La question des immigrés subsahariens refait surface dans les médias et préoccupe de plus en plus les autorités dans les villes du Nord du Maroc, considérées comme un point de transit vers l'Europe des sans-papiers. Aussi bien Rabat que Madrid sont confrontées à une nouvelle épreuve dans la lutte contre l'immigration dite clandestine en dépit des nombreux instruments mis en marche dans le cadre d'une coopération bilatérale en matière de gestion des flux migratoires. Si le Maroc aspire à mettre sur pied une politique migratoire équilibrée prenant en considération les principes de la libre circulation des personnes, les droits humains et la garantie des droits des subsahariens résidant ou en transit par son territoire, l'Espagne, par contre, vient d'être admonestée par l'Union européenne (UE) à cause de la pose de barbelés tranchants pour empêcher leur entrée dans la ville occupée de Melilla. Les communiqués officiels, rendus publics par les autorités dans les villes du nord, font état fréquemment d'interpellations d'irréguliers subsahariens qui tentent de partir clandestinement des plages marocaines ou s'infiltrer dans les zones frontalières. Pour certains, le Maroc est actuellement soumis à une double approche géopolitique en matière d'immigration dans la région. Il est à fois victime de «la permissivité algérienne et de la rigidité espagnole», ce qui se traduit par la forte pression migratoire que vivent périodiquement les provinces du nord. Les milliers de subsahariens, qui traversent (chacun selon sa propre astuce), la frontière avec l'Algérie, se trouve finalement bloquée devant Melilla par de hautes haies de barbelés qui sont séparées par de profondes tranchées. C'est la raison pour laquelle, selon des médias, le ministère marocain de l'Intérieur avait signalé qu'ont été recensés en 2013 (1er janvier - 15 octobre) 15.540 étrangers qui avaient tenté de transiter clandestinement du Maroc vers l'Europe. Du côté espagnol, des organisations humanitaires ont remis récemment au gouvernement un total de 10.520 signatures rejetant la détention de migrants dans les centres d'internements d'étrangers (CIE) comme moyen de contrôle migratoire. La polémique a monté d'un cran à cause des barbelés tranchants placés à Melilla depuis 2005. Le 5 novembre dernier, un sans-papier subsaharien a succombé à de profondes coupures provoquées lors d'un assaut collectif de la même barrière de barbelés, haute de six mètres. Les groupes parlementaires d'opposition les ont également condamnées et pressent le gouvernement de les retirer car «inhumaines et d'une cruauté sans commune mesure». Jeudi, Les explications faites, à Bruxelles, par le ministre espagnol de l'Intérieur, Fernández Diaz, n'ont guère convaincu ses homologues européens, réunis pour traiter des flux migratoires irréguliers provenant du Maghreb par voie maritime suite au tragique naufrage, le 3 octobre dernier, d'une embarcation au large de l'ile italienne de Lampedusa faisant 366 morts. Le ministre espagnol a rappelé que pour son pays la lutte contre l'immigration dite irrégulière «doit être une responsabilité partagée au sein de l'Union européenne». C'est une proposition que le Maroc a toujours soutenue du fait qu'il est devenu un pays transit d'immigrés. Le ministre espagnol a ainsi repris en partie une des revendications du royaume en appelant à mettre sur pied une politique commune en la matière «à travers des mesures opérationnelles, de vigilance et de formation dans le but de lutter, à l'origine, contre les réseaux de trafic d'êtres humains, renforcer le contrôle sur les frontières terrestres par le biais de forces de sécurité, éviter, grâce à la vigilance maritime au niveau des côtes, la sortie d'embarcations de trafic d'êtres humains ainsi que la mise au point de mécanismes de vigilance maritime conjointe pour garantir dans de bonnes conditions le retour des victimes de ce type de trafic au lieu de départ le plus proche et le plus sûr». La commissaire à l'Intérieur de l'UE, Cecilia Malmström, avait, mardi dernier, signalé lors d'une conférence de presse à Bruxelles, que les murs et haies de barbelés construits sur les frontières d'Espagne, de Grèce ou de Bulgarie «n'empêchent à eux seuls» les immigrés de traverser les frontières. Précisément, le même jour, une quarantaine d'immigrés ont tenté dans la matinée un nouvel assaut de la haie de Melilla, dont seulement trois subsahariens ont atteint leur objectif d'accéder à la ville occupée. Un des trois immigrés s'est blessé lors de cet assaut dans plusieurs parties de son corps. Un autre groupe de 250 subsahariens ont, de leur côté tenté en vain jeudi à l'aube, d'entrer à Sebta. Ils ont été repoussés par les forces de l'ordre marocaines et espagnoles à la hauteur du point de passage de Bab Sebta. Les forces marocaines ont intercepté 70 sans papiers alors que le reste s'est enfui pour se refugier dans la zone montagneuse dans la banlieue de Fnideq, ont signalé des sources officielles espagnoles, citant leurs homologues marocaines. «Durant les derniers années, les autorités locales espagnoles ne cessent de rendre hommage à l'étroite collaboration que le Maroc apporte dans le contrôle de la pression migratoire dans la région qui pourrait abriter près d'un millier de subsahariens prêts à faire le grand saut» pour l'Europe, rapporte le quotidien El Mundo. Cette coopération a fait d'ailleurs l'objet d'une profonde analyse lors d'une réunion, la semaine dernière à Cordoue (sud de l'Espagne), qui a été co-présidée par le directeur général de la police espagnole, Ignacio Cosido, et son homologue marocain le directeur général de la sureté nationale, Bouchaib Rmail. C'était à l'occasion du premier séminaire des polices marocaine et espagnole organisé sous le thème «Nouveaux défis, plus de coopération», qui s'est achevé sur l'engagement de création d'un Comité stratégique de police. Cet organisme, qui devra se réunir chaque année, alternativement dans chacun des deux pays, permettra de mettre sur pied les «lignes stratégiques qui traceront la voie à suivre par la coopération opérationnelle entre les deux institutions de police», indique un communiqué du ministère espagnol de l'Intérieur, parvenu à Al Bayane. Les deux parties visent à travers cette initiative « attribuer un saut qualitatif aux excellentes relations existant entre les corps de sécurité», ajoute la même source. Le directeur de la police espagnole a souligné, note le communiqué, «l'excellente coopération entre l'Espagne et le Maroc et la nécessaire stabilité dans cette région qui concerne la sécurité de l'ensemble de l'Europe». La coopération entre les deux corps embrasse la lutte contre le terrorisme, l'immigration dite clandestine, la traite des êtres humains, la délinquance organisée, la cyber-délinquance et le blanchiment de capitaux. Le Comité stratégique de police se chargera aussi de coordonner les lignes stratégiques qui rendront plus facile la coopération opérationnelle entre les deux organisations de police, déterminer les priorités et établir les mesures adéquates pour la mise en pratique de ces lignes et l'évaluation de leur exécution. Il permettra d'analyser de même les défis et risques communs que les deux institutions doivent affronter en matière de sécurité En fonction de cette analyse et à la lumière d'éventuelles circonstances, il se chargera de définir de nouveaux scenarios ainsi que des nouvelles lignes d'action et mesures nécessaires à prendre. «Cette rencontre est une initiative qui réaffirme notre but d'œuvrer ensemble pour la sécurité de nos deux peuples», a indiqué le directeur de la police espagnole notant que l'objectif de ce type de séminaires est de «trouver des solutions communes aux problèmes qui transcendent les frontières, telle la lutte contre le terrorisme et la criminalité». Le haut responsable espagnol a saisi l'occasion, lit-on dans le communiqué, pour exprimer «le total soutien de la police nationale espagnole à la nouvelle politique migratoire adoptée par le Maroc dans le respect des droits humains des immigrés et s'appuyant, en même temps, sur un contrôle efficace des frontières».