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La campagne de vaccination sera lancée quand le Maroc recevra les livraisons nécessaires
Publié dans Albayane le 08 - 01 - 2021

Entretien exclusif avec le Professeur Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé
Propos recueillis par Najib Amrani et Abdelaziz Ouardirhi
Alors que le gouvernement a décidé de prolonger d'un mois l'état d'urgence sanitaire et les restrictions dictées par la pandémie du Covid-19, les Marocains, lassés et usés après 10 mois de privation, se demandent sur l'avancement de la campagne de vaccination et surtout sur efficacité pour tourner la page du coronavirus et retrouver un mode de vie normal.
Pour faire le point sur l'évolution de la situation sanitaire au Maroc et les derniers préparatifs de la campagne de vaccination, la rédaction d'Al Bayane est allée à la rencontre du Pr Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé. Entretien.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous aujourd'hui dans la lutte contre la pandémie due à la Covid-19 ?
Merci de me permettre de porter un éclairage concernant l'évolution de la lutte contre la pandémie. Le Maroc avait prôné depuis le début de cette crise une approche proactive et anticipative conformément aux orientations de S.M le Roi Mohammed VI.
Dès le début, nous avons préconisé le confinement, qui était décrié par certains et apprécié par d'autres, mais il nous a permis d'être prêts pour circonscrire les difficultés qu'allait entrainer cette épidémie, sachant que le Maroc a un système de santé assez vulnérable avec beaucoup d'insuffisances à cause d'un lourd héritage qui ne date pas de ces dernières années, mais qui résulte d'un cumul de plusieurs décennies dont l'insuffisance majeure concerne les ressources humaines.
Margé tout cela, cette approche nous a permis d'augmenter la capacité litière pour prendre en charge les personnes atteintes de Covid et aussi les malades non Covid. Car, faut-il le rappeler, il n'y a pas aujourd'hui que les cas Covid qui posent problème pour notre système de santé.
Nous avons ainsi dédié des structures hospitalières pour les malades Covid, augmenté la capacité litière des services de réanimation qui est passée était de 987 lits à 3168 lits de réanimation. C'est une évolution est très importante pour notre système de santé.
Mais le vrai problème qui s'est posé concerne l'insuffisance du nombre des médecin-anesthésiste et réanimateurs.
Et pour y faire face, nous avons décidé de s'organiser autour d'un certains nombre de pôles d'activités. C'est les groupements des réanimateurs au niveau de centres hospitaliers. Nous avons désigné et listé les services de réanimations au niveau des grandes villes, où sont concentrés un grand nombre de réanimateurs et là on a pu installer des circuits de régulation des patients.
Cette action très intéressante nous a permis de faire face au flux massif des patients.
Pour la prise en charge des malades et le traitement qui est prescrit, nous avons préconisé un protocole que certaines personnes ont vu d'un mauvais œil : la chloroquine. Les résultats sont là et confortent la pertinence de ce choix. Il faut rappeler, que ce traitement existait depuis longtemps au Maroc et il était prescrit pour le paludisme.
Aujourd'hui, nous importons la matière première et nous fabriquons l' Hydroxychloroquine chez nous, ce choix a été fait par conviction scientifique. C'est un médicament efficace qui permet de diminuer la charge virale et la contagion...
Le nombre de cas actifs au Maroc représente aujourd'hui pratiquement le 1/10ème des cas actifs au niveau de certains pays qui sont au niveau de notre voisinage. Par conséquent, on peut reconnaitre que la situation sur le plan épidémiologique est sous contrôle, avec un taux de létalité qui est des plus bas avec 1,7 versus 2, 6 au niveau mondial.
C'est vrai que la situation n'est pas encore stable à l'échelon national, on assiste à des petits rebonds par ci et par là, mais nous avons pu maitriser la situation avec les mesures que nous avions préconisées sur le terrain.
Le Maroc avait enregistré quand même un rebond pendant les trois derniers mois (septembre, octobre et novembre) à cause de la mobilité des citoyens ( NDLR : fêtes et vacances), ce qui a fait que le nombre des cas grave a augmenté, mais maintenant tout le monde peut le constater, le nombre des cas est entrain de baisser, le nombre des malades graves se stabilise et le nombre des cas actifs diminue, ce qui plaide en faveur d'une bonne évolution de la stratégie nationale de lutte contre la pandémie due au Covid-19. Au mois de mars, on était a plus de 23 % aujourd'hui nous sommes à 9,3%, il y a donc une évolution favorable.
Toutes les mesures ont apporté leurs fruits et nous pouvons dire que notre système avec toutes les contraintes et tous les inconvénients, a quand même pu faire face à cette situation épidémiologique avec toutes les difficultés rencontrées sur le terrain et aussi tous les risques que les professionnels de santé ont encouru. Certains sont tombés malades, d'autres sont décédés, Dieu ait leurs âmes. A l'évidence, il y a une souffrance, il y a essoufflement et malgré tout cela, les professionnels de la santé sont aujourd'hui encore attendus pour organiser et réussir la campagne de vaccination.
Qu'en est-il de la nouvelle variante du virus qui inquiète le monde entier aujourd'hui ?
Aujourd'hui, nous préconisons un maximum de vigilance par rapport à cette nouvelle variante. Nous savons qu'elle est essentiellement se transmet surtout au sein des jeunes adolescents très actifs. Nous sommes entrain de faire quand même des dépistages pour chercher l'existence cette de souche au Maroc, et en même temps nous avons fait une étude génomique des différentes souches qui existent sur les cas positifs.
A valeur d'aujourd'hui, les premiers résultats montrent qu'il n'y a pas de variante au Maroc, mais ceci ne veut pas dire que nous sommes à l'abri d'une propagation de cette nouvelle variante.
Toujours est-il que la vigilance doit être maintenue au maximum pour essayer d'accompagner cette veille génomique. Cette mutation du virus ne doit pas entraîner un rebond ou un revirement de la situation au Maroc, la campagne de vaccination doit se passer dans d'excellentes conditions meilleure et optimale; car la finalité de la vaccination c'est l'immunité collective qui ne peut pas bien sûre être acquise s'il y a un taux de positivité important.
Vous avez signé mercredi dernier l'autorisation d'utilisation temporaire d'urgence de 12 mois du vaccin AstraZeneca. Pouvez-vous nous parler de ce vaccin ?
A propos de la vaccination en général, le Maroc avait anticipé cette question, sous les Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi qui était visionnaire sur ce sujet, depuis le mois d'avril. Nous nous sommes attelés sur cette question et toutes les mesures, toutes les solutions ont été préconisées mais sans pouvoir atteindre les résultats escomptés.
Il n'y avait pas de remède pour le coronavirus, il n'y avait que des traitements symptomatiques et la chloroquine est juste un traitement qui aide à diminuer la charge virale.
Je ne dis pas que le vaccin est la panacée, c'est la solution qui reste. On espère que la vaccination puisse diminuer la contagion, supprimer les formes graves, vu qu'avec l'immunisation l'efficacité s'élève à 100% contre ces dernières, et s'il reste quand même des cas d'infections mineures elles seront gérables.
Sachant que chaque pays à un système de santé qui lui est spécifique, le Maroc avait pisté six voies, avec six partenaires différents. Sachant que le vaccin est une denrée rare et que la capacité de production mondiale ne suffira pas pour répondre à la demande de tous les pays, le Maroc, qui ne produit de vaccins – c'est d'ailleurs une leçon à retenir pour l'avenir- , devait se positionner pour en disposer parmi les premiers pays, pour limiter les effets négatifs de cette pandémie. On a travaillé avec AstraZeneca, Sinopharm, CanSino Bio, Pfizer et Johnson & Johnson et dernièrement avec Moderna.
Mais on a opté en priorité pour Sinopharm, qui est un vaccin à virus inactivé, à travers un accord stratégique en trois axes : Transfert technologique avec la construction, dans la région du nord, d'une usine de production du vaccin dans les mois à venir ; Transfert d'expertise puisque le Maroc a fait pour la première fois a fait les essais vaccinaux et enfin l'approvisionnement privilégié en quantité suffisante en vaccin Sinopharm.
D'un autre côté, il y avait un accord avec AstraZeneva, qu'on connait très bien. Le choix de ce deux vaccins est aussi dicté par des considérations logistiques. Le Maroc connait les deux pré-requis de gestion de ces deux vaccins, à savoir la conservation à des temprétaures de +2 à +8. Car, il faut rappeler que le Maroc ne peut pas faire une campagne de vaccination en masse durant une période courte avec un vaccin qui nécessite des conditions logistiques difficiles.
Alors pour utiliser ces vaccins, il faut passer par les procédures réglementaires par le comité des médicaments. C'est un comité qui octroie l'autorisation soit en situation d'urgence selon les procédures de l'OMS, soit une autorisation de mise sur le marché.
Pourquoi on ne donne pas d'autorisation définitive de mise sur le marché, parce que tout simplement, tous les projets de vaccins qui existent aujourd'hui sont en phase 3 des essais et ont été validés sur la base des résultats préliminaires et non définitifs.
La phase 3 des essais de tous les vaccins ne peut être validée qu'au bout d'une année. Donc personne ne peut aujourd'hui autoriser la commercialisation d'un vaccin. Les chinois sont peut-être en avance sur les autres puisqu'ils ont commencé avant et qu'ils ont achevé tous les résultats.
Concernant la vaccination Astra Zeneca nous a fourni toutes les données scientifiques nécessaires, le comité scientifique de la vaccination, c'est attelé sur cette question, ainsi que sur le vaccin chinois de Sinopharm, comme ce vaccin on le connait très bien, parce qu'il a fait l'objet quand même des tests vaccinaux que nous connaissons son efficacité et son innocuité et maintenant que nous possédons tout l'arsenal scientifique et règlementaire par lequel il est autorisé par les instances internationales en Angleterre et en Inde, le Maroc lui aussi de son coté puisqu'il va utiliser ces produits, il autorise d'abord le premier et nous sommes entrain d'étudier le deuxième pour qu'il soit utilisé selon un programme et une stratégie bien définie assurant la disponibilité et l'équité au niveau territorial.
Peut-on avoir une idée sur la date de la campagne de vaccination ?
La vaccination sera lancée quand le vaccin sera sur place, le ministère de la Santé n'a pas encore reçu les livraisons nécessaires pour le démarrage de la campagne de vaccination. Une fois le vaccin reçu, nous ferons une annonce officielle.
Qu'en est-il de la partie logistique de cette campagne de vaccination ?
L'organisation de la campagne de vaccination est une opération complexe et de grande envergure. Nous travaillons de concert avec le ministère de l'Intérieur et le ministère des Affaires étrangères pour l'approvisionnement. Il va falloir une flotte aérienne pour acheminer le vaccin vers le Maroc.
Une fois sur place, il faudra mettre en place un arsenal pour acheminer le produit vers la régie de stockage selon les pré-requis et un monotoring et une surveillance à distance et un tracking par GPS des véhicules pour contrôler le du transport du vaccin vers les 3047 stations de vaccination à l'échelle nationale. Ces stations vont fonctionner selon le mode fixe pour accueillir les populations qui seront informées par SMS selon un registre établi sur la base des numéros de CIN. Il y a aura également un mode mobile pour les personnes vulnérables. Les équipes de vaccination se déplaceront chez cette catégorie.
L'opération de vaccination nécessite l'implication de toutes les forces vives du pays. La vaccination se fera en deux doses et il ne faut surtout pas rater le 2e rendez-vous et entre les deux il faut un maximum de vigilance. Une recrudescence des cas pendant la campagne de vaccination risquerait de compliquer la situation.
Il faut surtout gérer la période de post-vaccination qui est plus importante que la vaccination. Car avec le manque de recul, si on connait l'efficacité de ce vaccin, on ne connait pas aujourd'hui sa durée de protection.
Au niveau de la coopération internationale, quelle est la place du Maroc dans ce concert de la recherche et développement dans le domaine sanitaire ?
Aujourd'hui, si vous faites le tour des CHU, chacun travaille de son côté, parce que c'est des établissements qui sont autonomes et qui ont la possibilité en toute indépendance de contracter des relations avec n'importe quels autres pays. C'est ce qui existe d'ailleurs au niveau du CHU de Fès, j'avais même contacté des conventions de coopération internationale avec pas mal de pays. Mais, il faut dire que cela doit complètement changer. Il faut œuvrer à tisser des conventions s de coopération dans un cadre plus harmonieux dont la finalité est celle de répondre aux besoins nécessaires de la population.
Aujourd'hui, nous sommes en train de parler de la régionalisation du système de santé. Un système de santé qui ne s'adapte pas par rapport au contexte actuel de la population avec toutes les contraintes existantes, n'est point un système de santé qui est à même d'être évolutif et d'être résilient. Je pense qu'on peut donner un mode de gouvernance ou encore un statut, mais il s'agit uniquement des outils.
Cependant, la régionalisation doit être une approche sur le terrain pour répondre exactement à l'ensemble des attentes. Car quand vous ouvrez un CHU dans une région, cela signifie l'installation de toutes les institutions annexes. Vous pouvez ainsi dispenser une formation adaptée aux besoins de la population, former autant de postes, de profils nécessaires par rapport à la population.
Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Les formations sont centralisées, vous faites des formations, il y a des « numerus clausus » pour certains, alors que pour d'autres non... Ainsi, alors que le besoin est important vous avez des profils qui chôment. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas une adéquation entre les cursus de formation et la réalité du terrain.
Par contre avec l'approche régionale, on pourra proposer une formation sur mesure et augmenter notre effectif de formation en fonction du besoin.
A ce niveau, on assistera à une sorte de compétition entre les régions. Cette compétitivité permettra évidement de faire évoluer une concurrence positive. Chose qui permettra de garantir une amélioration de l'offre sanitaire.
Depuis le début de la crise sanitaire, le privé a été décrié, , vous avez fait des déclarations et même des interventions pour recadrer les choses ...
Aujourd'hui j'estime que mon rôle est d'être fédérateur. Nous sommes à la veille d'un changement du système de santé. Il faudrait que tout le monde y contribue pour qu'on puisse avancer ensemble et en finir avec la période du cloisonnement, de la stigmatisation.
Nous voulons parler de système de santé avec l'ensemble des composantes, public et privé et intermédiaire. Le partenariat public-privé a toute sa place.
Grosso modo, le secteur privé a sa place et le secteur public a aussi sa place, il l'a montré d'ailleurs lors de la gestion de la pandémie. Mais, ensemble on peut faire mieux.
La question qui s'impose est celle de savoir si les budgets qui existent sont suffisants pour pouvoir répondre à l'ensemble des besoins en matière d'équipements nécessaires... pour la radiologie, par exemple. Mais, on peut mutualiser les moyens....
Cette mutualisation va apporter un meilleur service au citoyen et permettre de faire des économies d'échelles notamment en matière de maintenance et d'investissements. Cet esprit là on peut le faire éventuellement avec le privé et le secteur intermédiaire.
Je cite un autre exemple, il y a des compétences pour des spécialités qui n'existent pas au Maroc.... La diaspora marocaine voulant rentrer au Maroc, mais elle ne dispose pas d'un cadre incitatif pour qu'elle puisse rentrer. Ces spécialistes marocains d'ailleurs quand ils rentrent aux pays, et bien sur que le pays a besoin d'eux,... on doit leurs offrir quand même une procédure facile pour qu'ils puissent intégrer le secteur public.
Par ailleurs, nous sommes en marasme au niveau des ressources humaines et il y a des gens qui sont à la veille de la retraite, mais ils disposent d'une expertise et même la possibilité de fournir encore d'efforts. On peut les garder.
Je pense qu'on est très en deçà de la normalisation du secteur, il y un gap important.
D'où la nécessité de concilier tous les efforts et toutes les solutions, les faire converger pour que l'on puisse atteindre les ratios demandées. A ce moment là on peut parler de normalisation.
Actuellement, il y a plusieurs écoles privées qui forment des profils intéressants mais quand il s'agit de trouver un travail, c'est le parcours d'un combattant. Le département de tutelle a-t-il mis en place une stratégie pour les intégrer dans fonction médicale ?
La formation paramédicale, telle qu'elle existe aujourd'hui, manque d'esprit, parce que, on considère que les infirmiers formés, sont des médecins ratés. Car par rapport au concours de médecine, celui qui n'arrive pas à réussir l'examen, il passe le concours des infirmiers.
Cela est de nature à créer une tension à l'intérieur des hôpitaux. On a en face des infirmiers qui veulent améliorer leur situation en poursuivant leurs études supérieures (LMS). Cela relève évidement de leurs droits, mais qui fera les soins infirmiers.
Je pense qu'on a fait une erreur du fait qu'on a abandonné les adjoints de santé brevetés. Le hic, c'est qu'il y a un manque important et des gens qui chôment.
C'est des gens qui ont eu une formation par des institutions qui sont reconnues par l'Etat. S'il y a un problème au niveau de la formation, on peut rectifier le tir en adoptant des formations ciblées, mais il faut qu'ils soient recrutés. Il faut créer un système de reconnaissance ou d'équivalence qui permettra éventuellement d'assainir cette situation. J'estime que cela doit être réglé au plus vite, il s'agit d'une conviction personnelle.


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