Pour Ahmed Aouayach, président de la Comader, le gouvernement doit prévoir des mesures complémentaires et une aide conséquente si la situation continue de se détériorer. Cela ne l'empêche de dire que les premiers effets du plan commencent à se faire sentir dans la mesure où la flambée des prix de l'orge qui a accompagné la sécheresse les premières semaines devient aujourd'hui éphémère et tout s'écroule devant les spéculateurs. Toutefois, ajoute t-il, à teindre l'autosuffisance en termes de production de blé relève de l'impossible. Son évaluation du bilan du PMV est globalement positive. Le PMV est un puzzle dont les pièces se mettent en place d'une année à l'autre. Le président de la Comader affirme, par ailleurs, qu'au niveau de la compétitivité des produits agricoles, nous sommes fragiles et parfois victimes d'une concurrence déloyale. Sur le chapitre des relations Maroc-UE, Ouayach se dit, étonnée de cette guerre permanente et non justifiée qui marque les relations Maroc/UE. Les problèmes sont purement politiques et n'ont rien à voir avec l'économique et le Maroc ne sera pas le seul perdant en cas de blocage de l'accord de libre-échange. Il reste convaincu que le Maroc peut être un vecteur d'une grande relation Nord/Sud pour favoriser le partenariat Sud/Sud. Al Bayane : la campagne agricole 2015/2016 est-elle, à votre avis, aujourd'hui totalement compromise à cause de l'absence des pluies ? Y-a-t-il encore un petit espoir pour sauver ce qui peut être sauvé de la campagne céréalière, comment ? Dans le meilleur des cas, quel sera le rendement ? Ahmed Ouayach : La situation est très préoccupante. L'espoir aujourd'hui est d'arriver à limiter les dégâts. Il faut préciser dès le départ que l'indicateur de la campagne agricole est la culture des céréales, qui constitue 75% de la superficie agricole utile et localisée essentiellement dans les zones Bour, par conséquent à la merci des aléas climatiques. Les périmètres irrigués sont consacrés à d'autres cultures également stratégiques : production des semences sélectionnées des céréales, sucre, lait, fruits et légumes. Nous saluons cette initiative de mettre à l'abri de la clémence du ciel les semences des céréales pour garantir un bon démarrage, espérons-le, de la prochaine campagne agricole. La totalité de la culture céréalière est touchée, le déficit hydrique concerne toutes les régions du Maroc. Les dégâts sont généralisés, mais à des degrés variables d'une région à l'autre. Les régions considérées comme le grenier du Maroc sont les plus touchées: Chaouia et Saïs (Fès, Meknès). La situation est critique et préoccupante. Plusieurs cas de figures cohabitent: des superficies non semées, des parcelles semées puis abandonnées, des parcelles non récoltables, le nombre de parcelles récoltables se réduit jour après jour. L'effet combiné du déficit hydrique et des chaleurs, s'il se maintient encore pendant quelques semaines, peut conduire à une situation difficile à maitriser. Dans le meilleurs des cas, la production céréalière pour cette campagne sera moyenne voire faible à médiocre. Ce scénario nous rappelle le triste souvenir de 1995 et 2007. L'autre filière très touchée par les effets de la sécheresse c'est l'élevage. L'élevage des bovins (qui produit la viande et le lait) et celui des ovins concernent une bonne partie (plus de 80%) des agriculteurs surtout les petits d'entre eux. Cette activité est considérée comme un produit d'épargne. Néanmoins, valeur d'aujourd'hui, les pâturages tiennent toujours compte tenu des récentes petites pluies qui sont tombées. Le peu de pluies enregistré a permis d'atténuer la dégradation. Toutefois, si cette situation persiste et si l'élevage est touché, chose que je n'espère pas, nous allons rentrer carrément dans une situation catastrophique. Ce qui est sûr c'est qu'à la date d'aujourd'hui, le cheptel tient encore bon. Il y a certes, une première alarme dans la mesure où on doit s'attendre à tout. Le rouge n'est pas encore allumé mais les clignotants sont déjà à l'orange. Mais si cette situation perdure, ça sera la campagne agricole la plus difficile depuis l'indépendance. On reste tout de même optimiste. La baisse des disponibilités en eau, figure, également, parmi les répercussions négatives de la sécheresse. Le niveau des barrages est situé à 60% actuellement. Malheureusement, les barrages continuent de se vider à force d'une utilisation, je ne dirais pas abusive, mais importante pour sauver ce qui peut être sauvé, avec tout ce que cela entraine comme coût supplémentaire pour l'agriculteur en zone irriguée. Bref, on est à la limite de la rentabilité de la culture. Des agriculteurs pensent déjà à arrêter l'hémorragie et à continuer à verser l'eau dans le sable. Les agriculteurs des secteurs irrigués placent leur espoir dans l'arrivée des pluies même tardive. Les ressources hydriques souterraines subissent directement les conséquences de l'absence de pluies. Vous n'êtes pas sans savoir que quand l'eau se raréfie dans les cours d'eau, en plus de la soif, le cheptel est de plus en plus exposé aux maladies. Par ailleurs, les chaleurs excessives et exceptionnelles n'ont pas permis l'arrivée des neiges, facteur important pour l'alimentation des eaux souterraines, les sources et particulièrement, certains grands barrages comme Bine El Ouidane dont la fonte des neiges constitue le principal apport. Cette situation est unique dans les annales de notre agriculture. Notre diagnostic alarmant est partagé avec les responsables du ministère de l'agriculture, des finances, le HCP, Bank Al Maghrib et le CMC. Notre espoir est de voir les pouvoirs publics faire face à cette situation exceptionnelle par l'octroi d'une aide conséquente. Je pense qu'il est aujourd'hui temps d'abandonner l'optimisme parfois aveugle et se rendre à la réalité. Personnellement, je garde la confiance dans le ministère de l'agriculture qui a toujours réussi à gérer des situations aussi complexes. Le constat est là et vous l'avez très bien défini. Dans le meilleur des cas, quel sera le rendement ? Médiocre, Faible à très faible avec toutes les répercussions sur l'économie sur le plan macro et microéconomique. L'essentiel c'est que nous allons avoir les conséquences d'une campagne agricole sinistrée, un cheptel qui risque d'être décimé, le risque de l'exode rural et un moral des plus bas dans le monde rural. Je n'aime pas donner des chiffres. Mais je tiens à préciser que nous nous rapprochons du seuil de l'année 2006/2007 où la production céréalière a tourné autour de 20 millions de quintaux. Paradoxalement, c'était la dernière campagne agricole avant le Plan Maroc Vert. Dans quelle mesure le plan anti-sécheresse proposé par le gouvernement sera-t-il efficace pour minimiser une partie des effets de la sécheresse sur le monde rural ? Le montant alloué à ce programme est-il jugé suffisant ? Espérons que c'est un plan dont l'application va être marquée par le caractère d'urgence. D'abord, la situation appelle des mesures urgentes. Les mesures n'effaceront pas certainement le manque à gagner et les dégâts qui sont déjà là, mais vont permettre d'atténuer les pertes des agriculteurs et des producteurs. Les premières mesures annoncées dans le plan anti sécheresse sont importantes certes, mais j'estime qu'elles ne couvrent pas la totalité des problèmes que la campagne va vivre et ne répondront pas totalement à l'attente des agriculteurs et des éleveurs face à une situation extrêmement inquiétante. D'ailleurs, je pense qu'il faut prévoir d'autres mesures complémentaires si la situation continue de se détériorer avec l'absence continue des pluies. Les mesures sont là. Nous les applaudissons et nous applaudissons l'unanimité du gouvernement autour de ce plan, manifesté lors du dernier conseil du gouvernement. A notre grande satisfaction, nous avons noté, lors de la dernière session du parlement l'unanimité des députés pour réussir ce plan anti sécheresse. Ce plan d'urgence placé sous la haute autorité de S.M. Le Roi sera certainement à l'abri des petits calculs politiciens qui caractérisent les périodes électorales. C'est une sorte de garantie de réussite de ce plan que nous considérons comme le plus important dans l'histoire agricole de notre pays .Une garantie supplémentaire pour que les agriculteurs les plus concernés bénéficient directement et intégralement de l'aide. Nous saluons également le choix qui a été fait au niveau des priorités : - sauvegarde de l'élevage par l'approvisionnement en orge de 72 centres de distribution à prix cible de 2 DH/Kg à guichet ouvert, subvention de l'aliment composé, aide directe aux éleveurs bovins, abreuvement du cheptel, vaccination, - Agriculture solidaire : accès de la population rurale à l'eau potable, irrigation d'appoint pour 93.000 hectares, création d'emplois, -Encouragement des cultures de printemps : tournesol, légumineuses alimentaires, etc.. - Assurance agricole ; activer la procédure de remboursement - Contribution de la banque crédit agricole Qu'en est-il du timing choisi pour annoncer ce plan anti-sécheresse ? Le plan anti sécheresse est là. Il est arrivé à point nommé. Les gens doivent savoir que même l'année dernière, marquée par une production céréalière record de 115 millions de quintaux, le Maroc a importé et essentiellement de l'orge. Donc, on a une machine rodée et une cellule de veille permanente au niveau de l'Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL) et des commissions au ministère de l'agriculture qui suivent de très près la situation. Au contraire, depuis que l'Etat a annoncé qu'il va subventionner le prix de l'orge et importer ce produit, la flambée des prix de l'orge qui a accompagné la sécheresse les semaines précédentes devient éphémère et tout s'écroule, tant mieux pour l'agriculteur. Il faut inonder le marché d'orge et créer l'abondance pour barrer la route aux spéculateurs et aux intermédiaires et leur faire perdre de l'argent. Ne faut-il pas anticiper et mettre en place à l'avance d'autres mesures sachant que la sécheresse est devenue récurrente et structurelle ? Pourquoi, à votre avis, on n'arrive pas à faire de la politique céréalière, une clé de réussite ? Tout le monde est d'accord là dessus. Ça fait quatre ans qu'on démarré de manière concrète les mesures de lutte contre la sécheresse. Je me rappelle que depuis les premières années de l'indépendance et récemment, à l'époque du gouvernement d'alternance, on s'est penché essentiellement sur la gestion de cette denrée rare qu'est l'eau. Le débat national sur l'eau en est l'illustration. L'actuel gouvernement a réservé un département pour la gestion de l'eau. Les résultats vont certainement apparaitre. Le Plan Maroc Vert (PMV) a déjà prévu cette situation. Lors de son démarrage, la superficie consacrée à la céréaliculture était de 5,5 millions d'hectares. L'objectif aujourd'hui est de la ramener sous la barre de 4 millions d'hectares. L'idée aussi est de ne cultiver les céréales que dans les régions favorables à cette culture. La sécheresse peut être considérée comme un paramètre structurel. La politique et la stratégie sont là mais le rythme est lent. Autrement dit, le scénario est bon mais on doit mettre en place les bons acteurs et les budgets conséquents. Il est nullement besoin de préciser que l'eau est une ressource importante et de plus en plus rare. Du coup, deux axes sont à explorer: élargir et permettre l'extension des périmètres irrigués par une politique d'innovation de transfert de l'eau d'un bassin à l'autre, de dessalement de l'eau de mer et la récupération des eaux usées. Et surtout une meilleure utilisation de cette denrée rare car il ne faut pas oublier que les choses vont se compliquer après. Nous sommes dans la zone la plus menacée du pourtour méditerranéen par les changements climatiques. C'est un plan qui est déjà en place mais il faut lui donner un rythme plus soutenu pour arriver aux résultats escomptés dans les meilleurs délais et mettre le maximum de nos terres à l'abri des aléas climatiques qui risquent de s'accentuer au cours des années à venir. Quelle évaluation faites-vous du PMV ? Le PMV est un plan globalement positif. Ce sera injuste de dire qu'il n'a pas été à la hauteur des ambitions. Le PMV a réussi d'atténuer les effets de la sécheresse. La preuve en est le rendement record de l'année dernière. Il a suffi que tous les ingrédients soient réunis pour arriver à un meilleur rendement. Mais on ne peut pas dire non plus qu'il a totalement effacé les effets de la sécheresse. Ce qu'il faut retenir c'est que le PMV n'est pas le monopole du ministère de tutelle. Il est ouvert à tous les opérateurs. Le pilotage est collectif avec l'ensemble des acteurs du secteur. En cas d'échec ou de réussite, nous sommes tous concernés. Le PMV est un puzzle. Le jour de son démarrage on n'avait pas de plans régionaux, on n'avait pas aussi de contrats programmes filières et non plus une politique de recherche & développement innovatrice ni une politique d'encadrement des agriculteurs, mais à chaque fois qu'on avance, le puzzle se complète. L'avantage aussi c'est qu'on a un ministre qui reste ouvert à toutes les idées. Nous fabriquons ensemble la pièce manquante du puzzle. C'est une garantie aussi de réussite. On n'est pas inquiet, les choses avancent. Le PMV n'est pas un livre sacré, il est adaptable et il épouse la topographie des événements. Peut-on espérer un jour atteindre l'autosuffisance en termes de production de blé ? Jamais. Nous le savons depuis l'indépendance. Le peu de terres qu'on a, on préfère les consacrer aux cultures qui rentabilisent au mieux les investissements, tout en créant des emplois et contribuant à notre sécurité alimentaire : fruits et légumes, sucre, lait et viandes. Pour les céréales, des marchés sont ouverts : USA, le Canada, la Russie, l'Ukraine et l'Australie... donc il faut juste avoir l'argent pour acheter. La sécurité alimentaire c'est assurer à la population la nourriture à des niveaux acceptables qui tient compte de leur trésorerie et de leur niveau de vie. On ne peut pas produire 100% de blé, de sucre ou de lait. On n'a pas de terres et parfois on n'a pas d'eau ! Finalement c'est cette trilogie : terre-eau-homme qu'on n'arrive souvent pas à réunir. Un mot sur la compétitivité des produits agricoles marocains par rapport à nos principaux concurrents ? La compétitivité fait partie du PMV : produire bien selon les exigences des consommateurs locaux et étrangers et à des prix acceptables. Mais on est encore loin de ce stade et parfois, nous sommes devant une concurrence déloyale au sein de certains marchés mondiaux. Eux, ils ont de l'eau ; nous, on paie l'énergie et l'eau. Cette année, la facture de l'énergie va être très salée et très lourde à supporter. Au niveau compétitivité et rentabilité, nous sommes fragiles. Les coûts de production sont de plus en plus élevés et les produits de la vente aléatoires. Les relations Maroc UE ne sont pas au beau fixe. Que se passe t-il vraiment ? Les problèmes que nous connaissons actuellement sont politiques et n'ont rien à voir avec l'économique. On est malheureusement pris dans cette guerre permanente qui n'est pas justifiée et qui nous étonne compte tenu des relations historiques et toujours bonnes entre le Maroc et les pays européens pris séparément. Nous constatons qu'à chaque fois que l'UE s'élargit, des problèmes surgissent. Les nouveaux membres sont agricoles et souvent produisent les mêmes produits que nous, notamment l'Espagne. Donc, nos parts de marché se rétrécissent et on est obligé d'aller chercher d'autres marchés plus compliqués, plus lointains avec parfois une autre mentalité. Le marché américain ne peut jamais être un marché de substitution par rapport à l'Europe. Nous regrettons cette situation. C'est dommage d'en arriver là. Il ne faut pas oublier que le Maroc, dans l'autre sens, est ouvert. Les banques, les services, les équipements...Les pays européens sont présents en force et sans restriction. Les marocains considèrent que remettre en cause notre souveraineté territoriale est une ligne jaune à ne pas dépasser. En cas de blocage de cet accord, le Maroc n'est pas le seul perdant. L'Afrique c'est un marché d'avenir où le Maroc s'est investi depuis la visite historique de SM le Roi. C'est un marché porteur qui devient de plus en plus stable politiquement. C'est une carte à jouer, nous pensons que notre avenir est dans le sud bien qu'il faut s'accrocher au Nord. Le Maroc peut être un vecteur d'une grande relation Nord/Sud pour favoriser le partenariat Sud/Sud. La COMADER vient d'être structurée. Elle est aujourd'hui gérée par une loi-cadre sur les organisations professionnelles, la loi 3/12. La confédération joue un rôle incontournable dans le PMV et est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Cette restructuration va lui permettre de jouer davantage son rôle au niveau de l'organisation professionnelle des agriculteurs, au niveau de l'encadrement et de la recherche et de la commercialisation à l'étranger et sur le marché local. La COMADER compte également s'investir dans les relations internationales avec l'Afrique et les autres marchés. La nouvelle loi cadre va aussi lui permettre de jouer pleinement son rôle. Je rappelle que la COMADER regroupe 20 fédérations et plus de 300 associations professionnelles. C'est une grosse machine et son rôle reste très important. La COMADER a deux membres associés et deux grands partenaires qui sont le Crédit Agricole du Maroc (CAM) et la MAMDA. Pour tout ce qui est économique, on reste ouvert à ce que l'assurance soit ouverte à d'autres mais à condition que ce soit une ouverture maitrisée, planifiée et dans les règles de l'art. Nous sommes polygames dans ce sens, on le dit clairement. La Mamda cette année va mobiliser 1,2 Milliards de Dh pour venir en aide aux agriculteurs. Je rappelle aussi que le Crédit agricole du Maroc réserve une enveloppe de 1,5 milliards de dirhams en plus du budget alloué par l'Etat pour accompagner le ministère à gérer cette situation difficile. Avec plus de 800 agences, c'est la banque qui a le plus d'antennes dans le monde rural, ce qui va faciliter les choses. Cette banque aide directement (via des procédures faciles) les agriculteurs. Le CAM accompagne les agriculteurs pour l'acquisition de l'orge, finance les plantations et leur irrigation. Je me demande où sont les autres banques. On ne les voit pas. Je regrette de le dire, les autres banques, font comme quelqu'un qui vous donne le parapluie mais dès les premières gouttes il vous le retire.