De nos jours, l'écrivain n'est plus ce qu'il ecrit ; il est ce qu'il paraît. L'œuvre a été sacrifiée sur l'autel de l'IMAGE ; son rôle n'est plus de dévoiler les mondes réels et/ou parallèles, mais l'affect et l'intellect, toujours sublimés, de son créateur. Elle est réduite à un simple relais des personnalités en quête d'admirateurs et des egos en mal de reconnaissance. Pour se faire une place parmi ses congénères, l'écrivain doit d'abord et avant tout véhiculer une image positive de sa propre personne. Le temps des écrivains paranoïaques, schizophrènes, fous, cruels, cyniques, grincheux, laids, antipathiques est bien révolu. Pour réussir une œuvre (comprenez, pour bien la vendre et être invité partout), l'écrivain contemporain doit paraître avant tout sympathique, gentil, généreux, sage, bon communicateur et surtout posséder un gros carnet d'adresses. Pour cela, il doit confectionner un plan de carrière à l'avance, s'acoquiner aux décideurs culturels, quitte à baisser son froc, passer des jours et des jours à téléphoner à celui-ci et à celle-là dans l'espoir d'être programmé ici ou là-bas, des heures et des heures devant sa caméra dans l'espoir que celle-ci lui restitue de beaux portraits de lui ; portraits qu'il se précipitera à poster sur sa page Facebook, Twiter et consorts. Il doit y paraître souriant, toujours souriant, avec un angle qui met en relief un regard lointain, de préférence mélancolique, une prise docte pour certains, négligée pour d'autres, rebelle pour les troisièmes, c'est selon, mais impérativement sympathique, et surtout entouré de beaucoup de lecteurs/lectrices qui se ruent sur lui pour une dédicace. L'éclat de l'image, l'amabilité de l'auteur, même factices, se sont substitués à la beauté du texte. Peu importe que l'œuvre proposée soit un navet ; l'essentiel, c'est que le navet soit servi avec le sourire et qu'il réussisse à créer le Buzz. On ne cherche plus à écrire une belle œuvre, profonde et intelligente ; on préfère afficher sa supposée gentillesse et sa prétendue intelligence. On oublie qu'un bon écrivain est avant tout celui qui crée une œuvre plus intelligente et plus belle que lui. Faute de belles œuvres, les écrivains d'aujourd'hui s'affichent trop, parlent trop et abusent de leurs images. Aussi, certains sont-ils incapables de rester une journée sans poster leurs différents selfies, partager les instantanés des rencontres, récentes ou anciennes, aussi insignifiantes soient-elles, dénicher dans les rubriques illisibles des journaux inconnus ou dans les murs des amis virtuels la plus courte phrase écrite sur eux ou sur leurs livres, qu'ils scannent et partagent, repartagent jusqu'à la nausée. Certains vont jusqu'à demander à des amis, ou des facebookeu(se)rs, de se faire photographier avec leurs livres, accompagnés d'un petit commentaire laudatif. Tous les moyens sont bons pour ne pas disparaître des réseaux sociaux, de l'actualité. Et s'il n'y a plus de photos, ou si on en a trop abusé, et bien on postera des photos anciennes, du temps où on était plus jeune et plus beaux. L'écrivain d'aujourd'hui a peur de disparaître de la circulation. Résultat : il passe plus de temps à peaufiner son image sur les réseaux sociaux, qu'à lire ou à se débattre avec les phrases d'une œuvre en construction. Il n'a plus peur de rater son œuvre ; il a grandement peur d'écorcher son image par un propos déplacé, une photo non réussie ou une réaction brusque. Du coup, il ne poste que ce qui est du goût de ses supposés lecteurs, ne prend jamais position, à moins qu'elle aille dans le sens de ses « mécènes », et, comme un imbécile, se contente de liker tout et d'étirer ses lèvres béatement. Souriez ! Vous êtes filmés. Un écrivain peut-il exister simplement avec son image, sans son œuvre? C'était impossible auparavant, c'est devenu la norme aujourd'hui. Au lieu que l'œuvre fasse vivre l'écrivain, c'est désormais l'image de l'écrivain qui garde l'œuvre en survie. Au lieu que l'œuvre dégage sa propre intelligence, c'est l'écrivain, avec ses commentaires « post-écriture », enrichis par les avis des lecteurs, souvent inventés, revisités et augmentés, qui s'acharne à la rendre intelligible. De nos jours, beaucoup d'œuvres ne peuvent plus durer sans leurs auteurs, alors que ça doit être l'inverse. C'est ce qui explique que beaucoup d'entre elles restent indigestes jusqu'à ce que leurs créateurs s'acharnent à les expliquer. Elles ne deviennent pas des chefs-d'œuvre pour autant, elles deviennent potables tout au plus. D'un autre côté, l'écrivain d'aujourd'hui peut-il se permettre le luxe de négliger son image ? La réponse est NON. Nous vivons avec l'hégémonie des images et des réseaux sociaux. L'écrivain n'est plus celui qui se contente d'écrire ; il est devenu l'auteur-compositeur-interprète. Les éditeurs, à de rares exceptions, n'assument plus les exigences de l'édition ; ils se contentent d'être des épiciers. C'est à l'écrivain de faire le travail éditorial : corriger le texte, proposer le titre, la couverture, etc. Le plus souvent, c'est à lui qu'incombe la promotion des livres, c'est à lui de les vendre en contactant des journalistes, en programmant des rencontres, en participant à des salons. Tout cela doit être précédé par une image positive de soi. Vendre son livre passe d'abord par vendre sa propre image. Malheureusement, cela se fait souvent au détriment de la valeur littéraire de l'œuvre. Autant dire, un cercle vicieux et inextricable dans lequel le véritable perdant reste la littérature. Que faire alors ? Il me semble (et ce n'est qu'un avis) que pour se soigner de ce fléau qu'est l'image et redonner au texte ses lettres de noblesse, il faut que l'écrivain accepte de renoncer au rôle d'homme public qu'il s'est approprié. Il faut qu'il accepte de disparaître derrière son œuvre. Il faut qu'il laisse celle-ci se défendre d'elle-même. Pour cela, rien de mieux que de publier des livres sans nom d'auteur, juste avec des initiales ou des numéros, et laisser les mots, le style et la littérarité séduire les lecteurs. IMPOSSIBLE, diront certains. Bien sûr, c'est impossible, car l'écrivain contemporain tient beaucoup plus à son image qu'à son œuvre. Dans ce cas, qu'il soit au moins honnête, qu'il n'édulcore pas son image. Véhiculer ce qu'il est n'est pas une tare, c'est véhiculer une image sublimée de soi qui en est une, c'est surtout faire prévaloir sa propre image sur ses créations qui pose problème. En une phrase : il faut que l'écrivain disparaisse derrière son œuvre et non pas l'inverse.