Nabil EL BOUSAADI Au moment où tout le monde s'attendait à ce qu'il fasse profil bas face à la condamnation unanime de la reconnaissance, par la Russie, de l'indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk, en relâchant la pression et en saisissant la main tendue par les européens, Poutine a sorti le grand jeu et bombé encore plus son torse lors de la conférence de presse du 22 Février en déclarant que les frontières desdites entités sont celles inscrites dans leurs « Constitutions », qu'elles concernent donc l'intégralité des régions administratives y afférentes et englobent, en conséquence, un territoire trois fois plus grand que celui qu'elles occupent actuellement. Les propos avancés par Vladimir Poutine présupposent que, pour « parachever leur intégrité territoriale », ces dernières vont devoir s'étendre sur plusieurs centaines de kilomètres ; ce qui implique ipso facto une offensive massive de la part du parrain russe même si, pour « calmer le jeu », celui-ci a tenu à assurer que le tracé exact des frontières des territoires précités va faire l'objet de « négociations » entre Kiev et les séparatistes, désormais, ouvertement soutenus par l'armée russe. D'ailleurs, cette dernière, s'est déployée en force, ce mardi, sur leur territoire, en application des termes des accords « d'amitié et de soutien » conclus entre les « républiques populaires de Donetsk et de Louhansk » et la Russie pendant que le Conseil de la Fédération de Russie votait afin de permettre le déploiement de l'armée « à l'étranger ». Au cours de cette conférence de presse, le président russe a, également, sommé l'Ukraine de ne point rejoindre l'OTAN, d'accepter un statut de neutralité et d'être démilitarisée ; autant de requêtes inacceptables pour Kiev. C'est dire qu'après avoir perdu ce levier de pression sur l'Ukraine que constituaient les accords de Minsk qui avaient établi un cessez-le-feu dans l'est du pays mais qui sont, désormais, morts et enterrés aux yeux du président russe, Poutine propose, implicitement, « la négociation » avec l'Occident pour éviter la guerre. Mais même si l'entrée des troupes russes dans le Donbass ne constitue pas encore, aux yeux du chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, « une invasion de grande ampleur », Washington a immédiatement saisi cette occasion pour annoncer la mise en œuvre d'une « première tranche » de sanctions économiques visant à couper la Russie de l'accès aux financements occidentaux et pour signaler que des mesures supplémentaires sont « sur la table » en cas d' « escalade » russe en Ukraine. Et, last but not least, le président américain a assuré qu'il allait soutenir l'Ukraine militairement face à la menace d'une attaque russe alors qu'Antony Blinken, a déclaré qu'il ne rencontrera pas son homologue russe car « maintenant que l'invasion a commencé et que la Russie a clairement rejeté toute diplomatie », une telle entrevue n'aurait aucun sens. Mais, par la suite, le secrétaire d'Etat américain aux Affaires étrangères a tenu, néanmoins, à nuancer ses propos en faisant part de son entière disposition à poursuivre le dialogue « si la Russie est prête à prendre des mesures vérifiables pour prouver à la communauté internationale (...) qu'elle est sérieuse quand elle parle de désescalade et de trouver une solution diplomatique (car) les dernières vingt-quatre heures ont montré tout le contraire ». Aussi, à l'occasion d'un point de presse, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, rompant avec l'attitude prudente adoptée, jusque-là par la Chine, qui avait appelé toutes les parties à la retenue sans jamais soutenir une intervention militaire mais soucieuse, néanmoins, de ne pas froisser l'allié russe, s'est interrogée sur le rôle joué dans les tensions en Ukraine par les Etats-Unis qu'elle accuse d'avoir délibérément crée la panique en brandissant le spectre de l'imminence d'une guerre. Enfin, si tout en appelant au « dialogue » sans, toutefois, donner le sentiment qu'elle est systématiquement d'accord avec son partenaire russe, la Chine soutient ce dernier dans la perspective de sanctions internationales, comment la situation va-t-elle évoluer sur le terrain et de quelle manière s'achèvera ce nouveau bras-de-fer entre Moscou et Washington alors qu'en dépit de leurs vociférations, les autres n'y font office que de figurants ? Par une redistribution des cartes avec, à la clé, un nouveau partage du monde ? Tout semble, en effet, aller dans ce sens mais attendons pour voir... Nabil EL BOUSAADI