Les relations du PdCI et du PPS, celles de l'Italie et du Maroc, les avancées sociales du Royaume et la question du Sahara, tels sont les sujets sur lesquels s'est prononcé Di Liberto dans l'entretien qu'il a accordé à Al Bayane. Question : Votre visite est la première effectuée par un leader de la gauche italienne au Maroc. Quelle impression vous laisse t-elle et quelles peuvent être vos ambitions pour un rapprochement avec les partis de la gauche marocaine ? Réponse : Effectivement, c'est ma première visite au Maroc. Et, en ma qualité de chargé des relations avec le monde arabe au sein du parti, et donc en tant que connaisseur de l'Afrique du nord et du Moyen-Orient, l'impression que j'en tire est très positive en ce qui concerne la vie politique. De fait, j'ai été particulièrement surpris par les progrès réalisés par le Royaume dans différents domaines, qu'ils soient politique, économique, social ou des droits de l'Homme. L'observateur objectif ne peut que se féliciter de ces nouveaux acquis, en particulier sur le plan institutionnel avec la représentation de la femme au Parlement et l'importance qui lui est accordée dans la vie politique marocaine. Ce nouvel acquis soutient la comparaison avec ce qui a été réalisé dans d'autres pays du monde, européens notamment. Il est en tout cas meilleur que ce qui s'est fait en Italie. Cette évolution et ces acquis sont dus, pour une grande part, à la qualité et à la force de la présence des partis marocains de gauche, dont le PPS, au Parlement. Quant à ma visite, ma conviction est qu'elle contribuera à élargir les perspectives de la coopération entre les communistes italiens et nos camarades du PPS, car nous avons en commun la ligne politique fondée, d'une part, sur le pragmatisme, et d'autre part, sur la fidélité aux idéaux et aux principes fondamentaux du socialisme. Je crois sincèrement que la participation au gouvernement procède de la nécessité de s'inscrire dans le processus démocratique alliée à celle de participer à la réforme de la vie politique. Au vrai, la contribution à la gestion publique exige l'alliance avec d'autres partis, qui peuvent ne pas être nécessairement de gauche. Moi même j'ai été par deux fois ministres dans un gouvernement d'union constitué de partis qui n'étaient pas tous de gauche, mais qui cependant a obtenu des résultats concrets en ce qu'il ne s'est pas contenté de s'opposer à l'injustice, mais encore a fait montre de force de proposition en résolvant nombre de problèmes qui se posaient à l'Italie. Au total, je dis que les changements intervenus dans la société marocaine sont très importants. Je m'en félicite d'autant plus que j'ai trouvé ici un excellent accueil ; un accueil digne de la tradition d'hospitalité du peuple marocain. Question : Vos propos au sujet de la gauche marocaine, signifient t-ils que nous sommes à l'orée de l'élargissement de la collaboration du PdCI avec vos camarades du PPS ? Réponse : Bien évidemment ! Tout un pan des discussions que j'ai eues – et que j'aurai encore aujourd'hui- avec la direction du parti verse dans ce sens. Cet objectif constitue même la principale raison de ma visite. En sorte que nous allons poursuivre nos efforts en vue de lancer un appel à la constitution d'un projet réunissant tous les partis de gauche des deux rives de la Méditerranée. D'ailleurs, nous nous sommes partagé les tâches à ce propos, en sorte qu'il nous revient à nous, de convaincre la gauche de la rive du nord et , qu'il incombe à nos camarades du PPS d'en faire de même pour ce qui est de la gauche du sud. Question : Est-ce une simple intention ou est-ce que le processus est réellement engagé ? Réponse : Partant de l'idée de rassembler les partis de gauche de la Méditerranée, nous avons convenu avec nos camarades du PPS du point essentiel que, concernant la politique étrangère, il ne suffit pas de construire l'Europe ou le Maghreb, mais qu'il faut en outre chercher et mettre en valeur les points de rencontre entre les deux rives. Vous savez, je suis originaire de Sardaigne, et en tant que tel, je me sens plus proches des Maghrébins que je ne le suis des Européens. Mon souhait est que l'on réussisse à rassembler les partis de gauche non seulement au Maroc et en Italie, mais encore du Maroc à la Syrie et de la France à la Libye. Question : Certes, mais ce projet est-il encore en discussion ou est-il en phase de réalisation ? Réponse : Nous avons grandement avancé sur le sujet, mais cependant, nous comptons poursuivre nos discussions dans le détail, au cours de la réunion que j'aurai avec le SG du PPS, le camarade Nabil Benabdallah, cet après-midi (avant hier). Question : Dernièrement, vous avez lancé un projet de réunification des partis communistes et de gauche en Italie qui n'a pas abouti, cela n'obère-t-il pas les perspectives s'offrant à un regroupement méditerranéen ? Réponse : Certes nous avons lancé cette initiative en Italie, mais ce ne fut pas un échec. Au contraire nous avons engrangé des résultats très positifs en novembre dernier en constituant une fédération rassemblant les deux partis communistes et des petits partis de gauche, fédération dont je suis le porte-parole. Nous continuons dans ce sens, car notre objectif est de regrouper toutes les composantes de la gauche et les communistes italiens. Etre communiste ne signifie pas qu'on ne doit pas s'allier à des partis qui ne sont pas communistes. Je suis pour l'alliance avec des partis qui ne partagent pas nécessairement mes convictions politiques et idéologiques. Question : Du fait de ces divisions de la gauche italienne, celles des communistes notamment, il en est qui critiquent votre projet de réunification comme une intention de revenir à l'année 1998. Qu'est-ce qui fait que même avec votre projet, la gauche ne parvient pas à trouver sa place en Italie ? Réponse : La gauche italienne a toujours été divisée. En 1921 est intervenue une première scission entre les communistes et les socialistes. Après la 2ème guerre mondiale a eu lieu une scission au sein même du parti socialiste qui a abouti à la création des socialistes démocrates. Au milieu des années 70, les socialistes ont participé au gouvernement avant une nouvelle scission qui a donné naissance à la gauche socialiste. Peu avant la fin de la décennie, c'étaient aux groupuscules extrémistes à voir le jour. Mais, le PC est sorti à chaque fois uni et fort de ces avatars ; ce qui lui avait permis de récolter 30% des voix italiennes jusqu'en 1989, année de la chute du mur de Berlin. Après deux ans de luttes internes, le PC se scindait en Parti de gauche démocratique et en PC, un grand parti, qui en réalisant 8,6% des voix en 1996, a occupé la 4ème place dans le paysage politique et contribué à la chute du gouvernement du centre dont il faisait pourtant partie. J'étais président de groupe parlementaire quand certains communistes ont préféré rester au gouvernement. C'est à ce moment que le PdCI est né. En sorte que notre projet ne vise pas tant la réunification de la gauche et des communistes que la conquête du pouvoir en vue de faire-pièce au capitalisme et de réformer la vie publique. Question : Y a-t-il des similitudes avec la situation au Maroc ? Réponse : En vérité, l'expérience italienne s'est caractérisée par le fait que la plupart des partis nouveaux y naissaient de ventres autres. Je crois que c'est aussi le cas au Maroc. Il y a donc des similitudes. Sauf que, en Italie, c'est la droite qui est au pouvoir, alors qu'au Maroc, C'est une alliance dont fait partie la gauche. Ce qui m'a le plus interpellé , c'est que votre pays a une législation très avancée dans l'audiovisuel sans égal en Italie. Et cela, c'est une des causes qui a aidé Berlusconi à accéder au pouvoir. Question : Vous êtes un défenseur des causes justes des peuples et de la paix dans le monde. Vous avez notamment appelé au retrait des troupes italiennes d'Irak. Pensez-vous que ce genre d'actions soit suffisant ? Réponse : Effectivement, notre parti a pris des décisions courageuses dans ce domaine et nous nous sommes clairement opposés à la politique étrangère dans plusieurs domaines ; ce qui nous a valu un certain isolement. C'est le cas en ce qui a trait à notre position à l'égard de la Palestine et notre retrait de la coalition en Irak, ce que nous avons réussi à obtenir. Si nous y avons échoué en ce qui concerne l'Afghanistan, c'est à cause de la souscription de l'opinion publique aux thèses véhiculées par les médias, lesquels avis sont ceux des gouvernants et contraires à la vérité. En fait, il m'est arrivé de me retrouver seul à défendre un point de vue plus juste, même en compagnie de gens de gauche sur un plateau de télévision. L'autre cause qu'on pourrait invoquer en la circonstance est la méconnaissance qu'ont des personnalités de gauche du Monde arabe. Question : On peut en déduire que la diplomatie parallèle est aussi utile que nécessaire. Comment la concevez-vous ? Réponse : C'est à mon avis une question essentielle. La politique étrangère n'est pas uniquement affaire dex diplomates. Tous doivent y participer. De retour en Italie, je discuterai avec les leaders des partis de gauche et leur exposerai les résultats de ma visite ici. Je leur dirai ce que j'ai vu, de mes propres yeux, et cela devrait les amener à réviser leurs positions. Ce n'est pas facile et exige de la persévérance car, malheureusement, le monde est aujourd'hui tributaire de ce qu'en disent les médias. Mais une chose est sûre, je dirai ce que j'ai vu et rien ne m'en empêchera. Question : Est-ce que cela veut dire que vous tenterez de convaincre les associations pro-polisario qui foisonnent en Italie ? Réponse : C'est exactement ce à quoi je fais allusion. Car j'ai la conviction que ce foisonnement procède de la méconnaissance du monde arabe, du Maroc et de sa cause, comme il tient de l'analyse superficielle que se font certains des réalités. Il est vrai que la gauche où qu'elle se trouve ne peut que soutenir ceux qui luttent pour leur indépendance, mais la réalité objective peut être contraire à ce schéma. La décolonisation a donné naissance à plusieurs Etats-nations dans le monde arabe dotés des habituels attributs de la souveraineté que sont une armée propre, des structures administratives et une identité nationale. Le but des impérialistes actuellement, Etats-Unis en tête, est de diviser ces Etats-Nations en Etats-croupions basés sur l'appartenance ethnique ou religieuse afin de les mieux asservir. C'est pourquoi les Etats-nations constituent un danger pour les Etats-Unis quand ils deviennent laïcs alors que le fondamentalisme est nécessaire aux Etats-Unis qu'il ne menace pas vraiment, mais qui le présentent comme l'ennemi commun ? Il faut placer la question du Sahara dans ce contexte mondial afin de mieux défendre la souveraineté marocaine et soutenir la proposition d'autonomie faite par le Maroc. Question : Eu égard à vos positions sur la paix et considérant le fait que le Sahel soit devenu un foyer de terrorisme menaçant le Maghreb et la Méditerranée, quelle sera votre approche sur la question du Sahara ? Réponse : Je crois qu'il faut éviter de retourner à la situation d'avant l'érection des Etats-nations, car convenir de l'existence d'un peuple sahraoui ne concerne pas seulement le Maroc, mais encore quatre autres Etats-nations. Et, à ce titre, on peut valablement se poser cette question : les Touaregs n'ont-ils pas le droit de réclamer un Etat à eux ? Je crois donc que la force des Etats réside dans leur diversité ethnique et culturelle et leur capacité à rassembler leurs différentes composantes. Question : Une importante minorité émigrée vit en Italie, en particulier d'origine marocaine .Quelles perspectives pour l'amélioration de ses conditions de séjour ? Réponse : C'est vrai, il y a en Italie une émigration estimée à quatre millions de personnes sur les 68 millions d'habitants que comptent le pays. Il est donc naturel qu'y surviennent des contradictions sociales et que cela transparaisse dans notre vécu. Un exemple est que la famille italienne n'a en moyenne qu'un enfant quand un couple d'émigrés en a quatre ou cinq. Cela prouve qu'il y a là deux cultures différentes. Cependant les enfants d'émigrés en Italie parle l'italien, fréquentent l'école italienne et supportent les équipes italiennes. Mais comme ils ont grandi dans un environnement familial qui leur est propre, ces enfants vont se marier entre eux et enfanter une nouvelle génération qui va bouleverser les données et faire de l'Italie une société pluriculturelle. Cela exige de nouvelles méthodes de gestion. A commencer par la lutte contre les clichés et les stéréotypes. Malheureusement, la droite cultive ce terrain et nourrit la peur de l'autre alors que la solution des éventuels problèmes réside dans les structures d'accueil et le respect de l'autre. Certes, il y a dans les milieux immigrés des marginaux, mais la déviance n'est pas propre aux migrants, au sud elle est le fait de la Maffia, elle est donc italienne. C'est pourquoi la gauche s'emploie à organiser les immigrés et à résoudre la double contradiction par eux vécue de l'opposition entre capital et travail et celle qui existe entre le nord et le sud. Question : Au vu des nombreuses discussions que vous avez eues avec des responsables marocains, peut-on dire que les relations entre le PdCI et la gauche marocaine, voire les relations entre les deux pays ont pris un nouveau départ ? Réponse : L'Italie a heureusement des relations officielles privilégiées avec le Maroc. Et cela, en dépit de la résurgence de comportements racistes en Italie, que le gouvernement ne combat pas. Nous comptons développer la coopération avec le Maroc, comme nous comptons lutter contre le racisme si le sort des urnes nous est favorable.