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Il est temps de célébrer Ihahan
Publié dans Albayane le 20 - 12 - 2020


Par : M'barek Housni
Un lieu à valoriser
Ici, l'espace a une teinte qui hésite entre l'éparpillement du bleu des taxis collectifs et la prédominance du blanc cassé de la poussière qui colle aux murs et couvrent les êtres. Les maisons paraissent telles des bêtes engourdies par la chaleur qui étoile leurs vieux toits et leurs murs de mille fissures. Les hommes ont la démarche chancelante entre la foi en la tradition vestimentaire faite de djellaba et calotte, et un présent plein des gadgets modernes en tous genres, tombés du ciel, mais incompris ou intégrés par la force de la réalité.
Située au milieu du parcours/route qui va d'Essaouira (Mogador) à Agadir (Tounfit), Tamanr est censée être le chef-lieu d'une vaste région de plaines ocres et montagnes vertes et mer d'un bleu en feu, appelée Ihahan. Etendu où ne s'éparpillent pas moins de douze tribus aux noms authentiques, du terroir : Ida outghouma, Ait Issi, Ida Ouissarn, Ida Ougard, Ait amer, Ait Daoud… La région s'allonge à l'est par de hautes montagnes, et à l'ouest, elle trempe ses pieds dans l'océan atlantique, avec au milieu une infinité d'arganiers formant la plus grande forêt de ce genre d'arbre au monde. On en extrait cette huile maintenant très prisée, l'Argane, dont on crée des parfums et des produits de beauté de par le monde. Mais avant, elle était juste une huile de cuisson dans les anciens réduits tout en suie sombre qui faisaient office de cuisine, aârich.
Tamanar, relégué en une bourgade sans attrait au lendemain de l'étiolement de sa vocation spirituelle, de terreau des saints et des poètes. Elle, qui fut et est connue pour être la demeure du grand Sidi Said O Abdennaim. ce marabout, le dignitaire, le fiqh et l'illuminé célèbre pour avoir tenu tête aux autorités de son époque, la dynastie des Saidiens, en ses débuts. Par le pouvoir qu'il détenait, acquis par l'étude et la force du caractère : le poids de la conviction par le mot et la prêche intransigeante vis-à-vis de ce qui est juste et vrai, mais aussi par le combat et la lutte. Les colons portugais en savaient quelque chose, lorsqu'ils s'attaquaient à nos côtes du sud. Tamanar devrait se réapproprier une place de choix entre ses deux grandes villes voisines sur la nationale 1.
Oui, il n'est guère aisé de contempler debout ce coin d'un monde, pour ce qui en est loin, mais qui s'y colle sans pouvoir entrer dans ce qu'on appelle la modernité. Alors qu'elle recèle l'un des plus beaux paysages naturels au monde, car singulier et propre à elle seul. Ceux qui représentent le mieux notre pays un peu partout. Le paysage montrant des dizaines de kilomètres de bitume accompagnant une forêt d'arbres épineux dont les branches touffues accueillent courtoisement les chèvres.
Nostalgie et identité
Y venir se teintait de l'esprit de la découverte renouvelée à chaque visite. Ihahan se superposait au fond d'une enfance toute en images. Images d'un vécu éphémère et intermittent, sans cesse vivant et vif après le passage de la jeunesse, à l'orée de la vieillesse. La nostalgie à un début. Souvenirs en images filantes. Donc, s'arrêter et capter des images en lien avec ce qui fut.
Café des souvenirs
L'image vivante est celle détenue par le café des Souvenirs. Un lieu de mémoire improvisé et entretenue durant de plusieurs années par un enfant de la région et un intransigeant patriote, Lhoucine Amzil. La quasi-totalité des murs de son café est jonchée de photos de célébrités marocaines dans le domaine de la politique, de la chanson et surtout des personnalités qui ont marqué l'histoire et la gestion des affaires publiques de Tamanar. Effort individuel louable en ce sens qu'il replace certains personnalités hahis dans l'actualité et suscite l'imaginaire des consommateurs, tel le célèbre Caïd Anaflous dont les exploits comme chef de guerre ont accédé au degré du mythe. Ou l'acteur de cinéma Said Taghmaoui, originaire de la tribu des Ida Outghouma. Un petit musée de la photo dédié à la perpétuation de la mémoire résultant d'une passion d'un homme. Les autorités locales devraient s'en inspirer, culturellement parlé.
Des sites à ressusciter
Comme le village d'Argane, cette construction ocre à l'architecture locale, fondée il y a de longues années pour abriter un festival culturel annuel dédié à l'arganier et à Tamanar. Mais cela n'a duré qu'un court moment. Pourquoi ne pas penser à réactualiser sa mission première, celle de montrer le «génie» du lieu, axé sur cet arbre endémique du Maroc et que monde s'arrache ? Y mêler le côté festif et le côté connaissance pour le bien de tous. Ce n'est guère facile d'imposer une vision culturelle des choses en un endroit qui donne l'impression de vivre dans l'oubli de son identité culturelle. À l'image du cimetière juif, dont des habitants parlent encore, qui fut omis et n'en reste que l'emplacement avec des apparences de tombes gardées par trois arganiers chétifs. Un cimetière dont les travaux récents ont drainé une partie tel un ru.
Un musée de l'art des rwaiss sous forme de rebab
Il devrait être d'abord une architecture innovée en parfaite symbiose avec la région. C'est l'artiste Abdellah Oulamine, fin connaisseur de toute la région qui m'en suggéra l'idée. Elle germa en lui depuis bien des années, et n'eut de cesse de la voir réalisée. Jugez-en : une bâtisse construite sous forme d'un rebab amazigh. Le rebab qui est un instrument de musique «endémique» de la région des ihahans et du sous comme l'arganier, si l'on nous permet d'utiliser ce terme spécial. Un instrument qui n'existe nulle part ailleurs.
Si le projet se concrétise un jour, cette institution serait l'emblème de la région, et lieu muséal qui connaitra indéniablement une forte fréquentation. Oui et sans aucun doute, car ce musée abritera tout ce qui est en relation avec l'art des rwaiss et taraissins: instruments, habits, toute l'archive des chansons de tachelhit sur tous les différents supports: disques, cassettes, CD, vidéothèque, films, photothèque, documentaires, enregistrements... imaginons tout ce trésor assemblé, mis à la disposition des visiteurs, locaux et étrangers.
Ihahan est bien placée pour une telle entreprise d'hommage à la création, elle, qui a fourni au Maroc un grand nombre de maîtres de la chanson amazighe dans la version tachelhit. Un rebab à la hauteur d'un mont comme il en existe tant dans ces contrées majestueuses.
Tamanar serait enfin un vrai chef-lieu, un coin à la hauteur de tout l'héritage dont elle est le dépositaire.


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