La Fifa a banni à vie Yves Jean-Bart, président de la Fédération haïtienne de football accusé d'avoir violé des joueuses et notamment des mineures, dans l'une des affaires emblématiques des abus sexuels dans le sport. Annoncée vendredi, la décision est identique à celle prise en juin 2019 contre le président de la fédération afghane pour des faits comparables: le dirigeant haïtien de 73 ans ne pourra plus exercer de fonctions dans le football, «au niveau national et international», et doit s'acquitter d'une amende d'un million de francs suisses (925.000 euros). Alertée par une enquête du quotidien britannique The Guardian publiée en avril, la justice interne de l'instance l'a reconnu coupable d'avoir «abusé de sa position» pour «harceler sexuellement et agresser plusieurs joueuses, y compris mineures». Témoignant de pressions subies pour garder le silence, des victimes présumées avaient évoqué auprès du journal de multiples agressions commises sur plusieurs années. Sous couvert d'anonymat, elles avaient affirmé qu'au moins deux joueuses mineures avaient avorté suite à des viols commis par Yves Jean-Bart dans le centre national d'entraînement. La Fifa poursuit par ailleurs son enquête contre «d'autres responsables de la Fédération haïtienne de football (FHF)», impliqués «dans des actes d'abus sexuel systématiques contre des joueuses entre 2014 et 2020», en tant «qu'auteurs, complices ou instigateurs». La chambre d'instruction de sa commission d'éthique avait suspendu fin août Nella Joseph, superviseuse auprès des jeunes filles au centre technique national de Croix-des-Bouquets, et Wilner Etienne, directeur technique national de la FHF. Mi-octobre, elle avait «élargi le périmètre de l'instruction» à Yvette Félix, ex-capitaine de la sélection haïtienne et entraîneure adjointe à Croix-des-Bouquets. M. Jean-Bart, indéboulonnable patron de la FHF pendant deux décennies et reconduit en février pour un sixième mandat, a aussitôt dénoncé «une parodie de justice et une mesure purement politique». «La Fifa n'a pas examiné les preuves réelles», a assuré le dirigeant haïtien, invoquant l'ordonnance de non-lieu venue boucler l'enquête pénale ouverte dans le même dossier en Haïti. Dans ce document de cinq pages rendu public vendredi, il est notamment précisé qu'«en dépit des moyens mis à la disposition de la BPM (brigade de protection des mineurs, NDLR) pour mener cette enquête, aucun indice et aucun nom (de victime) n'ont été retrouvés». Niant depuis le départ les accusations portées contre lui, il avait déjà porté plainte à Paris contre le journaliste français co-auteur de l'enquête du Guardian, et peut désormais contester la décision de la Fifa auprès du Tribunal arbitral du sport. «Nous avons reçu de multiples allégations au sujet de hauts responsables de la FHF, qui auraient délibérément et de façon répétée utilisé leur position pour attirer de jeunes enfants, souvent issus de milieux défavorisés, les manipuler et les abuser sexuellement et émotionnellement», a dénoncé dans un communiqué le syndicat mondial des joueurs FIFPro. Rendant hommage à la «force et la bravoure» des joueuses concernées, qui ont «pris tant de risques pour protéger les générations futures», son secrétaire général Jonas Baer-Hoffmann a estimé que l'exclusion à vie d'Yves Jean-Bart devait «n'être qu'un début». «Le monde du football ne peut plus feindre le choc et la surprise quand ces affaires surviennent: nous devons désormais nous rassembler, analyser les raisons structurelles et les lacunes de la gouvernance qui permettent de tels abus». Outre les accusations d'agressions sexuelles portées par au moins cinq joueuses afghanes contre le président de leur fédération, le football a été secoué par un gigantesque scandale de pédophilie en Angleterre – deux affaires révélées par le Guardian en 2016 et 2019. Mais du patinage artistique au tennis en passant par la natation et très récemment le judo français, les affaires d'abus sexuels n'épargnent guère de discipline, posant à chaque fois la question de la vulnérabilité des athlètes face à leurs entraîneurs ou dirigeants, et de l'inaction des instances.