Les Amis du Café Littéraire ont rendu hommage, lundi dernier au club de tennis de l'USM à Casablanca, un vibrant hommage à l'écrivain et dramaturge Mohammed Kaouti. Six spécialistes et experts de la critique et de la recherche théâtrale étaient au rendez-vous de la fidélité et de la reconnaissance envers l'un des grands dramaturges marocains et arabes profonds, pour avoir jeté un faisceau de lumière sur le théâtre marocain, dans ses contradictions et paradoxes et en faisant du mot son arme redoutable. Tour à tour, Mohamed Bahjaji, journaliste et écrivain dramatique, Khalid Amine, président du Centre international pour les études du spectacle de Tanger, professeur chercheur et critique théâtral, Rachid Douani, professeur et metteur en scène, Azzeddine Bounit, professeur de théâtre à l'université d'Agadir, Abderrahman Khayat, réalisateur de cinéma,TV et théâtre, et Ibrahim Nachikh, metteur en scène de théâtre, ont loué les qualités humaines, professionnelles et militantes de Mohammed Kaouti. Les intervenants, chacun à sa manière, ont disséqué le parcours de Mohammed Kaouti, depuis les décennies 70 du siècle derniers à nos jours. C'est toute une vie à rebours qui repasse, avec la troupe théâtrale «Salam Barnoussi» dont les pièces étaient l'œuvre de Kaouti et qui ont contribué à surseoir la base du théâtre amateur au Maroc. Selon les intervenants, elles «constituent l'une des références les plus importantes et un étendard qui a mis en place les fondements de l'expérience théâtrale à Casablanca». Les qualificatifs épithètes fusent de toutes parts pour décrire l'homme, son œuvre, son travail inlassable pour faire progresser le théâtre et l'écriture théâtrale mais aussi faire avancer la culture populaire en la hissant à un niveau inégalé. C'est toute une génération d'intellectuels qui a appris auprès de lui et qui a aimé le théâtre grâce à lui. «Passeur culturel», «Ecrivain perspectiviste», «Savant, fin concasseur et Fkih de la langue arabe et du dialecte marocains», homme au «Texte voyageur», auteur d'un «dialogue savant», Mohammed Kaouti est présenté comme l'un des rares dramaturges marocains qui a su donner sens et vie aux mots. Son œuvre est qualifiée de «Lumière diffuse et fugueuse», de maîtrise du «Temps limité» dans le temps, de «l'empreinte ancrée», de «peinture artistique aux multiples couches»... Ses textes chansonnants sont un véritable et riche dialogue, où sont hiérarchisées ses positions, ses convictions exprimées avec sérénité, et «feed back» incessant sur «l'ère ancienne», à laquelle il insuffle une dose de soufisme, qui fait appel à la poésie, aux textes coraniques et à l'intertextualité. C'est «ce dialogue» fort que crée Kaouti avec ses textes qui en fait «sa force» et le traverse de bout en bout pour l'interpeler contre l'oubli et la bassesse matérialiste qui ont porté beaucoup de tort au théâtre marocain. La poésie de sa langue, tant classique que dialectale, le distingue du lot des dramaturges. Perpétuellement dans la lecture et donc dans la privation et les questionnements, il a créé son «métier», celui des mots et des maux qui traversent le monde d'hier et d'aujourd'hui, dans une perspective futuriste. Les chercheurs, auteurs et critiques dramaturges se sont arrêtés tout particulièrement sur ses derniers textes édités récemment par le Centre international des études du spectacle, pour appuyer la valeur intrinsèque des écrits de Kaouti. Quatre chefs d'œuvre revenaient, tel un leitmotiv, pour mettre en relief l'apport de l'homme au théâtre. De «Bou Ghaba» à «Sidna Kdar», en passant par «No man's land» et «Ring» et d'autres textes novateurs, la profondeur et la simplicité de l'écrit, des mots auxquels un sens (des sens) est donné, sont louées par les intervenants agréablement étonnés par le plaisir de lire, de voir jouer les textes d'un grand de l'écriture théâtrale, que leur offre, en même temps qu'au public marocain, un fin connaisseur et donneur d'ordres aux mots qu'il manipule avec intelligence, manie avec dextérité et à sa guise, en les faisant interférer pour en ressortir une réelle symphonie musicale, agréable à lire, à voir se produire sur les planches. Les amis du Café littéraire ont également mis en relief les efforts inlassables de Kaouti pour la sauvegarde de la mémoire collective de notre théâtre, aujourd'hui menacée de déperdition. La «lumière» de Mohamed Kaouti est toujours là, omniprésente, omnipotente pour rappeler et sauvegarder la mémoire, la sortir de l'oubli et de l'usure du temps. Les récentes publications et l'hommage qui lui a été rendu, au mois dernier à Tanger, s'inscrivent dans cette démarche qui veut que l'oubli n'a pas droit de cité dans un métier qui, selon lui, a perdu ses repères, «son stimulant idéologique» et «sa combativité contre une autorité injuste», et se trouve, aujourd'hui malgré un récent foisonnement, à la merci de négociants qui tablent sur «l'apport matériel que sur la création et la beauté».