La baisse des revenus des hydrocarbures a fait fondre les réserves de change de l'Algérie, mettant en péril une économie déjà fragilisée, ce qui pourrait la contraindre, malgré son opposition de principe, à recourir à l'endettement extérieur. Perte d'emplois, fermetures de commerces, baisse du revenu des ménages… Le ralentissement de l'activité économique et commerciale « est ressenti amèrement par la population », constate l'économiste Mansour Kedidir, professeur à l'Ecole supérieure d'économie d'Oran. La première économie du Maghreb, très peu diversifiée et dépendante de la rente pétrolière –plus de 90% de ses recettes extérieures–, est surexposée aux fluctuations du prix du baril, dont les cours chutent depuis 2014. Avec la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, l'Algérie devrait subir une récession de 5,2% en 2020 ainsi qu'un déficit budgétaire parmi les plus élevés de la région, selon le Fonds monétaire international (FMI). Dans sa loi de finances pour 2021, le gouvernement chiffre le déficit à 2.700 milliards de dinars (17,6 milliards d'euros), contre 2.380 milliards de dinars en 2020, soit près de 14% du Produit intérieur brut (PIB). « En dressant un tableau sombre des finances de l'Etat, le ministre des Finances Aymen Benabderrhamane n'a pu présenter des perspectives pour une sortie de crise, ce qui est alarmant », souligne M. Kedidir. Selon lui, « la situation ne nécessite pas uniquement un plan de relance, mais un plan de sauvetage de l'économie ». « Toute initiative est vaine sans l'instauration d'un climat de confiance et la levée de tous les blocages qui caractérisent la politique gouvernementale », plaide-t-il encore. La loi de finances 2021 –non encore signée par le président Abdelmadjid Tebboune qui se rétablit en Allemagne du coronavirus– prévoit une baisse des réserves de change à moins de 47 milliards de dollars, avant une reprise progressive les deux années suivantes. Entre 2014 et 2019, ces réserves ont fondu de près de 65%, selon la Banque centrale. Ce chiffre devrait atteindre près de 75% en 2021. « Comme d'habitude, on répétera les mêmes pratiques: coupes budgétaires, limitations des importations et gel de grands projets, etc », relève M. Kedidir. Ces mesures « peuvent, tout au plus, retarder l'explosion de la crise. Mais pour un temps seulement. Elle n'auront aucun impact sans une refonte structurelle de l'économie ». L'Algérie a désormais épuisé toutes les possibilités offertes pour le financement du déficit, y compris la planche à billets. Le recours au financement extérieur sera « inéluctable dans 18 mois », a averti l'économiste Mahfoud Kouabi dans un entretien au quotidien francophone El Watan. M. Tebboune a pourtant exclu catégoriquement en mai tout recours au FMI ou à la Banque mondiale, au nom de la « souveraineté nationale », rappelant la mauvaise expérience du pays qui s'était endetté auprès du Fonds en 1994. « Je préfère emprunter auprès des Algériens que d'aller vers le FMI ou d'autres banques étrangères » car « lorsque nous empruntons auprès de banques étrangères, on ne peut parler ni de la Palestine ni du Sahara occidental », deux causes chères à Alger, avait-il argué. Mais il pourrait ne pas avoir le choix, à moins de solliciter des « prêts » auprès de pays « amis », comme la Chine. Une délégation du FMI a effectué en novembre une mission « virtuelle » afin d' »actualiser le cadrage macroéconomique et de discuter des perspectives et priorités pour l'Algérie », selon le ministère algérien des Finances. Les deux parties ont discuté des « instruments à envisager pour contenir le déficit budgétaire, stimuler la croissance et promouvoir une diversification de l'économie ». En attendant, les coupes budgétaires permettent de rester à flot. Pour diminuer les dépenses publiques, le géant pétrolier Sonatrach a dû « réduire de 14 à 7 milliards de dollars ses charges d'exploitation et ses dépenses d'investissement afin de préserver les réserves de change », explique l'économiste Rabah Reghis. En conséquence, de nombreux projets ont été reportés et l'activité de forage est affectée, ce qui pourrait obliger Sonatrach à s'endetter pour terminer l'année et résorber le déficit. Le gel de projets, la réduction des dépenses d'exploitation et de maintenance des installations et la baisse des effectifs induite par la pandémie ont un impact négatif sur la production, confirme une source au ministère de l'Energie. L'ensemble des opérations du secteur pétrolier est « en marche dégradée ». « Le comble dans la politique actuelle est qu'on table encore sur la hausse du prix du pétrole pour financer le budget alors que la rente (pétrolière) n'est pas tributaire du marché international mais du niveau de la production des hydrocarbures qui a baissé », observe M. Kedidir.