Mohamed Saad Bouyafri – ES – MAP C'est avec une expression partagée entre épuisement, émoi et des yeux cernés que les délégués ont quitté la salle plénière du Scottish Exhibition Center après le coup de marteau du président de la COP26, Alok Sharma, scellant le pacte de Glasgow pour le climat. Les douze jours, initialement prévus pour la conférence mondiale sur le climat, n'ont pas suffi aux représentants des 197 pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour tomber d'accord. Il aura fallu une prolongation de plus de 24 heures, trois projets de déclaration et des changements de dernière minute qui ont fait perdre à certains délégués, sans doute éprouvés, leur langage diplomatique, pour finalement aboutir à un consensus, souvent motivé par ''l'esprit de compromis''. Car s'ils ont fini par n'opposer aucune résistance à l'adoption du texte final ''pour le bien de tous'', nombreux sont les pays qui ont promis de revenir à la charge pour obtenir davantage de résultats sur des questions qui leur tiennent à cœur. La COP26 avait pourtant démarré en fanfare, en dépit de quelques soucis d'organisation, avec une série d'annonces ayant accompagné les deux premiers jours lors du sommet des chefs d'Etat, avec notamment la ''déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l'utilisation des terres'', où plus de 100 dirigeants se sont engagés à stopper la déforestation et la dégradation des terres d'ici 2030. Avant un autre engagement de plus de 80 pays, dont les Etats-Unis et l'Union européenne de réduire leurs émissions de méthane de 30% d'ici 2030. Le secteur privé n'a pas été en reste avec les engagements « historiques » en faveur du climat pris par des entreprises privées représentant 130.000 milliards de dollars d'actifs, soit 40% des actifs financier mondiaux. Elles ont promis de s'aligner sur les objectifs climatiques de l'accord de Paris.Loin d'être convaincus, les militants pour le climat ont considéré que ces annonces se résumaient à ''un écran de fumée verte'', avant de sortir par dizaine de milliers au terme de la première semaine de la COP pour dénoncer le ''greenwashing'' en cours. ''Des engagements on en voit depuis deux décennies, ce qu'il faut aujourd'hui c'est de l'action'', pouvait-on lire sur les pancartes qu'ils brandissaient à Georges Square. Alors que leur égérie, la suédoise Greta Thunberg, a réduit à néant l'effet de ces engagements qualifiant d'''échec'' la conférence climat de Glasgow. De leur côté, les experts ont accueilli ces annonces avec circonspection, faisant observer que la COP était loin d'être terminée. Une prudence justifiée car à mesure que l'on s'approchait des dossiers épineux du financement et des énergies fossiles, l'on pouvait constater que la COP peinait à apporter des solutions aux maux de ce monde. Suite de la Une Les pays en développement, amers du fait de la promesse non honorée des pays développés de leur fournir 100 milliards de dollars par an de financement climatique, ont tenté de défendre le concept de « pertes et préjudices » qui a vu le jour en 2013. Il s'agit d'un système opérationnel de financement visant à aider les pays en développement à faire face aux dommages du changement climatique qu'ils subissent déjà. Faibles émetteurs de gaz à effet de serre, ils y voyaient une juste compensation pour les malheurs qu'ils subissent et qu'ils auront encore à subir. Saleemul Huq, éminent spécialiste du climat du Bangladesh, a exhorté les journalistes et les négociateurs de la COP à ne pas qualifier les pays riches et industrialisés de « donateurs » lorsqu'il s'agit du système de « pertes et préjudices ». « Ne les appelez pas pays donateurs. Ce sont des pollueurs ! Ils doivent cet argent », s'était-il écrié lors d'une séance d'information durant la dernière journée des négociations. Mais le mécanisme a été bloqué notamment par les Etats-Unis et l'Union européenne, qui craignaient les implications juridiques d'un tel engagement. Finalement l'accord final n'évoque qu'un « dialogue » annuel afin de « discuter des modalités pour le financement des activités ».Gabriela Bucher, directrice exécutive d'Oxfam International, a dénoncé ''la politique de la sourde oreille des pays riches'', qui restent indifférents à ''la souffrance actuelle et future de millions de personnes''.Quand le rythme des annonces a reculé et que le pessimisme a commencé à gagner du terrain, la Chine, qui a été critiquée tour à tour par le président américain Joe Biden, son émissaire John Kerry et l'ancien président Barack Obama, a pris à contre-pied toute l'assistance en annonçant un partenariat avec les USA pour la prochaine décennie dans le but de mettre en place un groupe de travail bilatéral consacré à la lutte contre le changement climatique. L'annonce des deux principaux émetteurs de gaz à effet de serre de la planète a eu l'effet d'un électrochoc qui a ravivé la conférence avant la publication jeudi dernier d'une première version de la déclaration finale mentionnant pour la première fois l'accélération de ''la sortie du charbon et des financements des énergies fossiles''. Dès le lendemain cette version a été tempérée mais cela n'a pas suffi à convaincre les principaux concernés à donner leur accord. Alors que la COP devait officiellement prendre fin vendredi à 18H les négociations se sont poursuivies tard le soir avant que la présidence anglaise n'annonce à 22h qu'un nouveau projet de déclaration sera publié samedi et que les tractations se poursuivront durant la journée pour trouver un accord. Tandis que les pays pauvres ont fini par accepter à contre cœur le troisième projet de déclaration qui ne mentionne pas le mécanisme de ''pertes et préjudices'', soulignant toutefois que ce n'est que partie remise et qu'ils exprimeront leurs revendications ''en temps et en heure'', les principaux émetteurs de GES ont lutté jusqu'aux dernières secondes pour introduire des modifications de sorte à évoquer une « réduction progressive » plutôt qu'une « élimination progressive » du charbon. À l'issue de plusieurs va-et-vient d'un Alok Sharma surmené, la version définitive a fini par être approuvée appelant à « intensifier les efforts vers la réduction du charbon sans systèmes de capture (de CO2) et à la sortie des subventions inefficaces aux énergies fossiles ».Cette ultime modification a été qualifiée de ''pilule difficile à avaler'' par la Suisse, alors que les Fidji et les Îles Marshall, pour qui la réduction des GES est une ''question de survie'', ont fait part de leur ''immense déception''. Le Liechtenstein a, pour sa part, souligné que ce changement n'était pas en phase avec l'objectif poursuivi par cette COP, à savoir de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et le Mexique a dénoncé un processus « non inclusif et non transparent », affirmant avoir été mis à l'écart.La vague de protestation a suscité les excuses émues de M. Sharma, qui a déclaré les larmes aux yeux : « Je comprends la profonde déception, mais il est vital que nous protégions ce texte ».Les 197 Etats se sont finalement mis d'accord pour ''accélérer la lutte contre le réchauffement de la planète'', ainsi que sur les normes fondamentales liées à l'article 6 sur les marchés du carbone, ce qui rendra l'Accord de Paris pleinement opérationnel.''C'est léger, c'est faible et l'objectif de +1,5°C est à peine en vie'', a commenté la directrice exécutive de Greenpeace Jennifer Morgan, soulignant toutefois qu'un signal fort a été envoyé : l'ère du charbon est terminée. Et cela compte.Si les efforts diplomatiques n'ont pas été à la mesure de la crise que traverse le monde, du propre aveu du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui a déploré « une volonté politique collective insuffisante pour surmonter de profondes contradictions », tout le monde semble d'avis que l'année prochaine, les Etats devront aller en Egypte avec des objectifs plus ambitieux. Pour y parvenir, l'effort doit d'ores et déjà se prolonger conformément à l'appel de M. Guterres, qui a souligné à l'issue du sommet que la ''COP27 commence maintenant''. Les pays en développement y seront sûrement plus fermes quant à la question du financement et des réponses concrètes devront être apportées aux problématiques toujours en suspens.