«Il ne faut jamais craindre qu'il y ait trop de sujets, trop de citoyens vu qu'il n'y a de richesse, ni force que d'hommes», écrivait Jean Bodin en 1577 dans sa «République». Une découverte singulière à une époque où dominait la pensée mercantiliste qui faisait, rappelons-le, de l'accumulation du métal précieux la première source de richesse. Le penseur maghrébin, Ibn Khaldoun (1332-1406), s'inspirant visiblement des préceptes de l'Islam qui hissait le travail au rang d'obligation religieuse (al3amlou 3ibada), écrivait deux siècles auparavant la même chose ou presque : «le travail est la cause de la richesse» et la valeur des produits est déterminée par la quantité de travail que leur production nécessite. Ce qui fait de cet érudit des sciences sociales un précurseur en la matière, et tout particulièrement de la théorie marxiste de la valeur-travail. Cette découverte scientifique, jamais démentie depuis, est en passe de faire l'unanimité au sein de la communauté scientifique, y compris dans le milieu des libéraux qui n'osent pas soutenir le contraire. Le dernier rapport sur le développement humain publié par le PNUD, vient de le confirmer en retenant comme thème principal «le travail au service du développement humain». Le travail y est analysé non seulement comme créateur de richesse, c'est aujourd'hui une évidence, mais aussi comme libérateur du potentiel humain et garant de la dignité humaine. Autrement dit, c'est par le travail que les hommes et les femmes s'accomplissent, se réalisent et par conséquent se libèrent. Nulle liberté n'est imaginable sans travail. De façon générale, le travail permet d'atteindre deux objectifs essentiels : 1) accroître les capacités humaines par la jouissance d'une bonne santé, l'amélioration des connaissances et un niveau de vie décent; 2) créer les conditions favorables au développement humain à travers la garantie de la sécurité et le respect des droits de l'homme, la promotion de l'égalité et de la justice sociale, la participation à la vie politique, et la réalisation de la viabilité environnementale. A contrario, le chômage (ou le non-travail) a des retombées contraires. Il provoque des privations multiples non seulement pour les personnes directement concernées mais pour la communauté dans son ensemble. Outre le manque à gagner évident en termes de richesse nationale, il est source de frustrations sociales multiples et de dérives dangereuses pour l'équilibre sociétal et la stabilité du pays. Comme la nature a horreur du vide, les personnes privées de travail trouvent des «occupations» n'importe comment et n'importe où. C'est pour cela que les questions du travail, notion plus vaste et plus profonde que l'emploi, préoccupent les pouvoirs publics et constituent un enjeu de taille capable de faire tomber des gouvernements. Le Maroc qui dispose d'une population à majorité jeune, ne peut pas se permettre de laisser une bonne partie de cette jeunesse abandonnée à son sort sans emploi et sans perspective. Il faut tout faire pour assurer la dignité à cette frange de la population qui dépasse les 10% de la population active et représente plus du tiers de la population jeune et diplômée. Nous disposons désormais, avec la Stratégie Nationale pour l'Emploi, d'une véritable feuille de route que le gouvernement actuel tente, tant bien que mal, de mettre en œuvre. On doit mettre à profit cette « aubaine démographique » dont le pays bénéficie. Atteindre à moyen terme le plein emploi et garantir un travail pour tous ne relève pas de l'utopie. C'est un objectif réalisable à condition qu'il y ait une volonté politique réelle et un engagement de tous les acteurs. A titre d'exemple, la généralisation de l'enseignement préscolaire générerait autour de 100000 emplois dans le public et dans le privé. Des opportunités existent également dans divers créneaux : emplois de proximité, travaux communaux qui viendraient compléter la politique des grands chantiers. Dans cette même optique, il est important d'encourager l'économie sociale et solidaire qui dispose d'un potentiel considérable d'emplois dans le tissu associatif, et enfin de promouvoir les coopératives artisanales et agricoles. Pour ce faire, il faut assainir sans tarder le statut foncier en «privatisant» les terres collectives qui constituent une entrave sérieuse à l'investissement... Pour lutter contre le chômage, Keynes suggérait, dans une phrase célèbre, d'embaucher des chômeurs pour creuser des trous le matin, et les reboucher le soir. Nous n'allons pas jusque-là. Mais en déployant notre intelligence collective et en fédérant nos efforts, on pourrait y parvenir. Tant que ça marche ailleurs, il n'y a aucune raison que ça ne soit pas le cas chez nous!