Avec la nouvelle constitution du Royaume, la phase transitoire réservera de larges espaces à des débats savants ou pseudo-savants. Plus que jamais nous aurons besoin de puiser dans nos réserves de sagesse politique et de pertinence juridique, même si elles ne sont pas inépuisables, loin s'en faut. Comme toute constitution, la loi fondamentale du 1er Juillet 2011 a prévu une espèce de « no man's land » juridique, assurant une transition entre une ancienne constitution qui a, par définition, consolidé une vie institutionnelle intense, et une nouvelle qui en est, par définition, en sa phase de structuration progressive. Il s'ensuit inéluctablement une période de flou constitutionnel relatif qu'il appartient à l'analyse politique et juridique rigoureuse et responsable de combler. Concrètement, ce flou transitionnel se caractérise par l'existence d'un Parlement bicaméral dont la première Chambre vient d'être élue et la deuxième Chambre dont l'élection remonte au texte constitutionnel précédent. De plus, la transition est également gouvernementale. L'ancien cabinet, en fin de parcours, se borne à gérer les affaires courantes depuis qu'un nouveau Chef de l'Exécutif a été nommé par le Chef de l'Etat. Par ailleurs, la phase transitoire est compliquée davantage par le fait que le nouveau dispositif a clairement – et pour la première fois au Maroc – établi une incompatibilité entre l'appartenance au Parlement et l'appartenance au Gouvernement. Le décor a ainsi été passablement obscurci par le fait qu'il a fallu gérer la présence, sous la coupole de la Chambre Basse, de députés fraîchement élus, mais ayant la qualité de Ministres (sortants) ce qui a été lu contradictoirement par quelques groupes parlementaires qui ont récusé le droit d'un ministre-député à se porter candidat à la présidence, sans qu'ils appliquent cette lecture à eux-mêmes dès lors qu'ils sont formellement soumis à la même double qualité ! Bref, un bel imbroglio juridique qui a pu être mis à contribution pour alimenter des escarmouches politiciennes qui ne grandissent pas le débat constitutionnel et politique dans notre pays. Ce panorama abscons a été encore davantage compliqué par la gestion, à notre avis chaotique, de la présence d'un certain nombre de ministres à la séance de lundi 19 Décembre, de la Chambre des Représentants. Usant de leur double qualité de députés et de ministres, ils se sont installés sur les bancs du gouvernement. A notre avis il s'agit là d'une première erreur dans l'application de la constitution et de la loi organique de la Chambre des Représentants, parce qu'ils n'étaient pas présents sous la coupole, en tant que ministres, mais en tant que nouveaux députés. La preuve en est qu'aucun des autres ministres du gouvernement sortant (non élus) ne se trouvait sur place. Par conséquent, ils n'avaient pas le droit de mettre en avant leur qualité de ministres. Et leur présence devait se limiter aux bancs des députés. Scier la branche sur laquelle on est installé n'est pas d'une grande finesse politique Cette erreur a été l'antichambre d'une seconde erreur, plus grave encore, celle consistant à ne voir en Monsieur Karim Ghellab qu'un ministre en poste, briguant le perchoir. Or tel n'est pas le cas, Monsieur Ghellab n'était pas présent en tant que ministre, mais en tant que député, jouissant de tous les droits inhérents à sa qualité de député. Les contestataires de cette candidature ne se sont pas rendus compte, qu'en discutant la légitimité et la légalité de la candidature de Monsieur Ghellab, ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient installés eux-mêmes. En effet si Monsieur Ghellab était réellement dans une situation d'incompatibilité lui interdisant de se porter candidat au perchoir, celle-ci s'appliquerait pleinement aux autres membres du Gouvernement élus députés. A notre connaissance, et jusqu'à aujourd'hui ils n'ont pas présenté leur démission du Gouvernement. Ils continuent à user de leur double casquette de ministres gérant les affaires courantes et de députés. Personne ne leur dit « vous avez tout faux » ! Or le problème n'est pas d'être ou non, candidat au perchoir, mais d'être ou non, député. L'exercice du droit de candidature n'est que la conséquence logique, naturellement liée à la qualité de député. Dès lors, de deux choses l'une, ou bien Monsieur Karim Ghellab était dans une situation d'incompatibilité et dans ce cas, tous ses pairs, les députés – ministres, sont dans la même situation d'incompatibilité. Ou bien la présence de ceux-ci à la Chambre, de surcroît, exerçant leurs droits inhérents à la fonction de représentant de la Nation (dont ceux de prendre la parole et même de quitter bruyamment la séance) est conforme à la constitution. Dans ce cas de figure (qui est celui privilégié par les contestataires) la présence de Monsieur Ghellab et l'exercice des droits liés à sa qualité de député (dont le droit de se porter candidat) sont une présence et des droits constitutionnellement valides. Par conséquent, la contestation de la constitutionnalité de l'élection de Monsieur Karim Ghellab, au motif qu'elle serait attentatoire au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs n'est pas soutenable. Ce principe constitutionnel sacré, ne concerne pas exclusivement la présidence de la Chambre comme le laissent entendre les contestataires en faisant dire aux articles 14 et 17 de la loi organique de la Chambre des Représentants ce qu'elle ne dit ni explicitement ni implicitement. Ce principe, comme le stipulent les deux articles sus-mentionnés, concerne la qualité de membre de la Chambre des Représentants. Dans la normalité institutionnelle (c'est-à-dire après que le gouvernement issu de cette nouvelle Chambre soit constitutionnellement investi par le Roi et la Chambre) l'appartenance concomittante au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif, est pour la première fois au Maroc clairement bannie.C'est dans ce cas et dans ce cas seul, que l'on pourrait valablement invoquer la violation du principe sacro-saint de séparation des pouvoirs. Or, dans les faits, c'est un ministre appartenant à un gouvernement de gestion des affaires courantes, c'est-à-dire qui n'appartient pas au gouvernement nouveau issu de la nouvelle Chambre, qui a été élu au regard de sa qualité indiscutable de député qui a assisté à la séance d'élection au même titre que tous les nouveaux députés appartenant au gouvernement sortant. On ne peut raisonnablement pas affirmer que l'incompatibilité ne s'applique qu'au seul président ! A ce titre, nous affirmons que Monsieur Ghellab n'avait même pas besoin de démissionner formellement comme il l'a fait, autrement il faudrait considérer que tous les ministres, nouvellement élus députés et non démissionnaires sont dans une situation d'inconstitutionnalité manifeste ! Dans un débat sérieux, il n'ya pas de place pour le « deux poids, deux mesures ».