Les écritures, "tirra", sont associées dans la poésie amazighe au destin des hommes. Chaque être ne fait que subir et vivre "ce qui est écrit", ce qui est décidé. Et c'est le talb, "fkkih", qui est le détenteur du pouvoir d'écrire, de lire et d'accéder à un univers réservé aux initiés. Le "talb" est un guérisseur, celui qui comprend le sens des écritures, qui les déchiffre et peut, également, influer et changer le destin d'un être. Les vers qui suivent, tirés de l'ouvrage établi par Peyron, nous donnent un aperçu sur quelques postures attribuées au "ttalb" dans la poésie amazighe. Dans ce vers, le "Ttalb" est ce guérisseur impuissant face au "mauvais œil". Ses recettes ne peuvent rien contre le pouvoir maléfique de l'œil: Ur illi ddwa n unna tewwet titt Mghar izri kull zi ttelba Point de remède au mauvais œil Le pouvoir des tolba est inefficace. Ici, le ttalb est proche du sorcier qui exhorte les forces invisibles, les domine et réussit, par le biais d'un rituel silencieux, à déterrer un trésor enfoui dans les profondeurs de la terre. Le silence, opposé au "radotage", nous renseigne sur un rituel que seul le professionnel qu'est le ttalb peut mener à terme: Ur da ytteri lkenz awal iâddan Hat ifesti as t ttawin ttelba Point de radotage pour la quête du trésor Les tolba le déterrent par un rituel du silence Dans ce vers, le talb est magicien. Ses écrits ont un pouvoir surnaturel: amener l'amant à se plier aux exigences de l'amante. Le talb est celui qui, par son pouvoir sur les écritures, et donc les destins, peut obliger l'amoureux à revenir chez son amante: Meqqat da tessifit imazan, Meqqar da ttarud gher ttelba Ata wer cem i gigh g lxader Tu as beau me contacter par émissaire Tu as beau consulter les tolbas Mon cœur ne t'aime pas. Dans ce dernier exemple, le ttalb est toujours magicien, sorcier. C'est lui qui est la cause de la séparation de deux amoureux. Il est source de malheur et détenteur d'un pouvoir surnaturel et maléfique : A ttalb nna s igan i wmeddakwel ca han rbbi Ad ac ibby afus nna s as tarud allig i yâeffa O talb qui m'a séparé de mon amant Dieu coupera ta main qui a scellé notre séparation. Ainsi, l'image que nous donne la poésie amazighe du ttalb est essentiellement "négative". Elle en fait un individu obscur, muni d'un pouvoir cabalistique qui agit sur le destin des êtres. Cette image figée est à lier au statut du ttalb au sein de la société amazighe, de tradition orale. Le talb est ce lettré qui manipule les écritures. Son statut est proche du sorcier ou du magicien des sociétés africaines.