Les ambitions du Maroc en matière de dématérialisation des services publics n'ont eu de cesse d'être assurées par le gouvernement,en ligne avec les orientations royales visant à rehausser la qualité du service public mais aussi dans le cadre de la stratégie Maroc Numeric. Mais où en est-on? et que vaut la prestation e-gov aujourd'hui? C'est dans cette optique que la Cour des comptes vient de lever le voile sur les conclusions d'un rapport pour le moins pertinent. Décryptage... Que vaut notre service public en ligne à l'échelle mondiale? Dans son rapport intitulé "Evaluation des services publics en ligne", la Cour des comptes a analysé le positionnement mondial du Maroc en la matière. En 2014, le Maroc atteignait son meilleur niveau dans le classement des Nations-Unies sur les services en ligne durant la période 2008-2018. Sur un total de 193 pays, il était passé du 115ème rang en 2008 au 30ème rang en 2014. De même, il a évolué dans l'indice de l'e- gouvernement du 140ème rang en 2008 au 82ème rang en 2014. Toutefois, nuance la Cour, "cette évolution positive ne s'est pas inscrite dans la durée. En 2018, le Maroc a régressé notablement et s'est classé 78ème dans l'indice des services en ligne et 110ème dans 'indice de l'e-gouvernement". Autre bémol: Il concerne les deux autres composantes de l'e-gouvernement (le capital humainet l'infrastructure IT). En la matière, le niveau du Maroc n'a pas beaucoup changé et a demeuré dans des niveaux bas du classement mondial : 104ème dans l'infrastructure IT et 148ème dans le capital humain. "Ceci constitue une entrave à une utilisation large des services en ligne développés par les secteurs publics", note la Cour des comptes. Par ailleurs, les données officielles montrent que le nombre de services en ligne a évolué de 224 en 2008 à 388 en 2014, soit une augmentation de 73%. Cette progression explique la Cour, est essentiellement imputable aux services interactionnels et semi-transactionnels. La Haute juridiction financière relève aussi qu'en dépit de l'avancée du Maroc dans le classement des Nations Unies sur les services en ligne durant la période 2012-2016, la mise en ligne de certains services importants reste peu développée par rapport aux ambitions annoncées au programme e-Gov 2009-2013. C'est le cas par exemple des services liés à l'état civil, de la création en ligne de l'entreprise et de l'immatriculation automobile en ligne. Les services sont là, mais sont-ils matures ? La Cour a évalué le niveau de maturité d'un ensemble de services clés ainsi que la disponibilité en ligne des services d'une sélection d'événements de vie. La comparaison avec les pays de l'UE, effectuée sur un panier de 15 services importants, montre que le Maroc réalise de bons niveaux de maturité sur 8 services, dont les services liés aux impôts (IR, IS et TVA) et droits de douane. En revanche, les 7 autres services restent loin de la moyenne européenne dans leurs niveaux de maturité, et sont ainsi, en écart significatif par rapport aux bonnes pratiques en la matière. Pour l'élaboration de son rapport, l'équipe de Jettou a aussi examiné la disponibilité en ligne des services d'une sélection de six événements de vie. Cela a concerné la perte et la recherche d'un emploi, l'entame d'une procédure courante de plainte, la possession et la conduite d'une voiture, la poursuite d'études dans un établissement d'enseignement supérieur, la création d'une entreprise et la réalisation de ses premières opérations et, enfin, la réalisation des opérations régulières de l'entreprise. Siix événements donc considérés par la Commission européenne comme couvrant des domaines parmi les plus courants de services publics pour le citoyen et l'entreprise. Pour l'ensemble des six événements de vie examinés, la Cour a recensé 74 services (ou interactions entre l'usager et le fournisseur du service) dont 48 sont des « services de base » et 26 sont des « services complémentaires ». Les services de base sont en général les étapes essentielles de l'évènement de vie sans lesquelles l'usager serait incapable de compléter sa démarche (Ex : les services clés d'inscription, lesservices obligatoires selon la réglementation...). Quant aux services complémentaires, ils vont au-delà des exigences de base d'un évènement de vie, et sont généralement fournis pour faciliterle parcours de l'usager. Parmi les 74 services précités, seuls 33 sont disponibles en ligne, soit un taux de disponibilité global de 45%. Ce taux est de 40 % seulement pour les services de base (19 parmi 48) et de 54% pour les services complémentaires (14 parmi 26). Quid alors de la gouvernance? En dépit de l'importance du chantier de développement de l'administration électronique, celui-ci "n'a pas été suffisamment organisé et n'a pas été conduit à travers des plans d'action cohérents", constate la Cour, qui explique sans ambages dans son document que le ministère en charge de la réforme de l'Administration publique n'a pas porté le projet comme il pouvait le faire de même qu'il n'a pas procédé à une priorisation des services à dématérialiser, ni ne fait de suivi régulier de la mise en application par les organismes concernés des procédures dans leurs versions simplifiées, ce qui ne donne aucune assurance quant au respect de ces procédures. Il faut dire que dans ce chapitre, les remarques sont nombreuses. Retard de la réforme du cadre de gouvernance de l'économie numérique, faible degré d'ouverture des données publiques, régression du Maroc en matière d'Open Data, absence de politique d'ouverture des données et retard de la réforme du cadre légal dans le domaine de l'Open Data, absence d'initiatives d'ouverture de données au niveau des collectivités territoriales... Que recommande la Cour? La Cour des comptes a listé nombre de recommandations l'égard des pouvoirs publics concernés: 1. Développer une stratégie numérique détaillée et procéder à sa diffusion en veillant àl'intégration des principaux projets de services en ligne des différents départements,afin d'assurer une cohérence d'ensemble ; 2. Repenser la gouvernance globale des services publics en ligne et plusparticulièrement la relation entre l'Agence de développement du digital et lesdifférents départements, notamment ceux en charge de la fonction publique et del'intérieur ; 3. Mettre le citoyen au centre des services publics et focaliser les efforts sur les services en ligne les plus demandés. Pour cela, il convient d'adopter une approche par « événements de vie », retraçant l'ensemble du parcours de l'usager ; 4. Introduire, par une démarche volontariste, la réalisation automatisée parl'administration, des services aux usagers, sans la conditionner par une demandepréalable. A ce titre, il convient de rattraper le retard dans la mise en œuvre du projet de la Gateway gouvernementale et de fixer des échéances pour un basculement vers « le tout numérique » ; 1. Inciter les collectivités territoriales, à travers des mécanismes d'appui financier ettechnique adéquats, à s'investir davantage dans le déploiement des services en ligne,en veillant à leur bonne intégration dans les stratégies numériques nationales ; 2. Adopter une politique d'ouverture des données (Open Data) visant à instaurer ce concept comme un objectif durable et accorder la priorité à l'ouverture des donnéesen relation avec les besoins réels des usagers, et à leur publication dans des formats informatiques adéquats ; 3. Améliorer la communication autour des services en ligne, en particulier à travers le portail « service-public.ma » en veillant à ce que son contenu soit exhaustif, fiable et régulièrement actualisé, et étudier la possibilité de transformer ce portail en un pointd'entrée unique à l'ensemble des services en ligne ; 4. Améliorer la qualité du suivi de l'évolution des services en ligne en y intégrantnotamment les aspects qualitatifs, et faire des évaluations régulières du degréd'utilisation de ces services et de leur impact sur l'usager et sur l'administration.