Taclée sévèrement par la Cour des Comptes sur ses errances nombreuses, la Caisse de Dépôts et de Gestion n'a eu d'autres choix que de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en acquiesçant pour l'essentiel des conclusions et en renvoyant subtilement la Cour à son plan stratégique. Si la période concernée renvoie aux précédentes directions, que peut-on retenir de ce "procès", dont les principaux accusés étaient bel et bien absents du banc? Tacticien, Abdellatif Zaghnouna très vite compris que face au rouleau compresseur qu'est devenue la Cour des Comptes, il vaut mieux faire "profil bas" et surtout éviter la charge frontale. Car depuis quelques temps, la Cour des Comptes s'est fait une réputation de faucheuse de carrières en faisant tomber des têtes qui hier encore, semblaient puissantes et au faîte de leur gloire. Et même si à sa nomination, nombre d'observateurs croyaient bien qu'il a des chances d'échapper à ce qui a été nommé "la malédiction de la CDG", celle qui a voulu que ses deux prédécesseurs aient été congédiés, le nouveau patron (depuis 2015 tout de même) sait que dans ces sphères, le vent peut tourner rapidement. Et puis de qui parle le rapport d'ailleurs ? Couvrant la période 2007-2017, les travaux de la Cour mettent à l'index les deux précédentes directions : celles de Mustapha Bakkoury (août 2001 à juin 2009) et de Anas Houir Alami (juin 2009 à novembre 2014), auxquelles il faut ajouter une période de transition et de flottement. Donc clairement la période d'avant l'arrivée de Zaghnoun à la tête de l'institution. Alors, inutile de monter sur le ring pour défendre des choix lorsqu'on n'est pas comptable de ceux-ci ! Dès lors, aux points relevés par le rapport de la Cour, la CDG a répondu avec les axes de son plan stratégique à l'horizon 2022. Tirs de barrage Celui qui a été appelé à la tête de la CDG, après que la puissante dame se soit empêtrée dans l'affaire MadinatBadès d'Al Hoceima jusqu'à la taille, avait-il vu la Cour arriver ? De toute évidence, si la définition d'une stratégie ne peut avoir pour seul but de répondre aux observations et conclusions de l'audit de la Cour des Comptes, il a néanmoins permis à la vieille dame de Rabat de dire à la Cour "d'aller chercher les réponses à ses inquiétudes dans son plan stratégique". Proactif ? Car quelques jours avant la publication du rapport de la Cour sur la CDG, Abdellatif Zaghnoun accordait un entretien à l'hebdomadaire Telquel. Histoire de couper l'herbe sous le pied de la Cour, l'hebdomadaire avait surligné la position du patron de la CDG et mis en titre : «Il n'est pas question de réduire la voilure de nos investissements». Or l'un des principaux reproches adressés à l'institution est justement cette dispersion constatée dans ses participations. En dix années, le portefeuille des participations a considérablement augmenté. Et de 80 filiales en 2007, la CDG s'est retrouvée à fin 2017 avec 143 filiales, et un étalement ou une aventure dans des domaines qui l'auront éloignée de ses missions d'origine. Aujourd'hui, elle consolide un total de 146 filiales. Un portefeuille que pointe la Cour en estimant que, «opérée à un rythme élevé, la filialisation n'a pas été accompagnée par la mise en place des moyens organisationnels, humains et techniques adéquats et indispensables au pilotage des activités filialisées. En effet, le transfert des activités de CDG vers ses filiales n'a pas été encadré par un dispositif de contrôle approprié prévoyant les instances à même d'assurer le contrôle des opérations réalisées par CDG via ses filiales». Anticipant donc cette évidente conclusion des magistrats de la Cour, le patron de la CDG a précédé en annonçant son souhait de parvenir une réduction du nombre de filiales à une "taille plus acceptable". «Si nous atteignons une réduction de 30 à 35% à terme, ce sera une très bonne chose. C'est un processus déjà engagé», déclara-t-il à l'hebdomadaire. Comment ? «En procédant à des fusions ou regroupements de filiales là où c'est nécessaire. Dans ce sens, nous venons de créer deux branches. C'est une modification apportée à notre organisation. Il y a une branche développement territorial et une branche développement touristique. Ces deux branches vont donc être rationalisées pour atteindre au final une taille optimisée», avança-t-il. Ou encore, «le déploiement de la nouvelle stratégie sera l'occasion d'un recentrage de CDG sur ses métiers de base. En effet, la nouvelle stratégie du groupe CDG privilégiera les modes d'intervention « expert», «co-financeur» et «investisseur» par rapport au mode « opérateur » adopté pendant longtemps par le groupe. Ces nouveaux modes permettent de gagner en capacité d'intervention tout en gérant au mieux les risques du groupe », explique-t-on auprès de la CDG, cette fois-ci en réponse au rapport. Malgré tout, pas question de réduire la voilure des investissements et des activités, mais plutôt continuer à investir autrement. Mais les conclusions de la Cour ne s'arrêtent pas là (voir Encadré). Pourtant une question se pose : doit-on lire en filigrane, dans ce rapport, une politique étatique désormais cataloguée comme mauvaise? Les vrais accusés n'étaient pas au procès Bras financier des pouvoirs publics, la CDG a été, à de nombreuses reprises, appelée à la rescousse pour prendre le relais d'affaires ou projets qui partaient en vrille. Port Lixus, Saïdia, et nombre d'autres projets peuvent témoigner de ces hautes sollicitations où la CDG a dû remplacer, au pied levé, des acteurs qui ont failli à leurs missions. À ces occasions, la bonne dame a souvent dû cracher au bassinet. Et à force de rattraper les ratés colossaux de nombre de projets de plans sectoriels lancés en grande pompe, la CDG a fini par se disperser, tout autant par gourmandise interne que par ces sollicitations venues d'ailleurs. D'où ces errances stratégiques que pointe la Cour. À cette remarque, le patron de la Caisse oppose une défense de son institution et parle de «perception» (de plus de 30 millions d'âmes quand même !). La CDG a donc consenti à ces investissements et rattrapages avec beaucoup de "bonheur", mission de développement oblige. «Quand on intervient dans des régions reculées (référence à Saïdia, ndlr) avec des problèmes d'attractivité, ça relève de nos missions d'intérêt général. Si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? Le Maroc doit évoluer. Les deux stations qui marchent bien dans le Plan Azur sont celles qui sont prises en charge par la CDG », rétorqua-t-il. La CDG en véritable "mère Teresa" des temps modernes donc. Soit. Ceci dit, si la responsabilité des dirigeants actuels de la CDG dans la gouvernance, dans les choix d'investissement, le choix des projets, etc. n'est pas pointée du doigt, le rapport de la Cour accuse sans pour autant les nommer ses prédécesseurs. Mustapha Bakkoury et Anas Houir Alami sont tous les deux comptables des conclusions auxquelles sont arrivés les magistrats. Mais aussi et surtout l'Etat qui, malgré les dénégations de Zaghnoun, semble bien avoir fait de la CDG sa pompe à fric. Pour ce dernier, qu'est-il prévu pour éviter de telles interventions ? Soumayya Douieb Les recommandations de la Cour Le rapport de la Cour des Comptes sur la CDG a fait remonter un certain nombre de dysfonctionnements dans les domaines de la gouvernance, de la stratégie, des investissements et de la filialisation des activités. Le rapport adresse, à l'issue de ses travaux les recommandations de la Cour (reproduites ci-dessous). ▪ De manière générale La Cour des comptes recommande: – se recentrer sur son métier de base notamment la conservation et la gestion des fonds d'épargne; – étudier l'opportunité de sortir de l'activité «bois», des sociétés de développement local et des sociétés de services aux entreprises; – réorganiser le secteur touristique et étudier l'opportunité de sortir de l'exploitation des unités hôtelières; – sortir du segment d'activité « logement économique et social ». ▪ Concernant la gouvernance La Cour des comptes recommande : – aux pouvoirs publics, de procéder à la refonte du cadre juridique et institutionnel régissant CDG, de manière à ce qu'il puisse se conformer aux meilleures pratiques de gouvernance d'entreprise. – à CDG, renforcer le dispositif de contrôle interne et mettre en place un dispositif de gestion des risques à l'échelle de tout le groupe. ▪ Concernant la stratégie et le pilotage La Cour des comptes recommande: – assortir ses choix stratégiques par des plans opérationnels réalisables selon des plannings précis et par des mécanismes d'évaluation et de suivi; – renforcer les mécanismes de pilotage afin d'assurer un suivi rapproché des filiales et participations. ▪ Concernant la création de filiales et les prises de participations La Cour des comptes recommande: – mettre les filiales et participations non autorisées en conformité avec les dispositions de la loi n°39-89 et de l'arrêté du ministre des finances du 1er avril 1960 ; – combler le déficit enregistré dans le suivi de certaines filiales et participations. Elle recommande au ministère de l'économie et des finances, en tant qu'autorité de tutelle de CDG, de s'assurer que cette dernière respecte les engagements et les objectifs au vu desquels les autorisations sont délivrées. ▪ Concernant la gestion des participations directes La Cour des comptes recommande: – formaliser des règles encadrant la gestion du portefeuille des participations directes en termes de concentration des investissements, d'exposition par secteur et par contrepartie ; – réviser la fonction pilotage des filiales et participations afin de s'orienter vers une organisation cible permettant la redistribution des rôles entre les différents intervenants en vue de pouvoir exercer un suivi efficace permettant d'éviter les chevauchements et la dilution des responsabilités ; – mettre en place une politique clarifiant les règles de remontée des dividendes par les filiales et participations et revoir les participations qui ne remontent pas de dividendes. ▪ Concernant le pilotage financier des investissements La Cour des comptes recommande : – suivre, de manière régulière, l'adéquation entre le montant des fonds propres et les risques encourus afin de s'assurer en permanence d'un niveau adapté au profil de risques ; – prendre les mesures appropriées pour rééquilibrer la part des différentes catégories d'actifs (actions, obligations, foncier et monétaire) pour une allocation optimisant le couple rendement/risque et en assurer un suivi et un reporting réguliers ; – améliorer la qualité des hypothèses et fiabiliser les données retenues pour le calcul du capital économique et en informer la Commission de surveillance ; – déployer plus d'efforts pour réduire l'exposition de CDG au risque de taux et de liquidité à travers un pilotage adéquat de l'équilibre ressources / emplois. ▪ Concernant la gestion de trésorerie La Cour des comptes recommande: – adopter une stratégie formalisée de gestion de trésorerie; – formaliser des règles pour encadrer les opérations de nivellement des comptes entre les comptes TGR et le compte central de règlement à Bank Al Maghrib; – étudier l'opportunité de mettre en place une gestion centralisée de trésorerie groupe dans le but d'optimiser les besoins et les excédents de trésorerie à l'échelle du groupe.