Les enjeux d'une visite Suite à une visite effectuée au Sahara occidental et dans les camps des réfugiés sahraouis, situés à Tindouf en Algérie, du 24 au 31 août 2012, la délégation de la Fondation Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l'Homme (RFK) a publié un rapport faisant état de ses observations préliminaires sur la situation des droits de l'Homme in situ. Même si cet organisme américain avait affirmé s'en tenir à une position objective et assuré produire un rapport impartial, les éléments qu'il a rapportés ne reflètent en aucun cas la situation réelle sur le terrain. Ainsi, à titre d'illustration, il est fait état dans le rapport «(...) de graves violations des droits de l'Homme, d'enlèvements et de détentions arbitraires régnant dans les provinces marocaines du sud» à un moment où il y est mentionné «(...) un respect exemplaire des droits humains dans les camps contrôlés par le Polisario (...)». A proprement parler, quand le Maroc a autorisé la Fondation RFK à visiter les provinces du sud en vue d'y observer la situation des droits de l'Homme, il savait d'ores et déjà que cette visite n'était pas totalement impartiale et objective. En effet, bon nombre d'observateurs internationaux sont convaincus du soutien inconditionnel que prodigue cet organisme au Front Polisario. Kerry Kennedy, en sa qualité de présidente de la Fondation, a clairement indiqué à maintes occasions que son objectif stratégique était de soutenir l'activiste sahraouie Aminatou Haidar et à travers elle le Polisario. Aussi, depuis qu'elle s'intéresse de près au différend saharien, Mme Kennedy ne fait aucunement référence aux abus commis par la caste polisarienne dans les camps qu'elle administre sur le sol algérien. Il est dès lors légitime de s'interroger sur la crédibilité de la Fondation RFK, mais aussi sur l'aptitude de Mme Kennedy à la diriger sans heurter le devoir d'objectivité lui incombant. Plusieurs voix se sont élevées à travers le monde pour exprimer leur mécontentement, jugeant le rapport préliminaire rendu par la Fondation RFK comme étant biaisé et partial. Rappelons à ce titre que le rapport en question a omis de dévoiler plusieurs vérités dont il convient de rappeler quelques-unes. D'abord, le problème majeur, relatif aux droits fondamentaux, est bien la limitation de la liberté de circulation des Sahraouis de Tindouf. Nombre d'observateurs et d'Organisations Non Gouvernementales (ONG) considèrent que si la direction du Polisario accorde la liberté de se déplacer aux réfugiés sahraouis, les camps subiraient un exode massif. Ce qui discréditerait davantage le Front séparatiste. S'en suivrait logiquement une diminution substantielle de l'aide humanitaire apportée par la Communauté internationale. Bien que les responsables du Front soutiennent constamment que les réfugiés sont autorisés à se déplacer à l'étranger, ceux-ci ont besoin pour ce faire de titres de voyages délivrés par les autorités algériennes. Or, seuls des liens étroits avec la stratocratie polisarienne permettent d'obtenir un tel privilège. Selon des rapports concordants, le déficit en démocratie et la persistance d'un climat d'oppression incitent de plus en plus les Sahraouis à quitter les camps. La majorité d'entre eux rejoint le Maroc, tandis que le reste, choisit d'aller soit vers la Mauritanie, l'Espagne ou vers d'autres pays européens. Ensuite, le nombre massif de réfugiés sahraouis ayant quitté les camps atteste de l'échec de la stratocratie polisarienne, et derrière elle l'Algérie, à contrôler les mouvements de la population. Ceci étant, les jeunes sahraouis ne sont pas les seuls à quitter les camps. Des fonctionnaires de haut rang ayant fait partie de l'élite politique du Front séparatiste ont de tout temps rallié le Maroc, confirmant l'affaiblissement de la structure politique et militaire de la junte polisarienne. De plus, la mort suspecte de Mahfoud Ali Beiba, l'un des pères fondateurs du Mouvement, ainsi que l'exil forcé de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, ancien chef de la police du Front, qui s'est trouvé interdit de rejoindre sa famille dans les camps, en raison de sa position favorable au Projet marocain d'autonomie (PMA), sont autant de signes qui confirment la déliquescence du Polisario. Par ailleurs, l'un des points critiques pour le Mouvement séparatiste a sans doute été le nombre considérable des chioukhs de tribus et d'anciens combattants et d'opposants sahraouis qui ont été ignorés par la délégation de la Fondation RFK, parce qu'ils se déclarent en défaveur de la direction actuelle du Polisario et de son chef, Mohamed Abdelaziz. Mme Kennedy a refusé de rencontrer ces Sahraouis parce qu'ils contestent la manière avec laquelle sont conduites les négociations entre le Maroc et la direction polisarienne, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Il est clair qu'un changement majeur est amorcé par l'émergence d'une posture favorable à l'option autonomique dans les camps, s'opposant ainsi aux idées prônées par les séparatistes, eux-mêmes téléguidés depuis Alger. A l'instar du volet sécuritaire, les conditions politiques et sociales continuent de se détériorer à Tindouf, en ce sens que de nouvelles menaces envahissent la région. D'un point de vue strictement humanitaire, l'effondrement éventuel du Polisario condamnera inexorablement la vie de milliers de réfugiés, qui se retrouveront sans-abri. Il conviendra également, dans un tout autre registre, de s'interroger sur le sort de l'arsenal militaire relativement sophistiqué dont dispose le bras armé du Polisario depuis des années. L'effondrement d'un semblant d' « ordre juridique » dans les camps mettra non seulement en péril la sécurité et la stabilité de l'Algérie, du Maroc, de la Mauritanie et de toute la zone sahélienne, mais également les intérêts sécuritaires de l'Union européenne et des Etats-Unis. Enfin, il est désormais possible de faire état de liens avérés entre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et certains membres du Polisario. Après l'installation, de gré ou de force, des Sahraouis dans les camps de Tindouf, le gouvernement algérien devait honorer ses engagements internationaux, notamment au sujet des conventions et traités internationaux portant sur le droit des réfugiés. Or, il semble que l'Etat algérien, au même titre que la direction du Polisario, commence à perdre le contrôle des camps. Des éléments du Front peuvent désormais s'impliquer dans des activités de nature criminelle comme le narcotrafic, le rapt de ressortissants étrangers et, de manière générale, le terrorisme dans la région sahélo-saharienne. Les liens, de plus en plus étroits, qui se tissent entre le Polisario et les éléments d'AQMI, constituent une source de préoccupation croissante pour les grandes puissances occidentales. Les services de renseignements espagnols en particulier, et européens en général, avaient déjà mis en garde le gouvernement madrilène contre cette menace. Ce qui l'a, entre autres, amené à rapatrier le 28 juillet 2012, ses coopérants humanitaires exerçant dans les camps de Tindouf. Dans un article intitulé, «Terrorisme croissant à Tindouf», paru dans les colonnes du quotidien canarien El Dia, dans sa livraison du 29 septembre 2012, le journaliste espagnol Ramon Moreno affirme à propos de la montée de la criminalité, qu'«il n'y a pas l'ombre d'un doute sur les implications de l'Algérie dans tout ce qui se passe au Maghreb et au Sahel». La stratégie des forces armées algériennes, qui détiennent le pouvoir effectif dans leur pays, a toujours été «(...) d'exporter leurs problèmes internes au-delà de leurs propres frontières», relève Moreno. Au vu de ces risques sécuritaires, nul besoin d'être un expert du dossier saharien pour s'interroger sur les motivations sous-jacentes de la délégation de la Fondation RFK, laquelle n'a pas fait mention des aspects décrits ci-dessus, plus particulièrement du cas du dissident du Polisario, Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, qui ne constitue qu'un exemple parmi tant d'autres sur la liste des violations des droits de l'Homme commises par le Polisario. Contrairement à la Fondation Kennedy, les deux ONG, Amnesty International et Human Rights Watch, ont, à plusieurs reprises, visité la région, notamment les camps de Tindouf où ils ont rencontré les différents groupes sans aucune discrimination. Ces ONG ont dressé des rapports décrivant objectivement la situation des droits de l'Homme dans les camps du Polisario en insistant particulièrement sur les aspects ci-après : - Les détentions politiques. - La restriction de la liberté de mouvement. - L'interdiction de voyager à l'étranger et même à l'intérieur de l'Algérie. - L'interdiction pour les dissidents de réintégrer les camps. - La persistance de pratiques esclavagistes. - La détérioration des conditions de vie des habitants. La visite de la Fondation RFK effectuée à Tindouf, qui n'a duré que quelques heures seulement, et qui s'est soldée par une évaluation positive de la situation des droits de l'Homme, a suscité de vives réactions régionales et internationales. Notons qu'à l'intérieur même des Etats-Unis, Mme Kennedy a été critiquée pour la façon avec laquelle elle a mené la délégation. En témoigne Richard Miniter, auteur des bestsellers, Guerre d'Ombres (Shadow War) et Perdre Ben Laden (Losing Ben Laden), qui a déclaré au quotidien américain Daily Caller, dans sa livraison du 30 août 2012, qu'«en prenant fait et cause pour les séparatistes, Mme Kennedy s'érige en chantre d'un groupe aux liens avérés avec des mouvements terroristes, qui appellent à la guerre contre les Etats-Unis, ainsi qu'avec des réseaux de trafiquants de drogue qui nourrissent de la haine aux peuples civilisés». Pour Richard Miniter, Mme Kennedy est «(...) manipulée par le Polisario à des fins propagandistes». L'auteur regrette la naïveté dont fait preuve, à cet égard, la présidente de la Fondation Kennedy. Du fait de l'élaboration d'un rapport biaisé sur la situation des droits de l'Homme dans les provinces du sud et dans les camps de Tindouf, la Fondation RFK, financée en partie par l'Algérie, serait une organisation investie d'une mission consistant à sauvegarder les intérêts de la stratocratie polisarienne. Bien que ces accusations affectent gravement sa crédibilité, la Fondation RFK refuse de clarifier la position qu'elle a prise dans le cadre des différents rapports l'accusant de recevoir des directives du gouvernement algérien, par l'entremise de tierces parties. Pour conclure, il est clair que le rapport préliminaire de la fondation RFK n'était qu'une action de propagande, en faveur d'un Front séparatiste de plus en plus isolé sur la scène internationale, en raison de l'implication directe d'un certain nombre de ses membres dans des activités terroristes et de narcotrafic dans la région sahélo-saharienne. Mais il conviendra de noter que Mme Kennedy ainsi que la Fondation qu'elle dirige ne peuvent influencer le cours des événements au Sahara occidental. La protection et la promotion des droits de l'Homme y sont devenues un mode de gouvernance irréversible. Texte Traduit de l'anglais vers le français par Brahim FILALI Analyste au Centre d'Etudes Internationales *Expert en politiques nord-africaines et sahélo-sahariennes *Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales