La dématérialisation des services publics a-t-elle atteint la maturité? C'est la question à laquelle répond la Cour des comptes dans un nouveau rapport consacré à l'évaluation des services publics en ligne. L'on peut très bien deviner que le processus n'est pas encore entré dans le quotidien du citoyen. Même l'augmentation du nombre des services en ligne masque une dématérialisation fragile. Selon l'instance présidée par Driss Jettou, la hausse du nombre des services en ligne est essentiellement imputable aux services interactionnels (accès à une information grâce à une requête dynamique) et semi-transactionnels (initier une transaction et la compléter manuellement). Cela dit, les services dont le nombre a fortement progressé ne sont pas dématérialisés de bout en bout, alors que le volume des prestations avancées telles que les services transactionnels et les services intégrés n'a pratiquement pas progressé entre 2008 et 2014. Le diagnostic de la Cour des comptes a été établi sur la base de la méthode du benchmark de l'e-gouvernement réalisé annuellement par la Commission européenne. La comparaison avec les pays de l'UE, effectuée sur un panier de 15 services importants, montre que le Maroc réalise de bons niveaux de maturité sur 8 services, dont les services liés aux impôts (IR, IS et TVA) et droits de douane. En revanche, les 7 autres services restent loin de la moyenne européenne dans leurs niveaux de maturité, et sont ainsi, en écart significatif par rapport aux bonnes pratiques en la matière. Certains d'eux sont notamment liés à la création d'entreprise en ligne, au dépôt d'une déclaration auprès de la police ou d'une demande liée à l'environnement, à la transmission des données statistiques au HCP, et à l'immatriculation automobile. Autant de services pour lesquels d'importantes ambitions ont été annoncées dans la stratégie Maroc Numeric 2013. Chiffres à l'appui, la Cour des comptes affirme que «les réalisations ont été loin de ce qui était prévu». Ainsi, à fin 2018, la création en ligne de l'entreprise, qui était prévue pour 2011, n'avait pas encore vu le jour, alors qu'un objectif ambitieux de 40% comme taux d'utilisation de ce service était fixé pour l'année 2013. De même, l'objectif fixé pour l'immatriculation en ligne des véhicules était de 70% comme taux d'utilisation en 2013. Toutefois, ce projet initié depuis 2007, n'a été opérationnel qu'en avril 2019 et s'est limité aux voitures neuves seulement, rappelle-t-on. Par ailleurs, la collecte en ligne des données statistiques des entreprises accuse du retard alors que l'objectif était de mettre en place, dès 2012, un portail de consultation des données et de réalisation d'enquêtes en ligne. Mais ce mode de collecte des données n'est toujours pas à l'ordre du jour, déplore la Cour des comptes. D'autant plus qu'il n'existe pas d'échanges de données, que ce soit en ligne ou hors ligne, entre les différentes administrations concernées par les statistiques sur l'entreprise, notamment le HCP, le ministère de l'Industrie, la Direction générale des impôts et l'Administration des douanes et impôts indirects. La dématérialisation semble d'ailleurs pâtir de la mauvaise gouvernance. La Cour des comptes estime que le chantier développement de l'administration électronique n'a pas été suffisamment organisé et n'a pas été conduit à travers des plans d'action cohérents. Ainsi, «une stratégie fédérant l'ensemble des départements a fait défaut». Ce qui a donné lieu à une administration à plusieurs vitesses.
Recommandations Au-delà des critiques, la Cour des comptes a également préparé une série de recommandations. En tête, la nécessité de concevoir une stratégie numérique détaillée. Pour cette instance, il faudra repenser la gouvernance globale des services publics en ligne et plus particulièrement la relation entre l'Agence de développement du digital et les différents départements, notamment ceux en charge de la fonction publique et de l'intérieur. La dématérialisation des services publics demeure tributaire de l'implication des acteurs locaux. Sur ce registre, la Cour veut inciter les collectivités territoriales, à travers des mécanismes d'appui financier et technique adéquats, à s'investir davantage dans le déploiement des services en ligne, en veillant à leur bonne intégration dans les stratégies numériques nationales.