Un instrument partial au service de la diplomatie d'influence La visite effectuée du 24 au 31 août 2012 par une délégation de membres de la Fondation Robert Ford Kennedy (RFK) pour la justice et les droits de l'Homme aux provinces marocaines du sud, ainsi qu'aux camps du Polisario a suscité des réactions contrastées. Dans le cadre de cette note, il conviendra d'analyser les observations préliminaires formulées par ladite fondation, étant entendu qu'une analyse détaillée des conclusions de cette Organisation non gouvernementale (ONG) internationale ne saurait intervenir que lorsque le rapport définitif aura été adopté. Remarquons d'abord que cette visite intervient dans un contexte précis. RFK, qui se réclame de la ligne idéologique du parti démocrate américain, a effectué une telle visite à l'approche de l'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU), notamment sa Quatrième commission, mais aussi à quelques semaines du lancement des élections présidentielles américaines. Or, on sait que, traditionnellement, les démocrates américains font de la doctrine des droits de l'Homme leur cheval de bataille. Soit ! Mais on remarquera que ces mêmes démocrates renient aux Palestiniens leur droit à l'autodétermination et à la création d'un Etat indépendant. C'est dire que leur ligne stratégique est à géométrie variable. Alors que Barak Obama faisait lors de sa campagne électorale de 2008 de cette question l'un de ses objectifs, il a reculé sur ce terrain une fois élu suite à la pression du puissant lobby israélien aux Etats-Unis. RFK pourrait donc être rangée du côté des organisations de gauche qui soutiennent le droit des peuples à l'autodétermination, promeuvent les droits de l'Homme à travers le monde. Mais, on aurait bien souhaité que le même centre puisse lever, le moment opportun, le petit doigt pour dénoncer, entre autres, les atrocités américaines à Guantanamo, les interventions musclées de l'armée américaine en Irak ou en Afghanistan. On aurait également espéré que RFK réagisse de manière proportionnée aux exactions israéliennes à Gaza, notamment lors de l'offensive des années 2008 et 2009 qui a tué près de 1400 Palestiniens. Le rapport Goldstone n'avait-il pas fait part des «crimes contre l'humanité» et des «crimes de guerre» commis par l'armée israélienne à l'encontre des Palestiniens ?! RFK choisit donc bien ses cibles en fonction d'un agenda bien précis. Les droits de l'Homme viendront à la rescousse des desseins géopolitiques étasuniens pour étendre l'influence américaine sur toute la planète. RFK revendique une affiliation aux idées démocrates, notamment celles véhiculées par l'ancien président américain Jimmy Carter en vue d'améliorer l'image des Etats-Unis dans le monde. Cette même image a été à maintes reprises écornée et le dernier épisode remonte à la campagne dite anti-terroriste menée par l'administration Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Après l'élection de Barak Obama en 2008, les Etats-Unis ont cherché à soigner leur image auprès de l'opinion publique mondiale. On peut penser que le mode opératoire de structures comme RFK participe de cette fonction d'image au service d'intérêts géostratégiques latents. De manière générale, et sans pouvoir s'étaler encore plus sur les considérations de type théorique ou paradigmatique, soulignons que les acteurs transnationaux comme les ONG jouent, depuis notamment les années 1970, un rôle croissant dans les relations internationales. A l'heure actuelle, leur statut s'est consolidé, surtout à la suite de l'irruption des technologies de l'information et de la communication. Les ONG américaines comme RFK ou Human Rights Watch (HRW) contribuent, en réalité, à asseoir la puissance d'influence normative étasunienne. L'action n'est donc pas désintéressée ou neutre, mais adossée à une stratégie internationale constituée de réseaux, d'acteurs divers, d'objectifs avoués ou occultes. Une chaîne mondiale d'acteurs, de facteurs et d'enjeux tissant une toile mondiale au service des intérêts de la première puissance de la planète. Le caractère partial et expéditif des conclusions premières de RFK Nous ne pouvons, bien sûr, que soutenir les conclusions des ONG internationales qui appuient le respect des droits de l'Homme au Maroc en général, et au Sahara en particulier, sachant que le Maroc est un et indivisible. Néanmoins, la perception du conflit du Sahara de l'extérieur est souvent ombragée par des facteurs cognitifs et idéologiques qui brouillent toute vision lucide. La situation dans ce territoire ne saurait être expliquée par la seule référence aux standards des droits de l'Homme. Le problème est beaucoup plus complexe. En effet, l'une des fonctions fondamentales d'un Etat de droit réside dans le maintien de l'ordre. Or, des poches d'activistes au service du Polisario transforment des protestations d'essence socio-économique en revendications indépendantistes. Et les mouvements sociaux au Maroc sont légion et parfaitement tolérés. Mais quand ils sont attentatoires à l'ordre public, l'Etat marocain, à l'instar de tout Etat démocratique, se doit de réagir. Le cas de l'Espagne est dans cette perspective prégnant. Par conséquent, l'on peut affirmer que RFK a une conception bien singulière de la notion d'ordre public. De plus, il faudra soigneusement observer que le fait que RFK puisse se mouvoir en toute liberté au Sahara démontre que le système marocain est bien un système ouvert. Et dans un tel système, la censure est insignifiante. Et donc, les faits, «positifs» comme «négatifs», afférents notamment à la gouvernance et aux droits de l'Homme au Maroc, sont connus et diffusés librement. On aurait donc aimé savoir quelle aurait été la posture algérienne au cas où une ONG, patentée comme étant pro-marocaine, aurait exprimé le souhait d'effectuer une visite de travail dans les camps de Tindouf. Malheureusement, dans les rapports fournis par des ONG comme RFK, l'approche est cantonnée dans des considérations juridiques qui empêchent toute appréciation globale du conflit du Sahara. Les observations préliminaires de RFK ont été expéditives. D'un seul trait, l'ONG souligne l'absence de liberté d'association ou de réunion, l'existence de cas supposés de torture ou de disparition forcée et la présence massive des forces de l'ordre partout dans les villes visitées. Mais RFK a oublié que ce sont ces forces de l'ordre qui ont démantelé en 2010 le campement de Gdim Izig sans tirer une seule balle et que les prétendues personnes tuées lors de cette opération ont été imaginées par une presse espagnole instrumentalisée au mépris de toute éthique. Le Centre RFK n'a pas pris le temps nécessaire pour écouter tous les acteurs représentatifs, que ce soit dans les provinces du sud ou dans les camps du Polisario. Par exemple, RFK n'a pas rencontré les représentants du mouvement dissident «Khat Achahid». De même, RFK n'a pas pris la peine de rencontrer Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, dissident du Polisario qui a pris position en faveur du Plan marocain d'autonomie et, depuis, ayant fait l'objet de torture et de bannissement de la part de cette organisation séparatiste au mépris de toutes les considérations élémentaires d'humanité. L'ONG n'a pas non plus rencontré les anciens dirigeants séparatistes ayant décidé de rallier la mère-patrie. Le parti-pris de RFK pour la thèse séparatiste est donc flagrant. Cela illustre une méconnaissance profonde du conflit saharien, de sa réalité et de ses multiples facettes. Les passages consacrés aux camps du Polisario ont été d'ailleurs lapidaires. Aucune observation critique n'y a été formulée. Pourtant, les résolutions et les rapports de l'ONU concernant le conflit du Sahara font état de la nécessité d'améliorer les droits de l'Homme aussi bien au Sahara marocain qu'au sein des camps du Polisario. On citera, à titre d'exemple, la résolution 2044 du Conseil de sécurité, en date du 24 avril 2012, et le rapport du Secrétaire général de l'ONU sur la situation concernant le Sahara occidental, en date du 5 avril 2012. Ceci étant rappelé, voici quelques remarques préliminaires que l'on pourra formuler au sujet des conclusions contenues dans le rapport controversé, en attendant l'adoption du rapport définitif : Le centre RFK, en particulier, s'est rangé, depuis longtemps, du côté de la thèse séparatiste du Polisario. Cela s'est manifesté, entre autres, par l'octroi d'un prix à Aminatou Haïdar en 2008. Et lorsque cette dame a renié sa nationalité marocaine et a été expulsée hors du Maroc, avant d'y revenir pour des considérations humanitaires, RFK a dépêché des journalistes auprès d'elle au moment où celle-ci poursuivait sa grève de la faim dans l'objectif de diaboliser le Maroc. RFK n'a pas mis en exergue les avancées réalisées par le Maroc en matière de droits de l'Homme, notamment au niveau des provinces du sud. Ainsi, l'acceptation par le Royaume des procédures spéciales relevant du Conseil des droits de l'Homme n'a pas été rappelée. Pourtant, il s'agit de la part du Maroc d'une réelle volonté d'améliorer la situation des droits de l'Homme dans les provinces du sud et d'y déployer une gouvernance sécuritaire durable. Se dégage l'impression que l'architecture du rapport de RFK a été déjà élaborée avant même la tenue de la visite. Le canevas a été déjà établi reprenant des formules connues des lecteurs des rapports, non moins lapidaires, de Human Rights Watch et consœurs. Zoom sur le CEI - Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, «Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009)» (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.