Le prix Nobel d'économie a récompensé ce lundi 11 octobre 2021 trois spécialistes de l'économie expérimentale et du marché du travail, le Canadien David Card, l'Américano-Israélien Joshua Angrist et l'Américano-Néerlandais Guido Imbens. Ce trio « nous a apporté de nouvelles idées sur le marché du travail et montré quelles conclusions peuvent être tirées d'expériences naturelles », a salué le jury Nobel. Les expériences naturelles, aussi appelées expériences involontaires, sont des études menées à partir de situations réelles – et non en laboratoire, dans des environnements contrôlés. Elles tirent ainsi parti des événements politiques ou économiques qui touchent une partie aléatoire de la population. Ainsi, l'économie expérimentale consiste à expérimenter les comportements économiques individuels et/ou collectifs, et à analyser statistiquement les résultats sur une longue période. Cette branche de la connaissance scientifique s'appuie fondamentalement sur l'analyse empirique et la compilation des données. C'est ainsi que le Canadien David Card, professeur à Berkley (Californie) est récompensé «pour ses contributions empiriques à l'économie du travail ». A l'aide d'expériences naturelles, l'auteur a analysé les effets du salaire minimal, de l'immigration et de la scolarité sur le marché du travail. « Ses études du début des années 1990 ont remis en question les idées reçues, ce qui a conduit à de nouvelles analyses et à de nouvelles perspectives », selon le jury Nobel. L'économiste s'était notamment penché sur l'« exode de Mariel » : en 1980, 125 000 Cubains expulsés par le régime de Fidel Castro par le port de Mariel se sont installés aux Etats-Unis, dont près de la moitié à Miami. L'auteur a étudié comment la ville de Floride a «absorbé » cet afflux, sans faire exploser le chômage, ni faire plonger les salaires. Les résultats empiriques dégagés de ces expériences menées sur le terrain constituent un démenti cinglant des thèses racistes et xénophobes en vogue dans certains pays comme celles colportées par les Zemmour et consorts. Ceux qui sollicitent les voix des électeurs en présentant les immigrés comme un épouvantail qui « viendraient voler les emplois aux nationaux ou manger leur pain » devraient changer le fusil d'épaule et puiser dans d'autres registres que celui de la mystification. Au contraire, l'immigration est vécue comme une source d'enrichissement pour le pays d'accueil et un moyen de pallier l'insuffisance de l'offre domestique du travail dans certains créneaux précis du marché du travail, comme cela a été vérifié récemment avec la crise sanitaire covid-19. Dans le même ordre d'idées, David Card et son collègue américain Alan Krueger (mort en 2019) ont également étudié la relation entre salaire minimum et emploi grâce une expérience naturelle au début des années 1990. Pour ce faire, ils ont comparé la situation du marché du travail dans la zone frontalière entre les Etats américains du New Jersey et de Pennsylvanie. Le salaire minimum avait été augmenté dans le New Jersey tandis qu'il était resté le même en Pennsylvanie. En focalisant leurs recherches sur une zone géographique homogène, MM. Card et Krueger ont montré que la hausse du salaire minimum n'avait eu aucun effet à la baisse sur le nombre d'employés. Cette conclusion allait à l'encontre de la théorie dominante de l'époque, qui supposait qu'une augmentation du salaire minimum détruirait des emplois. Cette vue simpliste découle d'une interprétation mécanique de la loi de l'offre et de la demande telle qu'elle est enseignée aux étudiants débutants de première année. Dans la réalité des choses, et les travaux du lauréat du Nobel l'ont montré, les choses se passent différemment. On pourrait l'expliquer de la manière suivante : une augmentation du salaire minimum, loin de décourager l'embauche, contribue au contraire à son amélioration. En effet, toute augmentation du salaire conduità l'accroissement du pouvoir d'achat et par ricochet à l'élargissement du marché intérieur. Ce qui donnerait lieu à l'apparition de nouvelles opportunités d'investissement et donc de création de nouveaux emplois. Du reste, et cela a été vérifié empiriquement et théoriquement, une amélioration des salaires se traduit généralement par une amélioration au moins équivalente de la productivité du travail. Un travailleur mieux payé (bien considéré et bien soigné) est généralement plus productif. A la thèse consistant à « travailler plus pour gagner plus », on pourrait opposer la thèse de « gagner plus pour travailler mieux ». Collaborant lui aussi avec Alan Krueger, l'Américano-Israélien Joshua Angrist, s'est pour sa part intéressé au lien entre niveau d'études et fiche de paie. Il a ainsi comparé le temps passé dans le système scolaire par des personnes nées la même année en fonction de leur mois de naissance.Celles nées en début d'année, qui avaient donc la possibilité de quitter l'école un peu plus tôt que les autres, avaient fait en moyenne des études plus courtes que celles nées au dernier trimestre, et leurs salaires étaient inférieurs. Cela a permis au lauréat Nobel de déterminer qu'un haut niveau d'études conduisait généralement à de plus hauts salaires – autour de 9 % pour une année supplémentaire d'études.Cependant, on peut extrapoler ce lien en affirmant que les personnes qui poursuivent de longues études acquièrent un statut meilleur sur le marché du travail tant en termes de rémunération qu'en termes de positionnement hiérarchique. Il va sans dire que le niveau des études se détermine à la fois par le nombre d'années qui y sont consacrées et par les compétences acquises grâce à la qualité de l'enseignement et aux conditions favorables à la recherche scientifique. Le fait que 90% des lauréats du prix de la Banque de Suède (ou prix Nobel) en sciences économiques,depuis son instauration en 1969, soient de nationalité américaine en dit long à ce sujet. Qui plus est, même les rares économistes non américains, qui ont eu cette récompense, ont fait l'essentiel de leur carrièreaux USA.A méditer....