«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. Chapitre II : un siècle et demi de malentendus (Pages 148-156) 2.4.2.- Inmigración Depuis le début des années 90 du siècle dernier, la progressive augmentation de la colonie marocaine installée en Espagne est devenue une constante de l'agenda diplomatique. C'est surtout à cause de la prédominance de l'élément irrégulier que cette question s'est convertie en un motif de conflit. En 2000, la police nationale et la garde civile d'Espagne ont intercepté un total de 15.000 sans papiers (contre 3.500 en 1999). En été 2001, les cotes andalouses et canariennes ont enregistré un immense trafic d'embarcations de fortune (patéras), accompagné souvent de tragiques bilans de victimes mais aussi d'un échange d'accusations entre les autorités marocaines et espagnoles en rapport avec le transit illégal des personnes. Mariano Rajoy, alors ministre de l'Intérieur au deuxième mandat d'Aznar comme président de gouvernement, a jeté la responsabilité sur le gouvernement de Rabat de l'avalanche d'immigrés clandestins qui débarquaient sur les cotes espagnoles. Pour sa part, le ministre des Relations Extérieures, Josep Piqué, avait convoqué l'ambassadeur du royaume, le 22 août 2001, pour lui signifier les plaintes de son gouvernement et demander au Maroc de déployer davantage de contrôles sur ses cotes. Quelques jours plus tard, le roi Mohamed VI a saisi l'occasion d'une interview au quotidien Le Figaro, du 4 septembre, pour manifester le rejet des accusations venant de l'Espagne en rapport avec l'immigration et exprimer son insatisfaction des déclarations de certains responsables de Madrid. Il a particulièrement expliqué son désaccord avec l'attitude espagnole pour les raisons suivantes : « au Maroc, nous n'avons jamais occulté le problème de l'émigration. C'est un problème réel. Ce que nous n'acceptons pas, c'est que Madrid dise que toutes les difficultés de l'Espagne viennent du Maroc. Qu'il y ait des mafias au Maroc qui vivent de l'émigration clandestine et du trafic de drogues, c'est vrai. Mais en Espagne, il y aussi des mafias et elles sont plus riches qu'au Maroc. Les bateaux qui embarquent les clandestins viennent d'Espagne. Ils coûtent très cher et ils sont équipés de moteurs hyper-puissants qui rendent ces bateaux bien plus rapides que les vedettes de notre marine. Quant aux trafiquants de drogue marocains, ils ont des passeports espagnols et des comptes bancaires en Espagne. Ce n'est pas nous qui leur avons accordé la double nationalité. Disons que la responsabilité est partagée. Mais du côté du Maroc, c'est beaucoup par manque de moyens". Madrid a réagi en accusant pour sa part la police marocaine de « connivence avec les mafias de l'immigration irrégulière », a rapporté El Mundo du 7 septembre 2001, citant le ministre Piqué. L'incessant trafic de patéras vers les cotes andalouses a vite cessé après les attentats terroristes du 11 septembre contre le World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington. Les trafiquants des êtres humains ont dévié le trafic des patéras vers les Iles Canaries, rapportait El Pais du 25 septembre de la même année. Face aux aspects dramatiques de ce phénomène, la société civile a manifesté sa préoccupation pour les pertes humaines, inculpant à la fois les gouvernements des deux pays pour manque d'entente sur la politique migratoire, commentait de son côté La Vanguardia, le 9 décembre 2003. Il serait opportun, dans ce contexte, d'illustrer cette période de tension de quelques données qui vont marquer les annales des migrations durant la précédente décennie. Uniquement en 2004, ont été localisés les cadavres de 289 immigrés qui avaient péri dans les naufrages de patéras au large des côtes marocaines et espagnoles. Entre 1997 et 2004 ont été recensés, dans la tentative d'accéder par mer au territoire espagnol, un total de 1.400 personnes qui se seraient noyées, chiffre qui pourrait atteindre, selon l'Association des Familles des Victimes de l'Immigration Clandestine du Maroc, plus de 5.000. Dans une autre estimation, le Congrès Mondial: Mouvements Humains et Immigration signalait que plus de 10.000 immigrés clandestins auraient péri dans les mêmes circonstances entre 1995 et 2004. L'UE parlait d'entre 8.000 à 10.000 personnes qui se seraient noyées ou seraient disparues entre 1989 et 2002 dans leur tentative d'accéder au territoire espagnol à partir du Maroc, écrivait La Vanguardia dans son édition du 19 octobre 2005. La publication de bilans officiels relatifs à l'immigration irrégulière entre le Maroc et l'Espagne corrobore amplement cette situation entre 2005 et 2009: - Janvier – août 2005: le nombre de clandestins a baissé de 37% para rapport à la même période de l'année précédente. Ce volume a diminué grâce au renforcement des mesures de vigilance maritime et la coopération bilatérale en matière de lutte contre les flux migratoires irréguliers. - Janvier – juin 2006: 700 passagers de patéras auraient perdu la vie au large des cotes espagnoles. - 2007: 921 immigrés se sont noyés au large des cotes espagnoles, dont 629 subsahariens, 287 maghrébins et cinq asiatiques. - 2008 : 7.165 sans – papiers ont réussi à atteindre les cotes espagnoles. - 2009 : 4.457 ont fait de même de janvier à juillet. De nombreuses mesures conjointes ont été prises au niveau bilatéral, à partir de 2004, pour corroborer l'engagement des deux gouvernements à mettre sur pied une coopération efficiente en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Citons particulièrement la création au Maroc de centres de rétention d'immigrés subsahariens, centres éducatifs pour mineurs marocains non accompagnés, patrouilles conjointes, rapatriement de mineurs marocains non accompagnés se trouvant en Espagne de forme illégale. Il est aussi notoire de signaler qu'au 1 er janvier 2005, vivaient en Espagne 511.294 marocains en situation légale, dont 256.912 affiliés à la Sécurité Sociale. Il y avait également 4.441 mineurs marocains hébergés aux centres d'accueil des Communautés Autonomes en 2004. Cinq ans plus tard, nous nous trouvions avec 758.174 marocains munis de papiers en règle, recensés au 1er janvier 2010, dont 246.030 affiliés à la Sécurité Sociale. En décembre 2009, les affiliés marocains à la Sécurité Sociale se répartissaient de manière inégale dans les différentes Communautés Autonomes. Table 2: Affiliation de marocains à la Sécurité Sociale, fin 2009 para Communauté Autonome: moyenne décembre. En août 2012, la radioscopie du collectif marocain est totalement différente de celle de 2005. Ce sont 848.109 marocains munis de papiers en règle qui vivent en Espagne, un chiffre supérieur de 39.476 (plus 4,9%) par rapport au même mois de 2011. De même, ce sont 204.338 marocains qui cotisent à la Sécurité sociale (- 7.822 affiliés) soit moins de 3,7% en comparaison avec la même période de l'exercice précédent. Ceci revient au fait que le nombre des sans emploi marocains ne cesse d'augmenter pour se situer, début août 2012 à 151.541 (18,44% sur un total de 821.658 demandeurs d'emplois étrangers) alors que ceux qui bénéficient de prestations de chômage a atteint 70.253, soit 21,03% du total des étrangers se trouvant dans la même situation (333.905 personnes). De cette manière, la dimension du collectif marocain en situation régulière augmente alors que celle de la population active occupée diminue. Il est aussi clair que la communauté marocaine se trouve en tête de l'ensemble des collectifs étrangers (à l'exception du roumain) en termes de nombre d'immigrés en situation légale, ce qui démontre les grands pas qui ont été affranchis dans la coopération bilatérale en matière migratoire. A l'exception de certains incidents en rapport avec les tentatives d'entrée de subsahariens au territoire espagnol, la question migratoire a cessé d'être un motif de conflit. A suivre ...