Entretien avec l'écrivain M'barek Housni C'est à Casablanca que je l'ai accosté. Il n'a trouvé aucun inconvénient à ce que je m'approprie un peu de son temps pour une petite interview afin de sonder les fondements de son travail créatif. Car ses récits recèlent un humanisme certain. En dehors de la plume et de la feuille, qui est M'barek Housni ? Voilà une question d'ordre ontologique qui requit une réponse franche sans prétention ni forfanterie. Et je peux d'emblée dire que j'ignore la réalité de cet homme qui porte mon nom et mes traits en dehors du stylo et de la feuille, en dehors de l'écriture. Dans le sens de leur présence dans ma vie et non pas du fait que je suis un homme qui écrit des nouvelles, des poèmes, des articles, et des traductions. Car c'est un état de fait auquel je me suis habitué depuis ce premier jour où j'ai écris avec l'encre traditionnelle sur ma planche en bois dans la mosquée de notre quartier d'enfance «Ifriqiya» à Casablanca, là où j'ai commencé à prendre conscience du monde qui m'entourait. Je n'ai jamais oublié un petit événement qui m'était arrivé à l'époque. J'avais cinq ans et je jouais avec des enfants lorsque j'ai trouvé un morceau de crayon sur la chaussée poussiéreuse. Ce fut comme si j'avais trouvé un petit trésor. J'en étais heureux. Plus tard, vers ma douzième année et malgré mon âge, j'ai commencé à acheter des journaux et des livres. J'ai toujours voulu écrire, en tout temps et en tous lieux, et quand je n'écris pas je rêve que je suis en train d'écrire. Je peux écrire à l'aide d'un stylo et d'une feuille imaginaires dès qu'ils se mettent devant mes yeux. L'écriture est une situation de continuelle présence. D'autre part, je suis un grand marcheur, un grand voyageur, je ne reste pas dans un même lieu plus qu'il ne faut, et la nature de mon travail en tant qu'enseignant m'a obligé et m'oblige à faire des kilomètres et des kilomètres à chaque fois. Ainsi la passion de l'écriture et du voyage qu'est une sorte de transhumance a fait de moi un homme qui a une relation intime avec la solitude, en perpétuel questionnement sur lui-même, toujours en quête de recherche et de savoir sur les lieux et les autres comme un champ de connaissance, de fouille. Mais j'ignore toujours si j'ai bien pris le bon chemin ou le contraire !! Quand avez-vous pris la décision d'embrasser le monde de la création et comment ? Quand j'étais adolescent, vers mes quinze ans, j'avais l'habitude d'acheter des petits agendas et des petits carnets dans les différents marchés aux puces, « kicha » à Ben M'sick, les boutiques en tôles du souk Koréa et du souk Derb Ghallef avant leur destruction et leur remplacement par des boutiques en ciment. Ces «objets» en papier m'attiraient, et je choisissais souvent des carnets de petit format et sombre d'aspect. C'est sur leurs pages que j'ai commencé à écrire mon journal. A la même époque, j'achetais les livres de poche d'occasion, souvent aux pages froissés, qui sortaient des maisons d'édition égyptiennes, libanaises et françaises et parfois des livres sur la littérature arabe classique. Ils ne me coûtaient que quelques dirhams. Je garde encore ces journaux naïfs. C'est de là je crois que m'est venu l'envie d'écrire. J'ai commencé à écrire en imitant les écrivains et les textes qui me plaisaient. C'était souvent des textes où l'héros était l'écrivain lui-même, et la femme l'objet du désir et le sujet abordé le plus souvent. Le monde était un lieu de connaissance et d'aventure qu'il fallait découvrir par le seul moyen de l'écriture, à l'instar d'un Ernest Hemingway, cet aventurier et écrivain auquel je ne ressemblais guère, ni par la taille ni par l'audace inouïe ni par l'immense talent, mais qui m'a inculqué la foi en l'écriture, seul dans mon coin, un petit et pseudo écrivain, de circonstance. J'ai alors commencé à imiter en écrivant sur moi-même, sur mes préoccupations intimes et mes rêves à cette époque-là, vers le milieu des années soixante-dix du siècle dernier. Je rêvais d'écrire et de publier des livres, et je prétends être devenu un écrivain. Ce qui est intéressant à signaler ici c'est que je ne me suis pas dirigé vers la poésie en premier lieu car je souhaitais approcher le monde de la narration et pouvoir écrire des nouvelles vu que je lisais beaucoup de fiction. A mon avis, gagner le cœur de ma belle ne nécessitait pas des poèmes à la Neruda mais plutôt des récits stendhaliens. J'y croyais sans en être conscient car je croyais qu'un écrivain est celui qui est capable de construire un monde parallèle à la réalité, plein de suspenses, de secrets et gorgé du plaisir de découverte des événements inattendus mais possibles seulement dans l'écrit. La femme, pour moi alors, était plus proche de «Sarah» de Abass Mahmoud Alaakad plus que ces femmes qui hantent les introductions poétiques sur les «ruines des maisons des amantes» des poèmes arabes d'antan. A votre avis, les rencontres littéraires participent-elles à la promotion du travail du créateur marocain, ou ne sont-elles que des lieux marginaux où il fait connaissance avec d'autres créateurs ? Je ne crois pas qu'elles puissent ajouter quoi que ce soit. Elles ne sont pas destinées à ça. Leur fonction réside dans le fait de faire connaître les créateurs et de les présenter aux lecteurs, de faire connaître leurs livres avant toute chose. De même elles permettent à l'écrivain de rencontrer ses semblables qui partagent avec lui la passion illusoire de la création. On ne peut pas dire que cela va l'élever ou lui être d'une quelconque aide dans le domaine de la création. Celle-ci passe par la lecture suivie et continuelle des grandes œuvres littéraires, classiques et récentes, par la recherche de nouveaux territoires créatifs. Ce n'est qu'après que les rencontres littéraires se présentent comme des lieux de discussion, d'échanges et de reconnaissance. Elles sont des miroirs qui pourraient participer à faire avancer la création. Y a-t-il une différence entre les cafés casablancais et les cafés des autres villes marocaines? Les cafés se ressemblent tous. Un espace de chaises et de tables. Un intérieur où domine ou non une légère pénombre, étagé ou avec terrasse. Les uns pour le repos, d'autres pour les jeux de tiercé ou autre ou pour regarder des matches de foot. Il y en a qui sont fréquentés pas des intermédiaires en tout genre. Il y aussi des cafés connus comme lieu de bavardage et de drague, des cafés pour les amoureux, des cafés qui favorisent la lecture et les rencontres entre des intellectuels. Certains sont populaires d'autres plus huppés. On y boit tout, du café, du vin si c'est un café-bar, on y fume aussi des cigarettes et bien d'autres choses. Tous ces types de cafés existent à Casablanca et dans les autres villes du pays. L'exception est donnée par les vieux cafés des villes impériales comme Fès et Marrakech qui ont une senteur propre et un aspect autre. Et je ne cite pas les cafés des souks de la campagne. Peut-être que certains anciens cafés casablancais se distinguent par leur architecture française qui leur confère un aspect semblable aux cafés parisiens, mais ils commencent à disparaître l'un après l'autre. En marge de cette interview, j'ai découvert que la plupart de vos textes de création sont le fruit de longues heures passées au sein des cafés. Vous croyez que le café est un endroit qui favorise l'écriture ? Oui, assurément. C'est l'endroit qui couve mon monde secret. Ça date de ma première jeunesse et c'est après avoir beaucoup lu Jean-Paul Sartre. Il a fait beaucoup d'adeptes et d'imitateurs qui suivaient son genre de vie à une certaine époque. Prétentieusement, je voulais faire de même, et à mon tour j'ai cherché un café qui ressemblerait aux célèbres cafés parisiennes, «Flore» et «Deux Magots». Ceux-là même qu'il fréquentait en compagnie de Simone Du Beauvoir, entourés par des écrivains, des poètes, des artistes et des musiciens existentialistes. J'avais aussi dans la tête le café «Closerie des Lilas» qu'Ernest Hemingway fréquentait lors de son séjour parisien durant les années vingt du siècle dernier, là où il a écrit ses premières nouvelles. Bien sûr je ne les ai pas trouvés. C'était juste le désir d'un rêveur qui sera mis Ko au premier contact avec le monde de l'écriture. L'écriture n'est pas toujours cet Eden qu'on croyait. Oui, encore une fois, pour moi, le café constitue un espace adéquat pour écrire. La plupart de mes nouvelles ont été écrites dans des cafés des villes où j'ai vécu. Casablanca, Fès, Béni-Mellal, Azilal, Agadir, et mêmes dans des villes de passage. Mais il faut signaler que cette adéquation est purement personnelle, ça ne concerne que l'écrivain selon ses penchants et ses conditions de travail. Moi je me trouve absent du lieu dès que je suis pris par l'écriture d'un texte, disons que les gens autour de moi m'aident à m'enfermer au fond de mon monde intime, et lorsque je finis, je me sens satisfait de trouver le monde tel quel est, inchangeable. Le café vous offre cette relation avec le monde proche que « l'illusion de la création » vous fait oublier. Je dois beaucoup aux cafés. Quel est pour vous un café exemplaire ? Naïvement et simplement, je l'imagine comme un lieu plein de beaux tableaux d'art, de poèmes collés sur les murs, de photos des plus grands écrivains, des plus belles femmes, avec tous les types de boissons. Car une fois que vous traversez son seuil, vous vous trouvez accaparé et encerclé par les senteurs et les vents du culturel. Un café géré par un passionné de culture. C'est alors que les rencontres et les discussions seraient tout à fait naturelles, et y organiser une un événement culturel deviendrait un fait normal et assuré. Que représente pour vous: la plume, le rêve, la patrie ? La plume : le compagnon de route, l'assistant et l'arme avec laquelle je combats et j'affronte le monde, pour exister, et affirmer l'existence même si c'est une pure illusion, car ce qui écrit demeure et reste......Le rêve : un voyage nécessaire chaque fois qu'on veut avancer. La patrie : le Maroc.