Mohamed Nabil Benbdellah, Secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et ministre de l'Habitat et de la politique de la ville, a accordé une interview à l'hebdomadaire TelQuel, parue dans son avant-dernière livraison. Qu'il s'agisse des étapes du dernier processus électoral ayant abouti à la mise en place des institutions régionales, ou du bien-fondé de l'alliance entre un parti de gauche (PPS) avec un parti islamo-conservateur (Parti de la justice et du développement), voire le débat actuellement en cours sur l'égalité homme/femme devant l'héritage..., N. Benabdallah a répondu, sans détours, ni fards, à toutes les questions posées. Vu l'importance de cet entretien, et les idées forces qu'il porte en lui, Al Bayane a jugé utile de le re-publier dans ses colonnes. Vous êtes en faveur de l'égalité dans l'héritage. Mais vous critiquez aussi le rapport du CNDH sur la question. Où est la cohérence? Je n'ai pas critiqué le rapport, je n'ai strictement aucune objection sur le contenu. Surtout s'agissant d'une question sur laquelle le PPS a été parmi les premiers à se prononcer. En revanche, nous nous sommes interrogés sur le timing, car un débat comme celui-ci se prépare. C'est une question de principe qui ne supporte aucune surenchère ni position extrémiste, ni utilisation politicienne des deux bords concernés par cette question. Sur cette base, le PPS s'exprime clairement, y compris en matière d'héritage, en faveur de l'égalité entre la femme et l'homme. Nous considérons qu'il faut faire preuve de raison et de pondération pour que, de manière progressive, nous puissions faire jouer l'Ijtihad pour faire évoluer le sujet en tenant compte des résistances dans la société mais également de la nécessité de s'inscrire dans l'ère du temps. Le PPS ne s'est pas s'exprimé sur les protestations de Tanger contre la cherté des factures d'eau et d'électricité. Êtes-vous en faveur de la résiliation du contrat avec Amendis? Nous avons exprimé notre solidarité totale avec les revendications populaires à Tanger. Nous considérons que ce sont des affaires extrêmement lourdes à régler. Le déplacement du Chef du gouvernement et du ministre de l'Intérieur ainsi que le travail qui a été fait doivent aboutir dans le calme et sans extrémisme ni exploitation de cette question par quiconque. On ne met pas fin à un contrat aussi facilement. Lors de la campagne électorale, vous aviez comme objectif de gagner 3000 sièges, vous en avez remporté finalement 1768. Êtes-vous réellement satisfait? L'ambition est un acte de mobilisation des troupes. Il fallait que je place la barre haut pour qu'il y ait une grande mobilisation. Il faut aussi avouer que nous étions parmi ceux qui ont subi le raz-de-marée PJD dans les villes. De ce fait, nous n'avons pas pu remporter autant de sièges que nous le souhaitions. Concrètement, on voulait décrocher plus de 2000 sièges, et j'avais posé comme objectif 3000, même si je savais très bien que si nous pouvions atteindre 2000 sièges cela aurait été déjà énorme. En termes de voix, nous en avons obtenu 190 000 en 2009 et 423 000 en 2015. Ce qui signifie que le PPS s'installe comme un parti qui compte au sein de la société marocaine. Aujourd'hui, nous allons essayer de profiter de l'impression extrêmement positive que nous avons laissée en tant que parti lors de ces élections ainsi que lors des alliances. Nous avons prouvé et démontré qu'il n'y a pas que le PJD qui peut se revendiquer comme un modèle de probité, d'honnêteté et d'autonomie de décision, mais le PPS aussi. Vous avez déclaré que 70% des élus à la deuxième chambre ont gagné en recourant à l'utilisation massive de l'argent. D'où vient ce chiffre? J'avais à peine exagéré ce chiffre. Si on élimine les élus des syndicats, qui s'apparentent à un suffrage quasi universel, et les représentants du patronat, si on exclut quelques élus qui sont le fruit de majorités établies au sein des conseils de région, les autres sont sujets à caution. Comment expliquer que des partis qui ont eu 100 sièges dans certaines régions aient pu avoir 400 ou 500 voix de Grands électeurs? C'est de notoriété publique qu'il y a des pratiques tendancieuses. Avez-vous des preuves? Ne me demandez pas de preuves parce que même si j'en avais, ce serait de la délation que de vous les donner. Je devrais d'abord les fournir à un tribunal. Je joue mon rôle d'homme politique qui dénonce une situation et non pas celui d'un procureur qui formule des accusations et doit fournir des preuves. Lors de son discours d'ouverture du parlement, le roi a blâmé ceux qui ont mis en cause le processus électoral. C'est ce que vous venez de faire, non? Je n'ai pas critiqué le processus électoral. Je ne me sens pas concerné. J'ai souligné que le gouvernement avait mené ce processus de la manière la plus transparente, la plus crédible et la plus honnête possible. Tout cela est consacré par une volonté royale ferme pour que ces élections se passent dans la transparence la plus totale. Il s'agit plutôt d'un autre parti politique qui a mis en cause les résultats et le processus, ce qui est une autre affaire. Quant à moi, je désignais des candidats et certains partis qui ont utilisé l'argent lors de ce scrutin. Je ne mettais pas en cause tout le processus. Vous êtes le seul parti de gauche à avoir progressé en termes d'élus lors de ce scrutin. Mais la gauche dans son ensemble a beaucoup reculé. Est-ce une tendance lourde? Le bond important en avant que nous avons enregistré est dû à notre positionnement. Il fallait se mettre du côté de ceux qui veulent renforcer le système de démocratisation dans notre pays. Les a priori dogmatiques et idéologiques de départ, qui ne tiennent pas compte du combat politique à mener, doivent être écartés. C'est ce qui nous a fait choisir une alliance avec le PJD dans le cadre d'un gouvernement qu'il dirige. Quant à la gauche, autant elle a une nécessité d'opérer son aggiornamento, autant il s'agit de comprendre que les Marocains sont aujourd'hui dans une recherche de "maâkoul", de sérieux et de probité. C'est pour ça que j'entends développer l'idée qu'à côté du PJD, version conservatrice du sérieux, il y a une version moderniste et progressiste du sérieux et de la probité matérialisée par le PPS. Pour vous, le PAM est-il un danger? Ce n'est pas le PAM qui représente un danger. C'est un parti qui a aujourd'hui sa place dans la société. Ce qui est inquiétant, c'est que derrière ce projet se trouvent des éléments qui continuent de développer une sorte de mainmise sur la scène politique et sur les décideurs politiques partisans en particulier. C'est le danger, que nous refusons au PPS et que nous continuerons à refuser. Nous nous opposerons avec force à toute volonté de porter atteinte à l'autonomie de décision politique. Si on pense que c'est de cette manière qu'on va réduire le rôle du PJD, il faut voir les résultats, cela a mené au contraire. Vous avez tourné le dos à l'Istiqlal, votre ancien allié de la Koutla, pour pactiser avec le PJD. Cette alliance est-elle passée du conjoncturel au stratégique? Au départ, c'était une alliance avec le PJD et l'Istiqlal. C'est ce dernier qui avait refusé cette alliance. Et ce sont les autres qui ont tourné le dos à la Koutla. Jusqu'à la formation de ce gouvernement, le PPS a défendu avec force que la Koutla devrait continuer d'exister. Nous avons frappé à toutes les portes, à celle de l'Istiqlal, à celle de l'USFP, pour attirer l'attention sur le projet de domination et d'asservissement de la scène politique. La Koutla doit poursuivre son rôle historique. On nous a répondu qu'elle n'était plus d'actualité. Et ça, bien avant la victoire du PJD en 2011. Quant à nous, nous avons considéré que, conjoncturellement, il fallait que l'on soit dans ce gouvernement pour défendre le projet démocratique. Une alliance stratégique signifie que nous avons convenu ensemble de construire un projet de société. Or, tout le monde sait qu'en termes de finalité de projet de société nous avons des divergences avec le PJD. Nous les avons gérées soit en les traitant de manière consensuelle, soit en les laissant de côté. Comment se profilent les législatives de 2016? Avez-vous une ambition personnelle? Je me suis toujours mis au service de mon pays et ensuite de mon parti. Mon ambition personnelle n'est pas importante. Le plus important est que nous voulons développer les capacités du parti, et pouvoir convaincre l'opinion publique, notamment une partie de celle qui a penché pour le vote PJD, mais qui au fond porte des valeurs de gauche et d'ouverture pour leur dire: "Vous voulez de la probité, de la transparence et de l'honnêteté, vous n'êtes pas obligé de voter pour le PJD pour avoir cela". Même si concurrencer le PJD n'est pas mon objectif principal. Un peu quand même... Oui, je le fais, et alors? C'est mon droit le plus absolu d'agir dans la société et de vouloir me frotter à la concurrence de manière démocratique. Je veux adresser un message et dire que le PPS a prouvé, notamment dans sa politique d'alliance et par le courage qu'il a eu à dénoncer un certain nombre de travers, qu'il est un parti qui porte les valeurs de transparence, de probité et d'honnêteté. Alors, votez pour lui, renforcez-le, faites en sorte qu'il puisse aider la gauche à relever la tête et à constituer un contrepoids aux tendances libérales, conservatrices, voire islamistes, ou de la volonté de mainmise sur le champ politique.