Mardi dernier, les chancelleries du monde entier avaient le regard tourné vers l'aéroport de Songshan, un aéroport commercial, situé à la périphérie de Taipeh, la capitale de Taiwan, généralement utilisé pour des vols intérieurs et des vols internationaux moyen-courrier car un avion militaire américain devait y atterrir, ce jour-là. Et alors ? me retorquerez-vous... Des avions militaires américains, il en arrive assez souvent dans cet aéroport ? Vous avez raison mais l'important, cette fois-ci, n'était pas l'avion en lui-même mais le passager de marque qui s'y trouvait dès lors qu'il n'est autre que Nancy Pelosy, la présidente de la Chambre des Représentants et numéro 3 de l'administration américaine que Joseph Wu, le ministre taïwanais des Affaires étrangères, est venu accueillir sur le tarmac de l'aéroport. Cette visite qui entre dans le cadre de la tournée asiatique de Nancy Pelosy à Singapour, en Malaisie, en Corée du Sud et au Japon et qui a déclenché la fureur de Pékin a ajouté de l'huile sur le feu dans une région du monde hautement inflammable même si est la première effectuée par un président de la Chambre des représentants des Etats-Unis, à Taïwan, ces 25 dernières années après celle du républicain Newt Gingrich qui, en 1997, y était venu pour y rencontrer le président taïwanais de l'époque Lee Teng-hui. Au cours de cette visite, la Présidente de la chambre des représentants des Etats-Unis qui a eu des entretiens avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, a tenu à souligner, lors d'une conférence de presse conjointe, la détermination de Washington à préserver la démocratie à Taïwan car le monde est, désormais, confronté à un choix entre la démocratie et l'autoritarisme. Mais si l'on peut comprendre et partager la satisfaction « légitime » des taïwanais pour lesquels le soutien américain est non seulement souhaité mais nécessaire en ce moment où Pékin ne cesse de multiplier ses provocations à l'endroit de l'île rebelle, il est tout aussi légitime de considérer que la Chine – bien qu'elle rêve encore de prendre le contrôle de l'île rebelle – n'a, en aucun cas, le droit d'interdire aux autorités taïwanaises de recevoir qui elles veulent quand elles le veulent même si le président Joe Biden, lui-même, s'était montré trop peu enthousiaste à l'idée de voir la numéro 3 du régime américain s'en aller tirer la moustache du tigre en effectuant ce voyage qui risque d'inquiéter tous les pays de la région notamment en ce moment où la guerre d'Ukraine et le tango géopolitique joué par Pékin et Moscou incite Washington à faire certaines concessions. Loin donc d'être un banal évènement, l'arrivée de Nancy Pelosy à Taïwan, intervenue en dépit des avertissements de la Chine, a été qualifiée par Pékin d'attitude « extrêmement dangereuse » et de grave provocation qui ne peut qu'enflammer les relations sino-américaines déjà très tendues car les Etats-Unis « jouent avec le feu » lorsqu'ils se permettent d'intensifier leurs échanges avec Taipeh. Ainsi, pour Pékin, en agissant de la sorte, les Etats-Unis «encouragent les activités séparatistes» de Taïwan qui n'est pas un territoire autonome mais une province «rebelle» que Washington «tente d'utiliser pour contenir la Chine » en s'acharnant à «déformer, obscurcir et vider, de tout sens, le principe d'une seule Chine». Autant de raisons qui ont poussé le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à déclarer que « ceux qui offensent la Chine devront être punis, de façon inéluctable » et le porte-parole du ministère chinois de la Défense, à lui emboîter le pas en affirmant que, dans le cadre de la défense «de la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale du pays», l'armée chinoise s'apprêterait à lancer des «actions ciblées». Or, pour le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, la visite de Nancy Pelosy à Taïwan n'est qu'un «prétexte» qui permet à la Chine « de développer ses provocations militaires autour de Taïwan » et contre lequel Washington doit s'insurger. D'ailleurs, dès que la présidente de la chambre des représentants des Etats-Unis a quitté Taiwan, la Chine a commencé à entreprendre ses plus importants exercices militaires autour de l'île si bien qu'à en croire le ministère japonais de la Défense, quatre des cinq missiles balistiques qui ont été tirés par Pékin « auraient survolé l'île de Taïwan » et seraient tombés dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) du Japon. Or, bien que ce soit la première fois que des missiles balistiques chinois sont entrés dans la ZEE nippone, le chef de la diplomatie japonaise s'est empressé d'adresser une réclamation officielle à la Chine appelant cette dernière à arrêter lesdites manœuvres. D'après un communiqué du ministère taïwanais de la Défense, les manœuvres militaires auraient débuté, peu après midi (4 h GMT), dans six zones encerclant Taïwan, non loin de routes commerciales très fréquentées se trouvant, parfois, à seulement 20 kilomètres des côtes taïwanaises. Visant, selon l'agence officielle «Chine Nouvelle», à simuler un «blocus» de l'île et incluant «l'assaut de cibles en mer, la frappe de cibles au sol et le contrôle de l'espace aérien», ces opérations ont été menées par 22 avions de combat chinois qui, après être brièvement entrés dans la zone de défense aérienne de Taïwan, auraient été traqués par les systèmes de défense anti-aériens taïwanais. Mais en invoquant la menace que ces exercices militaires font peser sur la sécurité de l'Asie de l'Est, le porte-parole du ministère taïwanais de la Défense, qui a fustigé «un acte irrationnel visant à défier l'ordre international», les a immédiatement dénoncés au motif que «certaines des zones des manœuvres empiètent sur (...) les eaux territoriales de Taïwan». Et, en n'entendant point, par ailleurs, se laisser intimider par Pékin en dépit de sa puissance, le premier ministre taïwanais, Su Tseng-Chang a qualifié la Chine de « voisin diabolique » qui s'acharne à « montrer sa puissance » aux portes de Taïwan ; ce qui a été confirmé, jeudi, par la télévision chinoise lorsqu'elle a diffusé des images montrant les tirs d'une dizaine de missiles dont certains ont atterri non loin de Taïwan alors que d'autres sont tombés dans les eaux japonaises. Mais, en considérant que la visite, effectuée à Taiwan, par Nancy Pelosy, en dépit des inquiétudes expressément formulées par Pékin, constitue une ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, une violation de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et du principe d'«une seule Chine» ainsi qu'une atteinte à la paix et à la stabilité dans le détroit de Taïwan, le ministère chinois des Affaires étrangères a annoncé, dans un communiqué en date de ce vendredi, qu'en réponse au «comportement provocateur de Nancy Pelosy et à ses intentions malveillantes», il a été décidé d'imposer des sanctions contre l'intéressée et contre tous les membres de sa famille en vertu du droit international mais il n'a pas fourni de plus amples informations quant à la nature exacte et à l'étendue desdites sanctions. Mais s'il s'agit-là des raisons purement «politiques» qui justifieraient, a priori, la visite de Nancy Pelosy à Taïwan, du moment que selon une « lettre ouverte » publiée, dans le «Washington Post», par la Présidente de la chambre américaine des représentants, ce déplacement avait pour objet de montrer que les USA se tiennent prêts à défendre Taïwan contre une probable invasion de la Chine, il en est d'autres qui, bien qu'étant moins évidentes n'en sont pas, pour autant, moins importantes dès lors que cette visite coïncide, également, avec la signature finale du Chips Act aux USA qui consiste à investir 52 milliards sur cinq ans dans le redéploiement, sur le sol américain, d'une industrie des semi-conducteurs alors qu'aujourd'hui 53% de la production mondiale des puces électroniques sort des usines TSMC de Taïwan. Qu'en sera-t-il, alors, de l'avenir des semi-conducteurs pour le monde occidental, si la chaîne logistique depuis les côtes pacifiques de l'Asie venait à être rompue quand on sait qu'au moment de la pandémie du coronavirus, la pénurie des puces ne s'était pas limitée aux ordinateurs dès lors qu'il est possible de se rabattre sur HP, Dell ou Cisco mais qu'elle avait empêché les constructeurs automobiles du monde occidental de produire – et donc de vendre – environ 7 millions de véhicules en 2021? Aussi, est-il certain que les mouvements de troupes autour de Taïwan sont également liés aux semi-conducteurs en l'absence desquels il ne peut pas y avoir de voiture électrique. En outre, en considérant que TSMC est, à ce jour, l'industriel des semi-conducteurs le plus avancé si bien qu'en cas d'attaque de Taïwan, par la Chine, les Etats-Unis courraient le risque d'être privés de semi-conducteurs, il est donc clair que les américains vont faire tout ce qu'il faut pour l'inciter à venir s'installer aux Etats-Unis en donnant à Taïwan la promesse d'assurer sa défense contre l'envahisseur chinois. Ce qui est sûr, en tous cas, c'est que la visite de Nancy Pelosy à Taïwan a donné l'occasion au numéro un chinois de faire une démonstration de force militaire et nationaliste en déployant un armement particulièrement menaçant. Mais si cela était attendu, ce qui n'était pas prévu, en revanche, c'est que la Chine saisisse cette occasion pour geler ses exportations de sable vers Taïwan ; ce sable qui est la matière première du silicium qui compose les wafers et sans lequel la production des usines de semi-conducteurs s'arrête. Au vu de tout cela, il paraît bien difficile de donner, avec certitude, l'identité du vainqueur du bras-de-fer auquel se livrent la Chine et les Etats-Unis à propos de Taïwan tant les enjeux sont énormes mais attendons pour voir...