Le décret loi N° 2.20.320 et le cours du dirham Samir Laaboudi* L'adoption du décret portant loi N° 2.20.320, portant sur le déplafonnement du recours de l'Etat marocain aux financements extérieurs, par la commission des finances de la chambre des représentants, n'est pas sans interpeller sur les risques éventuels que cela pourrait avoir sur la rhétorique des «équilibres fondamentaux» tant vantée par les différents responsables politiques au niveau national et au-delà. Certes, il faut souligner que dans le contexte actuel le gouvernement a besoin de mobiliser des moyens, beaucoup de moyens même, pour faire face aux conséquences d'une crise sanitaire de grande envergure provoquant une autre crise économique sans précédent. D'une part, la pandémie du Coronavirus, qui a mis à rude épreuve notre système de santé publique, qui était déjà dans une situation difficile et ce, depuis le fameux PAS «programme d'ajustement structurel» qui remonte à 1983 déjà, a révélé l'ampleur du déficit en matière de santé publique et l'importance considérable des moyens et des investissements à mobiliser d'urgence pour mettre à niveau les structures sanitaires et hospitalières du royaume. D'autre part, l'arrêt de l'activité économique qui s'en est suivi va entrainer un assèchement des ressources ordinaires de l'Etat composées principalement de la fiscalité, parce que qui dit arrêt de l'activité dit absence de collecte de l'impôt. En 2020, les recettes ordinaires de l'Etat devaient s'élever à quelques 192,2 milliards de dirhams, soit une part de 77,2% des ressources globales qui elles devaient être de 248,9 milliards de dirhams, d'après les prévisions de la loi de finances 2020. Les autres ressources devaient émaner des revenus de monopole et des participations de l'Etat pour 12,2 milliards de dirhams et ceux de la privatisation pour 3 milliards de dirhams, et elles seront certainement affectées dans le contexte de crise qui prévaut. Par conséquent, une bonne partie de ces ressources ne seront pas collectées comme prévu ou du moins leur collecte sera différée. N'empêche l'Etat se voit dépourvu de ses ressources ordinaires. Le décret-loi autorisant le gouvernement à recourir massivement aux financements extérieurs constitue donc une mesure exceptionnelle pour une situation exceptionnelle. Cependant, ce recours aura des effets néfastes sur l'endettement, sur le déficit public, sur le déficit courant de la balance des paiements et ainsi tous les équilibres macroéconomiques, préservés tant bien que mal pendant des années, vont voler en éclats. Ces différents déficits auront pour conséquence une augmentation générale des prix couplée d'une stagnation des salaires, pour ceux qui en auront encore des salaires vue l'ampleur du chômage qui se profile à l'horizon. La crise économique serait ainsi doublée d'une crise beaucoup plus grave qui est d'ordre social. Cependant, ce qui va aggraver davantage la facture de la crise, à mon humble avis, c'est surtout la décision prise concernant l'élargissement des marges de fluctuation du dirham par rapport aux devises étrangères, décision intervenue il faut le rappeler le 9 mars, soit en pleine crise de Coronavirus. Cette nouvelle marge de fluctuation du dirham sur le marché des changes ne manquera pas de peser négativement sur le stock des devises détenues par le pays. D'ailleurs, plusieurs observateurs ont relevé que le dirham a fortement baissé aussi bien face au dollar que par rapport à l'euro au cours des dernières semaines. En effet, dans un contexte économique difficile à cause de la propagation du Coronavirus, le dirham se trouve sous tension. Il se déprécie fortement face à l'euro et au dollar. Ainsi, entre le 19 mars 2020 et le 1er avril 2020, la parité EUR/MAD a augmenté de 6,26%, c'est-à-dire que le dirham s'est déprécié ou a perdu 6,26% de sa valeur par rapport à l'euro. La même tendance haussière a été observée pour la parité USD/MAD. Depuis le 9 mars, date d'effet de la décision d'élargir la marge de fluctuation du dirham, et le 1er avril 2020, le dirham a perdu quelque 7,85% de sa valeur face au dollar US. Dans ces conditions, il est légitime de s'interroger sur le niveau de pression subi par les avoirs en devises étrangères du pays et jusqu'à quel point ces avoirs vont-ils résister sachant que les secteurs pourvoyeurs de devises sont lourdement impactés, comme le tourisme, l'industrie automobile, le textile, et les transferts des MRE et les investissements directs étrangers ne seront pas épargnés. Aussi, le recours du Maroc à l'utilisation de la LPL, «ligne de précaution et de liquidités» mise en place par le FMI pour faire aux chocs externes, ne sera pas fait sans condition, loin s'en faut. Ces conditions ont déjà été acceptées par le Maroc au moment de la conclusion de l'accord avec le FMI. De même, la décision d'élargir les marges de fluctuation du dirham par rapport aux devises étrangères a-t-elle été prise au moment «opportun», ou est-elle la conséquence de la pression exercée par le FMI sur le Maroc depuis 2018 l'ouverture du processus.