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Immigration
L'Espagne, à nouveau sur la sellette
Publié dans Albayane le 17 - 03 - 2013


L'Espagne, à nouveau sur la sellette
La diffusion, cette semaine, de séquences d'une vidéo sur une collision au large des Iles Canaries d'une vedette de vigilance maritime de la garde civile espagnole avec une embarcation de fortune (patéra) bourrée d'immigrés marocains a relancé le débat sur l'immigration vers l'Espagne.
L'incident remonte au 13 décembre lorsqu'un sans-papiers marocain fut tué dans le naufrage et sept autres déclarés disparus. Les autorités marocaines ont convoqué, jeudi, l'ambassadeur d'Espagne à Rabat pour éclaircir les circonstances dans lesquelles s'est produit ce drame. Les réseaux sociaux sont immédiatement entrés en jeu pour donner plus de diffusion aux conséquences dramatiques du naufrage maritime et des affres de l'immigration vers l'Europe.
La forte médiatisation de ce naufrage remet en cause le contenu des discours officiels sur la coopération maroco-espagnole en matière de lutte contre les réseaux de trafic humain, le présumé bouclage des routes migratoires conduisant à l'Europe et la protection des immigrés en situation de danger grave.
Interpellé au sujet de ce naufrage, le ministre espagnol de l'Intérieur, Jorge Fernández Diaz, a dû, mardi au congrès des députés, se déployer à fond pour rejeter les critiques contre la garde civile en défendant «la tâche humanitaire» que ce corps de sécurité mène dans le sauvetage des embarcations de fortune. Il a précisé que la vidéo reproduisant les images de la collision entre le patrouilleur espagnol et la patéra a été remise par la garde civile au juge qui avait «reconnu cette collision» et a même signalé la participation de ses membres dans l'opération de sauvetage des 17 autres passagers de l'embarcation de fortune.
Selon la version officielle espagnole, l'équipage du patrouilleur avait décidé d'intercepter la patéra, avec à bord 25 passagers, qui se dirigeait vers une zone rocheuse. Il y a trois semaines, un juge d'instruction au tribunal d'Arrecife (Canaries), avait blanchi les agents de la garde civile, dans cet incident maritime, en accusant dans une sentence le patron de la patéra de la responsabilité du naufrage.
Devant l'effet médiatique qu'a eu la vidéo, diffusée par la station radio Cadena Ser dans son site Web, et qui avait immédiatement fait le tour du monde, les autorités marocaines et espagnoles optent pour l'apaisement et placent l'incident dans un cadre de concertation bilatérale.
Contactés, vendredi par Al Bayane, plusieurs institutions officielles en rapport avec l'immigration en Espagne se sont limitées à considérer les déclarations du ministre de l'intérieur au Congrès des Députés, la sentence du tribunal canarien et la vidéo montrant la collision entre le patrouiller de la garde civile et la patéra de marocains comme «éléments suffisants». Aucun commentaire n'a été alors émis sur le sujet. Dans ce sens, l'information apportée par la garde civile demeure l'unique source visuelle prise en considération par la justice.
La question de l'immigration, qui fait partie des questions récurrentes de l'agenda diplomatique entre le Maroc et l'Espagne depuis trois décennies, a cessé d'être un motif de confrontation. Les médias espagnols ont, de leur côté, réaménagé leur agenda en éliminant cette question de la grille de thèmes prioritaires dans le dossier des relations entre les deux pays. L'hémérothèque regorge de chroniques sur les bilans dramatiques des naufrages d'embarcations de fortune au large des cotes andalouses et canariennes ainsi que sur l'échange d'accusations entre Rabat et Madrid quant à la responsabilité de la recrudescence de flux migratoires entre les deux rives du Détroit de Gibraltar. En dépit des pressions exercées par l'Union Européenne (UE) sur les pays d'origine (Maghreb et Afrique subsaharienne) et la mise en marche en 2004 d'une agence pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX), les flux migratoires changent de routes mais non de candidats à l'immigration dite irrégulière. Ce qui est aujourd'hui préoccupant est le sort réservé aux immigrés interceptés et confinés dans des centres d'internement ou ceux déclarés disparus. Si le flux d'informations sur l'immigration a énormément baissé dans les medias, les acteurs sociaux et ONG pro-droits humains ne baissent pas les bras et continuent de dénoncer les conditions de vie dans les centres de rétention, revendiquer un traitement humain aux sans-papiers et accorder les mêmes droits d'assistance juridique aux victimes de l'immigration dite irrégulière. Dans ce contexte, l'Espagne est citée comme un cas pratique eu égard au grand nombre d'immigrés qui peuplent ses centres d'internement.
D'ailleurs, «Access Info Europe» et «Global Détention Project» ont présenté, jeudi, 66 demandes d'information à 33 gouvernements dans le cadre d'une initiative visant à améliorer la transparence des pratiques de détention des immigrés. Les deux organisations civiles ont surtout demandé des statistiques sur le nombre et les cas de détenus, ainsi que des détails sur l'endroit où des personnes sont détenues pour des raisons liées à l'immigration.
La privation de liberté de mouvement des étrangers faute de papiers en règle «signifie généralement une mesure d'enfermer les demandeurs d'asile et migrants en situation irrégulière jusqu'à ce qu'ils puissent être expulsés ou présentés devant le juge», signalent les défenseurs des droits de l'homme. «La détention d'immigrés est devenue un outil essentiel aux mains des Etats pour contrôler la migration», a commenté Michael Flynn, fondateur de l'ONG «Global Détention Project», dépendant du programme de l'Institut universitaire pour l'étude des migrations à Genève. «Ainsi, il est extrêmement important pour la société civile d'être informée de l'endroit où les immigrés et demandeurs d'asile se trouvent détenus ainsi que des conditions de leur détention. Malheureusement, les gouvernements posent des entraves qui rendent encore difficile toute tentative d'accéder à des informations exactes et actuelles se rapportant á leur détention.»
Les 33 pays concernés par l'initiative de collecte d'informations se composent des 27 pays membres de l'UE ainsi que du Canada, de l'Islande, de la Norvège, de la République de Russie, de la Suisse et des Etats-Unis. Tous ces pays hébergent des centres de détention d'étrangers conformément à leurs politiques migratoires.
Selon Lydia Medland, coordonnatrice de la recherche et des campagnes d'Access Info Europe, «la détention d'immigrés est particulièrement préoccupante parce ce qu'elle se traduit par des violations généralisées des droits de l'homme dans toute l'Europe.»
L'Espagne, qui traverse actuellement une crise économique aiguë, est à nouveau accusée de durcir les conditions de séjour à l'égard des étrangers allant jusqu'à exclure des soins médicaux les sans-papiers. Cette attitude lui a valu une forte réprobation de la part de l'ONU dans son rapport sur le racisme 2013. Le rédacteur de ce document écrit ceci à l'issue d'une tournée en Espagne : «la crise économique ne doit pas être une raison pour faire reculer les progrès en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie».
Ce qui est en outre évident est que devant la recrudescence des flux migratoires, à partir de l'an 2000, les autorités espagnoles et européennes ont décidé de poser des clôtures autour de la ville occupée de Melilla, renforcer les opérations FRONTEX, et financé la construction d'un centre de rétention en Mauritanie pour rassembler les ressortissants de pays-tiers interceptés au large des îles Canaries. Compte-tenu de la croissance des flux migratoires, un réseau de centres d'internements de sans-papiers a été édifié dans plusieurs villes espagnoles. L'ONG catholique espagnole «Pueblos Unidos» déplore dans un de ses rapports, élaboré en 2011 et auquel a eu accès Al Bayane, «l'absence d'informations officielles sur ces centres de détention» et les difficultés pour le public d'accéder à des données en cette matière.
Comme dans le cas des victimes du naufrage de la patéra des Marocains au large des Canaries, les données objectives concernant le phénomène de l'immigration dite irrégulière (ou clandestine) à destination de l'Espagne sont en possession des autorités. C'est ce qui rend impossible pour tout chercheur d'accéder aux données fiables en rapport avec les sans-papiers placés dans un régime de privation de liberté. Il demeure néanmoins la possibilité de se référer aux normes juridiques applicables en cette matière. Il suffit de citer, entre autres, la «Loi organique 4/2000, sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale», le droit d'asile adopté le 30 octobre 2009, l'arrêté ministériel du 22 février 1999 sur le régime des centres de détention (MO), le protocole-cadre pour la protection des victimes de traite des êtres humains du 28 octobre 2011 et le code pénal tel qu'il est modifié par la loi organique 5/2010 du 22 juin 2010.
En avril 2011, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale avait recommandé, d'ailleurs, que l'Espagne modifie les dispositions de la circulaire relative à la détention "aveugle" des étrangers et les restrictions de leurs droits. Cette suggestion a été appuyée par le Syndicat unifié de police. En 2009, le Comité des droits de l'ONU a mis en garde l'Espagne contre le recours à des «détentions arbitraires et au rapatriement» des étrangers. Dans ce contexte, il est utile de rappeler que le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) avait constaté que «la détention du ressortissant marocain, Adnan El Hadj, arrêté lors d'un contrôle d'identité à Madrid, en mai 2012, était une mesure arbitraire». Le GTDA a déclaré qu'El Hadj a été interpellé «sans mandat judiciaire et s'était vu refuser l'accès à des garanties juridiques, et sous réserve d'insultes racistes».
La majorité des données statistiques disponibles sont compilées en rapport avec l'immigration et publiées par des groupes de la société civile, avocats, syndicats de police, institutions nationales des droits de l'homme et médias, ou bien obtenues grâce à des questions parlementaires au gouvernement. C'est la raison pour laquelle, il serait ardu de disposer de plus d'informations pour déterminer le véritable responsable de la tragédie de la patéra au large des Canaries, faisant un mort et sept disparus.


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