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Imalas N Tamazight : Mme Hennou Laraj * : «Le combat amazighe est un combat pour la démocratie»
Publié dans Albayane le 02 - 01 - 2011

La page Amazigh d'Al Bayane accueille, cette semaine, Mme Hennou Laraj, chercheur à l'IRCAM. Pour elle, le combat amazighe a le mérite de s'inscrire dans le camp de la modernité en défendant les valeurs qui sont les siennes comme la laïcité ou la lutte contre la peine de mort par exemple.
ALBAYANE: Je vous demande d'abord de vous présenter aux lecteurs de notre page hebdomadaire d'Albayane.
H.Laraj: Je m'appelle Hennou Laraj, native d'El Kebab, lieu de mes études primaires jusque' au CM1, puis Meknès jusqu'au bac. Et la faculté des lettres à Rabat dans les années 70. DEA en sciences de l'éducation et enseignant la même discipline au CPR – Souissi de Rabat pendant une vingtaine d'années. Et depuis 2003 à l'IRCAM, au Centre de Recherche Didactique et des Programmes Pédagogiques. Coauteur de manuels scolaires et de manuel pour l'apprentissage de l'amazighe pour les adultes. Je voudrais souligner que je suis signataire du Manifeste de mars 2000, pour la reconnaissance de l'amazighité du Maroc.
Une question d'ordre général, quelle est votre appréciation du combat amazighe au Maroc ?
De prime abord, pour moi, le combat amazighe au Maroc est un combat juste parce que c'est un combat pour des droits indéniables tels que le droit d'exister et le droit à la dignité. C'est un combat légitime pour la reconnaissance de l'amazighité du Maroc et contre la minorisation des imazighns dans leur propre pays.
C'est un combat contre le mépris et pour la mémoire parce qu'il lutte contre l'effacement des traces amazighes dans ce pays : contre la volonté d'une certaine idéologie qui veut changer les noms des lieux, refuser les noms amazighs pour les enfants, manipuler l'histoire du Maroc qui commencerait seulement il y a 12 siècles, affirmer que tout fait civilisationnel de ce qui existe au Maroc est venu d'ailleurs et enfin contre ce qui veulent arabiser la vie publique dans notre pays.
Le combat amazighe est un combat pour la démocratie. Une démocratie qui doit être visible dans la constitution par la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle, une démocratie qui responsabilise et qui permet à chaque marocain de trouver sa place dans le développement du Maroc.
Le combat amazigh se bat, aussi, pour les droits économiques et sociaux des régions les plus isolées qui n'ont pas, toujours, le loisir de profiter des biens de leur région. C'est le cas d'Anfgou et de Sidi Ifni, par exemple, qui voient leurs ressources régionales partir ailleurs.
Le combat amazighe représente, également, l'autre point de vue contre le matraquage médiatique de l'arabité du Maroc, et de la région d'Afrique du Nord. L'autre point de vue contre ce conditionnement verbal, où tout est bouleversé même la géographie. Où tout est d'abord arabe avant d'être marocain.
Le combat amazighe a le mérite, par ailleurs, de s'inscrire dans le camp de la modernité en défendant les valeurs qui sont les siennes comme la laïcité ou la lutte contre la peine de mort par exemple.
En bref, ce combat signifie le refus de se faire petit dans son coin et de s'excuser d'exister autrement.
Maintenant, comme dans tout combat il ne faut pas se tromper d'objectifs ni de stratégies. Chaque action que chaque militant entreprend doit répondre à ces questions : qu'est ce que cela va apporter de positif à l'amazighité ? En quoi cela va faire avancer la cause ? Il faut éviter de donner aux détracteurs de l'amazighité les arguments pour vous abattre surtout si vous n'avez pas les mêmes moyens, qu'eux, pour vous défendre.
Quelle évaluation faites-vous de l'enseignement de l'amazighe ?
Il y a deux constats :
1- D'un côté il y a la reconnaissance politique de l'amazighe comme composante essentielle de l'identité marocaine dans le Discours Royal d'Ajdir qui annonce, aussi, l'intégration de l'amazighe dans le système éducatif pour tous les enfants de ce pays ; cette reconnaissance, de taille, a été suivie par une reconnaissance institutionnelle au niveau du MEN , d'abord, via la convention qu'il a signée avec l'IRCAM et dans laquelle sont consignés les rôles impartis à chacune de ces institutions pour la mise en place de cet enseignement. Reconnaissance, ensuite, à travers toutes les notes ministérielles qui concernent l'amazighe et qui sont adressées à toutes les académies du Royaume. Depuis septembre 2003, donc, l'amazighe existe à l'école publique marocaine, et même dans quelques écoles privées. Des filières et des masters ont été créés dans trois universités, Agadir, Fès et Oujda.
Cet enseignement devait être généralisé à tous les niveaux et à tous les cycles de l'enseignement marocain en 2010. 2. D'autre côté, au niveau des réalisations, nous constatons qu'en décembre 2010 l'amazighe n'est enseigné que dans quelques 3600 / 7054 écoles primaires, existantes actuellement, avec environ 560 000/ 3 863 838 élèves ; soit 14% seulement de l'effectif national. Rien dans le secondaire. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
Quant à l'université les filières et les masters créés n'existent pas officiellement, elles squattent les filières des autres langues.
Quand on analyse la situation de l'enseignement de l'amazighe, le mot qui le caractérise le plus est la discontinuité. Discontinuité sur le plan vertical : pas de continuité d'un niveau à l'autre. Dans la majorité des cas cet enseignement s'arrête en 2ème année primaire.
Discontinuité, sur le plan horizontal, il n' y a pas ou très peu d'écoles où l'enseignement est généralisé à tous les niveaux. Tout cela fait de la langue amazighe, un enseignement optionnel qui ne dit pas son nom.
Ces difficultés à la généralisation de cet enseignement sont imputées, selon le MEN, au manque de ressources humaines, c'est à dire au manque des enseignants. Mais alors pourquoi ne pas former plus d'enseignants en puisant dans les filières amazighes à l'université ? Pourquoi n'affecte- t –on pas tous les enseignants formés en amazighes à l'enseignement de cette langue ?
Ce qui ressort aussi de l'analyse, c'est que cette discontinuité est liée au bon vouloir de certaines académies qui ignorent totalement les notes ministérielles. C'est ainsi que 10 académies sur 16 font de la résistance aux décisions prises par le ministère de tutelle. On justifie cela par le principe de la sacro sainte autonomie des académies. Sauf que cette autonomie ne se manifeste et ne s'applique que dans le cas de l'amazighe.
L'enseignement de l'amazighe est donc en panne. Cette situation a des effets négatifs sur les enseignants et sur les élèves. Des frustrations pour les premiers qui voient leurs efforts non récompensés et pour les seconds qui ne peuvent pas continuer leur apprentissage. Ajouter à cela, le non prise en compte des notes obtenues par les élèves et le rejet que subissent certains enseignants de la part de certains directeurs d'établissements scolaires.
Donnez-nous un bilan du travail accompli par l'IRCAM dans ce domaine ?
Le travail accompli par L' IRCAM est considérable. Pour s'en rendre compte il faut nous placer avant l'IRCAM il y a neuf ans. C'est vrai qu'il existait de nombreux travaux de thèses notamment sur les variantes amazighes mais chacun le transcrivait dans la graphie de son choix avec les règles orthographique de son choix. Aujourd'hui sur le plan de l'aménagement de la langue, il y a une codification de la graphie; l'harmonisation des règles de grammaire; l'élaboration d'un lexique grammatical; l'élaboration d'une grammaire de l'amazighe; l'élaboration de dictionnaire scolaire.
Sur le plan didactiques et pédagogiques, le primaire est couvert en manuels scolaires et guides des professeurs de la 1ère à la 6ème année, en plus des contes, graphisme, BD, comptines, CD….
Sur le plan de la formation, l'IRCAM a participé à la formation de plus 12 000 enseignants, formé 300 inspecteurs, 558 Directeurs et des formateurs des CFI.
Un dispositif de formation des enseignants du primaire et du secondaire collégial a été élaboré avec la collaboration des formateurs des CFI et du CPR.
Pour faciliter la formation a effet multiplicateur, un dispositif de formation a été conçu en collaboration avec des inspecteurs chargé de l'amazighe.
Et bien sûr, l'IRCAM reste en phase avec le MEN quant aux innovations pédagogiques adoptées par ce ministère. C'est ainsi que les chercheurs du Centre de Recherche Didactique et des Programmes Pédagogiques ont adapté l'enseignement de l'amazighe à la pédagogie d'intégration et ont produit, dans cette langue, tous les outils didactiques nécessaires à cette nouvelle approche pédagogique.
Que faire pour répondre aux besoins des adultes en matière d'enseignement de l'amazighe ?
Il faut que les personnes, qui le désirent, s'inscrivent au début de l'année pour les cours d'amazighe pour adultes que l'IRCAM organise depuis deux ans. Maintenant, on est en entrain de réaliser un CD pour l'auto apprentissage des variantes de l'amazighe.
D'aucuns pensent que l'IRCAM est une institution de récupération des amazighes : qu'en pensez-vous ?
Pourquoi faut- il toujours parler de récupération quand il y a une réponse positive à des attentes de citoyens. La création de l'IRCAM est une bonne chose. La question amazighe n'a jamais été aussi visible. Et quand on regarde le travail accompli par cette institution, on ne peut que se féliciter de sa création.
Que pensez-vous de la création de la Chaîne amazighe (TV 8) ?
Personnellement, je n'étais pas pour une chaîne réservée à l'amazighe. C'est réduire Imazighns à une minorité étrangère. Je souhaitais l'amazighe sur toutes les chaînes marocaines pour que cette diversité culturelle dont on parle, tant, soit palpable. Maintenant que la chaîne est là, c'est une jeune chaîne, il faut lui donner les moyens de se maintenir et d'évoluer.
Je voudrais, cependant, faire deux remarques : la première c'est que cette chaîne n'ayant pas d'accession terrestre, exclut une grande partie des amazighophones, populations destinataires, de prédilection, par ce média.
Deuxième remarque, je voudrais lancer un appel aux responsables et leur demander de veiller à un équilibre entre les variantes amazighes, surtout au niveau des présentateurs et des présentatrices. Il faut qu'une majorité de spectateurs se trouve représentée par cette chaîne.
Quels pourront être les autres vecteurs de diffusion et de vulgarisation de la langue et de la culture amazighe ?
Il faut souligner, d'abord, que la langue amazighe est en danger de mort. Si nous ne faisons rien, elle disparaîtra en 2050, selon les estimations de l'UNESCO.
Pour répondre à votre question, les plus grands vecteurs sont la famille, l'école et les médias et, plus, bien sûres toutes les activités qui sont menées par les associations pour faire connaître cet aspect fondamental de la dimension identitaire marocaine.
Au niveau familial il y a, surtout, la transmission de la langue et de la culture par les parents. Les parents amazighophones ont une responsabilité à ce niveau. Un travail de mémoire et de transmission de la langue à ses enfants. C'est cette transmission qui a permis à l'amazighe d'arriver jusqu'à nous.
Au niveau de l'école, il y a notamment la transmission par l'enseignement et ensuite par des comportements respectant les valeurs des droits de l'homme dont celui de la diversité culturelle. Le rôle de l'école, à travers les valeurs qu'elle transmet, est de préparer les élèves à être des citoyens marocains plus tard défenseurs de ces valeurs comme faisant partie intégrante de leur identité et de leur marocanité.
C'est ainsi que la dimension amazighe doit être présentée dans tous les programmes qui touchent le Maroc et l'Afrique du Nord pour rendre visible cette identité plurielle, qui est la nôtre.
Du côté des médias, il s'agit de donner plus d'espace et de visibilité à cette diversité linguistique et culturelle. Il faut rappeler aux chaînes de télévision quelles ont des cahiers de charges à respecter, qui donnent à l'amazighe 30% dans leurs programmes. Comme pour l'école, la diversité culturelle doit être présente sur toutes les chaînes ! La chaîne de Laayoune, aussi, qui ignore les imazighns du Sahara.
Où se situe, selon vous, l'avenir du combat amazighe ?
Je voudrais vous répondre que l'avenir du combat amazighe s'arrête dans le fait de se rassembler autour de fondamentaux et de s'ouvrir sur les autres mouvements démocratiques. Cependant, la réalité montre que si c'est nécessaire, ce n'est pas suffisant. Malgré quelques avancées, il ne faut pas se leurrer, la question amazighe est fondamentalement une question politique à laquelle il faut trouver une réponse politique. Il faut construire, donc, une force politique qui compte et qui aura le pouvoir de négocier pour faire avancer la cause amazighe.
Etes- vous optimiste pour l'avenir de l'amazighité au Maroc ?
Malgré les problèmes qui entravent l'avancée de l'amazighité, je veux rester optimiste. Car le Maroc évolue et il y a une relève de jeunes militants amazighes.
10- Votre dernier mot.
Je voudrais, remercier le journal Albayan pour ces pages réservées l'amazighe et saluer les responsables pour le maintien de leurs idéaux démocratiques.
Propos recueillis par : Moha Moukhlis
* Chercheur à l'IRCAM
Publication
«Les Premiers Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil»
Si pendant longtemps, nous étions confrontés à plusieurs hypothèses sur l'origine des Imazighen, aujourd'hui la recherche scientifique et les dernières découvertes en matière d'archéologie et préhistoire nous permettent de voir plus clair et d'éliminer certaines hypothèses qui ne semblent plus fondées. Parmi ces hypothèses celle qui fait venir Imazighen du Moyen Orient. Il est évident que cette hypothèse sert énormément les tenants de l'idéologie arabo-musulmane.
Introduction.
Protoméditerranéens de la préhistoire, Libyens et Garamantes de l'Antiquité, Berbères du Moyen Âge, enfin, Imazighen actuels : telle est l'extraordinaire permanence de l'histoire du peuple berbère, comme l'exprime avec justesse Gabriel Camps qui, assisté d'une équipe de collaborateurs, lui consacre une magistrale encyclopédie berbère.
Le véritable nom des Berbères est Amazigh, au pluriel Imazighen. Sa racine est construite sur un radical constitué des lettres Z GH ou Z Q et remonte au moins à l'Antiquité. Elle se retrouve chez les Maxyes d'Hérodote, les Meshweswh des inscriptions égyptiennes, les Imouhagh des Touaregs, les Imagighen de l'Air, lesImazighen du Rif et du Haut Atlas.
« Au niveau sémantique, de nombreux chercheurs ont pensé et écrit qu'Amazigh signifiait “homme libre, noble” (ce qui est du reste le cas de beaucoup de noms d'ethnies dans le monde) [...]. Elle n'est pourtant certainement pas fondée... » (Chaker S. 1987, p. 566-567) et le sens précis de ce terme... reste donc à découvrir.
Dans un de ses ouvrage, Hachid a esquissé l'apparition des Berbères du Sahara central, plus précisément dans l'art préhistorique du Tassili des Ajjer, avec les Protoberbères Bovidiens (Hachid M. 1998). Reconstituer le peuplement préhistorique du Sahara fut l'un des objectifs de ce travail, mettre en valeur sa contribution au progrès de l'humanité, le fil conducteur. Longtemps, de la Méditerranée orientale au golfe Persique, l'incontournable Croissant fertile fut considéré comme le seul centre fondateur de la civilisation de l'Ancien Monde. À partir du Proche-Orient, les changements fondamentaux engendrés par le Prénéolithique et le Néolithique - notamment l'agriculture - ont été transmis à l'Europe, par les voies du bassin du Danube et celle de la Méditerranée occidentale. Bien sûr, c'est en tout dernier lieu que l'on considérait que le continent africain allait à son tour en bénéficier. Tel est certes le cas pour l'Europe, mais pas pour l'Afrique.
Le Croissant fertile ne fût pas le seul pôle de civilisation.
Le Sahara central en fut un autre. Si penser l'Afrique, c'est rejoindre la quête des origines de l'homme, penser le Sahara, c'est rejoindre celle des origines civilisationnelles. Les innovations économiques et culturelles qui y naquirent, parfois avant même celles du Proche-Orient, comme l'invention de la poterie, par exemple, et de tout un fonds symbolique et mythologique, jouèrent le rôle d'une matrice civilisationnelle qui apporta progrès et spiritualité aux hommes tant en Afrique que sur les rives de la Méditerranée. Aujourd'hui, de plus en plus, il apparaît qu'un fonds culturel africain, au centre de ce vaste Sahara, n'a pas été sans influence sur ses régions périphériques, et notamment certaines cultures de la vallée du Nil.
Le présent ouvrage se situe dans la continuité chronologique et historiographique du précédent ; il défend les mêmes principes valorisants de réécriture de l'histoire. Il raconte essentiellement l'histoire des premiers Berbères du Sahara, depuis leur apparition dans les derniers millénaires de la préhistoire jusqu'à la veille de l'islam en passant par l'Antiquité. Ce sont d'abord les Protoberbères de la préhistoire, ces élégants pasteurs et chasseurs, puis, les Paléoberbères, Libyens et Garamantes de l'Antiquité, cavaliers et conducteurs de chars émérites. Leurs successeurs des temps médiévaux et modernes, les grands chameliers Sanhadja, les futurs Touaregs, complètent le long cheminement historique de ce groupe qui résistera à toutes les adversités. La plus éprouvante fut celle de survivre à l'âpreté du désert où le choix de rester libre, souvent, le guida.
Au Sahara, la reconstitution de ce long cheminement historique doit presque tout à l'archéologie, et notamment à l'art rupestre, ainsi qu'aux monuments funéraires de ces anciens Berbères. Elle le doit aussi aux précieux témoignages de l'art et des chroniques de l'Egypte prédynastique et pharaonique, des auteurs gréco-latins, à des éléments historiques émanant du Proche-Orient, du monde égéen, des empires carthaginois et romains. Les premiers Berbères du Sahara ne vivaient pas isolés dans leurs rochers : ils n'ignoraient pas le tumulte du monde méditerranéen et souvent y participèrent, allant parfois jusqu'à mettre en danger la puissante Egypte des pharaons et à présider à la destinée de cet empire.
Nous ne pouvions décrire les Protoberbères du Sahara sans nous trouver confrontée à la question fondamentale de l'apparition des Berbères, sachant que les traces les plus anciennes de ce peuple se trouvent au Maghreb. Aujourd'hui, les grandes lignes d'une théorie synthétique des origines des Berbères se dessinent par la convergence de trois disciplines auxquelles nous aurons successivement recours : la paléontologie humaine, la linguistique historique et l'archéologie (l'avenir exigera qu'une troisième voie soit exploitée, celle de la génétique).
Les données de ces disciplines concourent de plus en plus à démontrer que la berbérité émerge au Maghreb, il y a environ... 11 000 à 10 000 ans ! Si, comme nous allons le voir, l'origine proche-orientale qu'on a longuement prêtée aux Berbères est aujourd'hui caduque, celle de leur identité et de leur culture est assurément autochtone. Pour notre part, nous défendrons une position plus nuancée : les ancêtres les plus lointains des Berbères sont de pure souche africaine, mais ils sont déjà mixtes. Les uns, les Mechtoïdes, sont strictement autochtones du Maghreb ; les autres, les Protoméditerranéens Capsiens, sont arrivés sur les rives de la Méditerranée à une époque si reculée de la préhistoire que se poser la question de savoir s'ils sont étrangers ou non perd tout son sens. Ces deux groupes vont s'interpénétrer anthropologiquement et culturellement à tel point que l'on peut affirmer que la berbérité en tant qu'identité et culture s'est forgée sur la terre d'Afrique du Nord et nulle part ailleurs.
Le recouvrement de l'identité dans ses racines les plus profondes est un travail de mémoire avant d'être un devoir, un travail que l'historien se doit de mener objectivement et avec responsabilité. Faire une synthèse de cette mémoire, découvrir comment celle-ci, par certains aspects, peut continuer de fonctionner dans le présent en quelques endroits de cette vaste Berbérie, fut un exercice qui nous révéla beaucoup de surprises tant sur le terrain que plume à la main.
Dans un monde où les marchés règnent en maîtres, on oublie que la vraie richesse d'une nation se mesure à celle de son niveau de savoir, et ce savoir passe par sa mémoire. Toutefois, cette mémoire ne saurait être un “barricadement” identitaire car l'Afrique du Nord, dès sa passionnante préhistoire, était déjà une terre multi-culturelle, riche de sa diversité ethnique, comme le montre le Néolithique saharien, par exemple, où Noirs, Blancs et Métis, langue et religions diverses, se côtoyaient sans qu'il y ait guerre mondiale. Aujourd'hui, cela s'appellerait une nation.
Dans le cadre de notre travail, la réécriture de l'histoire ancienne des Berbères était inévitable : nous aborderons les raisons pour lesquelles certaines idées, certaines conceptions ainsi qu'une terminologie, anciennes et surtout orientées, ne peuvent plus avoir cours, car elles sous-tendent une approche subjective de l'histoire des peuples des rives sud de 1a Méditerranée, trop souvent sous-évaluée par rapport à celle des rives nord. La diffusion civilisationnelle systématiquement orientée du nord vers le sud, cette écriture victime d'un dialogue nord-sud historique et européo-centrique ne peuvent plus être admises. Le changement ne peut que s'inscrire dans une terminologie nouvelle, plus précise et plus juste, dans une réécriture exprimant les connaissances à travers des critères et des conceptions objectifs.
Il y a l 000 à 10 000 ans, les premiers berbères de l'Afrique
Les fossiles humains
La thèse de l'origine proche orientale des Berbères ne peut plus être admise. Comme l'a très justement souligné Olivier Dutour, médecin et anthropologue : «C'est en effet sur un nombre très réduit de fossiles humains que reposent les connaissances de l'aspect physique des populations d'Afrique septentrionale au Pléistocène supérieur, nombre qui se réduit à zéro pour le Sahara, exception faite de la vallée du Nil» (Dutour 0. 1997, p. 411). Le constat est hélas fort vrai, mais il ne doit pas nous empêcher d'exposer le peu de connaissances que nous possédons à ce sujet.
En Afrique du Nord, à la fin du Paléolithique - plus précisément appelé Epipaléolithique au Maghreb - puis au Néolithique, il existe, selon la théorie classique, deux variétés d'Homo sapiens sapiens modernes. La plus ancienne est celle des Mechtoïdes, du nom de Mechta el-Arbi, au sud-ouest de Constantine, un des deux sites nord-algériens, avec Afalou Bou Rhummel, à l'est de Béjaïa, où ce type humain a été identifié. Il est l'équivalent de l'Homme de Cro-Magnon en Europe dont il ne diffère que par quelques caractères physiques (et peut-être ne sont-ils, tous les deux, que des variétés d'une forme africaine plus ancienne). Les Mechtoïdes sont les auteurs de la culture dite « ibéromaurusienne » que l'on sait remonter aujourd'hui jusqu'à 22 000 ans BP (21 900 plus ou moins 400 ans BP à Taforalt au Maroc) Les populations mechtoïdes du Maghreb ont principalement vécu dans les régions du littoral et du Tell, mais leur présence est attestée plus au sud, dans les Hautes Plaines et l'Atlas saharien en Algérie, ainsi que dans le Haut et Moyen Atlas au Maroc. Le terme « ibéromaurusien », évoque des contacts entre l'Espagne et le Maghreb, comme le pensait P. Pallary qui a identifié ce faciès en 1899, mais on sait qu'il n'en est rien.
Références de l'ouvrage : Malika Hachid, Les Premiers Berbères. Entre Méditerrannée, Tassili et Nil, Ina-Yas / Edisud, Aix-en-Provence, 2000, 317 pages.
Par Malika Hachid
Grammaire moderne du kabyle
Kamal Naït-Zerrad
Ce livre est le premier ouvrage de Kamal Naït Zerrad qui se présente comme une grammaire du kabyle. En effet, dans ses ouvrages précédents — comme dans ceux d'autres «grammairiens kabyles» tel Mouloud Mammeri — l'auteur a toujours mis le terme kabyle entre parenthèses, parlant plutôt de grammaire du berbère, la spécificité et la singularité de tel ou tel parler étant mises de côté. Dans cette Grammaire moderne du kabyle, ce qui est mis en avant est donc une description du kabyle contemporain, tel qu'il est parlé et tel qu'on peut le lire dans la production littéraire kabyle depuis la fin du XIXe siècle.
Cette grammaire traite de la morphologie de la langue kabyle mais aussi de la syntaxe, parent pauvre des grammaires publiées. On peut en savoir gré à Kamal Naït Zerrad d'avoir consacré quatre chapitres à cet aspect de la langue. Il s'agit là d'un premier pas dans l'étude de la pratique de la langue. Peut-être suivront des ouvrages sur la rhétorique kabyle ?
Cette grammaire donne une analyse assez complète de la langue et elle est illustrée d'exemples précis. Sans se limiter à utiliser les catégories grammaticales et syntaxiques du français, l'auteur met à profit cette base pour aller plus loin dans la description du fonctionnement du kabyle. Ses explications sont assez claires et précises pour faire de cet ouvrage un outil de travail indispensable pour les étudiants et les enseignants.
On appréciera, à la fin de cet ouvrage, le petit recueil de textes kabyles tirés du Fichier de documentation berbère, publié par les Pères blancs en Kabylie, et désormais introuvable. On peut enfin saluer l'initiative de Kamal Naït Zerrad de présenter des textes tirés des Cahiers de Belaïd. Il s'agit du premier ouvrage écrit en kabyle par un Kabyle, Belaïd At Ali, dont l'œuvre gagnerait à être connue.
Karthala, Paris 2001, 226 p., 160 x 240, 20 ?
ISBN 2-84586-172-9
Le Ttalb dans la poésie amazighe
Les écritures, “tirra”, sont associées dans la poésie amazighe au destin des hommes. Chaque être ne fait que subir et vivre “ce qui est écrit”, ce qui est décidé. Et c'est le talb, “fkkih”, qui est le détenteur du pouvoir d'écrire et de lire, accéder à un univers reservé aux initiés. Le talb est un guerisseur, celui qui comprend le sens des écritures, qui les déchiffre et peut, également, influer et changer le destin d'un être. Les vers qui suivent nous donne un aperçu sur quelques postures attribuées au ttalb dans la poésie amazighe.
Dans ce vers, le Ttalb est ce guerissuer impuissant face au “mauvais oeil”. Ses recettes ne peuvent rien contre le pouvoir maléfique de l'oeil:
Ur illi ddwa n unna tewwet titt
Mghar izri kull zi ttelba
Point de remède au mauvais oeil
Le pouvir des tolba est inéfficace.
Ici, le ttalb est proche du sorcier qui exhorte les forces invisibles, les domine et réussit, par le biais d'un rituel silencieux, à déterrer un trésor enfoui dans les profondeurs de la terre. Le silence, opposé au “radotage”, nous renseigne sur un rituel que seul le professionnel qu'est le ttalb, peut mener à terme:
Ur da ytteri lkenz awal iâddan
Hat ifesti as t ttawin ttelba
Point de radodage pour la quête du trésor
Les tolba le deterre par le rituel du silence
Dans ce vers, le talb est magicien. Ses écrits ont un pouvoir surnaturel: amener l'amant à se plier aux exigences de l'amante. Le talb est celui qui, par son pouvoir sur les écritures, et donc les destins, peut obliger l'amoureux à revenir chez son amante:
Meqqar da tessifit imazan,
Meqqar da ttarud gher ttelba
Ata wer cem i gigh g lxader
Tu as beau me contacter par émissaire
Tu as beau consulter les tolbas
Mon coeur ne t'aime pas
Dans ce dernier exemple, le ttalb est toujours magicien, sorcier. C'est lui qui est la cause de la séparation de deux amoureux. Il est source de malheur et détenteur d'un pouvoir surnaturel et maléfique.
A ttalb nna s igan i wmeddakwel ca han rbbi
Ad ac ibby afus nna s as tarud allig i yâeffa
O talb qui m'a séparé de mon amant
Dieu coupera ta main qui a scéllé notre séparation
Ainsi, l'image que nous donne la poésie amazighe du ttalb est essentuiellement “négative”. Elle en fait un individu obscure, muni d'un pouvoir “cabalistique” qui agit sur le destin des êtres. Cette image figée est à lier au statut du ttalb au sein de la société amazighe, de tradition orale. Le talb est ce lettré qui manipule les écritures. Son statut est proche du sorcier ou du magicien des sociétés africaines.
M.M
Tirra. Aux origines
de l'écriture au Maroc
Corpus des inscriptions amazighes des sites d'art rupestre
Ahmed Skounti, Abdelkhalek Lemjidi, El Mustapha Nami
(IRCAM, 2004)
Première publication de l'Institut Royal de la Culture amazighe, «Tirra. Aux origines de l'écriture au Maroc. Corpus des inscriptions amazighes des sites d'art rupestre», constitue, certainement, un ouvrage de référence, en raison de la qualité de la recherche qui le sous-tend et de l'analyse scientifique qui y est effectuée. C'est une référence car il permet à un large public d'accéder à un patrimoine national mal ou peu connu. C'est un travail de recherche régi par une précaution scientifique parce que les auteurs ne se sont pas aventurés à porter des jugements hâtifs ou émettre des interprétations stéréotypées sur l'objet de leur recherche. Ils ont réussi à regrouper un patrimoine rupestre éparpillé dans différents ouvrages et articles, à baliser le terrain et proposer des pistes de recherche. Des commentaires des auteurs se dégage un message, maintes fois réitéré, appelant pour la sauvegarde d'un héritage national qui s'inscrit dans notre mémoire nationale collective.


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