ainsi, si l'on en croit la sénatrice indépendante Lidia Thorpe, éminente militante autochtone qui fut la première femme aborigène à avoir accédé au rang de sénatrice de l'état de Victoria, ce projet de loi qui s'apparenterait, plutôt, à un coup d'épée dans l'eau destiné à « apaiser la culpabilité des Blancs » ne va donner lieu, dans le meilleur des cas, qu'à la création d'un « organe consultatif impuissant ». En abondant dans le même sens, la défenseuse des droits indigènes, Pat Anderson, qui estime, de son côté, qu'il faudrait faire preuve de « plus de maturité » dans les débats dans la mesure où c'est « le peuple australien qui décidera du type de pays » qu'il sera appelé à défendre, préfère considérer ce vote comme étant une réponse aux questions existentielles des autochtones se rapportant à leurs valeurs. Est-ce à dire qu'après des siècles de mise à l'écart, les communautés autochtones australiennes vont pouvoir disposer du même droit de s'exprimer que celui qui est conféré aux autres australiens ? C'est aller trop vite en besogne que de répondre par l'affirmative mais attendons pour voir... Nabil EL BOUSAADI