La Constitution marocaine de 2011 -Analyses et commentaires est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales* (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et dont la commercialisation au Maroc aura lieu prochainement. Dans cet ouvrage collectif, Michel Rousset** s'interroge sur l'interprétation des pouvoirs du roi tels qu'ils découlent de la nouvelle Charte fondamentale. Une Constitution ne peut se comprendre qu'en fonction du passé constitutionnel et politique de la société qu'elle doit régir et pas seulement des principes et des règles qu'elle comporte. La nouvelle Constitution marocaine ne fait pas exception à cette vérité d'expérience. En effet, cette Constitution, comme ses devancières d'ailleurs, est le produit d'une double filiation. D'une part, son origine musulmane qui s'incarne dans la qualité de commandeur des croyants du souverain ; et d'autre part, une origine moderne et plus récente, puisée dans le constitutionnalisme occidental. D'où une hybridation du système juridique qui introduit une ambiguïté quant au sens des dispositions constitutionnelles. C'est cette ambiguïté qui a posé problème en ce qui concerne l'interprétation des pouvoirs du roi : doit-on procéder à une interprétation stricte de ses pouvoirs en s'appuyant principalement sur les pouvoirs expressément attribués ou faudra-t-il admettre que le roi peut aussi bénéficier de pouvoirs implicites qui seraient le complément nécessaire des pouvoirs qui lui sont expressément attribués ? Les constitutions de 1962 à 1996 ont été élaborées en vertu d'un pouvoir « pré-constituant » du roi qui en a ainsi largement déterminé le contenu même si en 1992 et en 1996, il a consulté les partis politiques. Par ailleurs, toutes ces constitutions reposent sur la prépondérance du pouvoir royal qui trouve sa formulation dans l'article 19 énonçant que le roi est Amir Al Mouminine et, depuis 1970, qu'il est le représentant suprême de la nation. L'interprétation des pouvoirs royaux a été naturellement dépendante de cette double primauté, religieuse et constitutionnelle. En fonction des circonstances, le roi peut agir tantôt en vertu des pouvoirs expressément accordés, tantôt en vertu des pouvoirs implicites qui en sont déduits sur la base de l'article 19. De ce fait, le dispositif des constitutions précitées ainsi que leur mode d'interprétation, ont, au cours des décennies écoulées, eu pour effet d'élargir les pouvoirs du roi. En faisant valoir la théorie des pouvoirs implicites, les interprètes, à savoir les magistrats de la Cour Suprême, le Secrétariat général du gouvernement et le Cabinet Royal, ont cru pouvoir déduire des attributions expressément confiées au Roi, des compétences qui en découleraient nécessairement, bien que non prévues expressément. Aujourd'hui, l'élaboration de la nouvelle Constitution dans le contexte politique interne et international qui prévalait au printemps 2011, comme le texte lui-même de la Constitution, ne permettent plus une telle interprétation. L'élaboration de la Constitution de 2011 a suivi un processus différent en ce sens que le roi a abandonné une partie de son pouvoir « pré-constituant » en faveur d'une Commission consultative qu'il a nommée et chargée de préparer le projet d'une réforme constitutionnelle globale sur la base de sept directives, sans que cela altère la possibilité pour la Commission de faire preuve de créativité. Il s'agissait notamment d'assurer le développement des droits et libertés, de garantir la primauté de la loi et l'égalité de tous devant elle ainsi que de renforcer l'identité nationale tout en reconnaissant l'importance de la diversité en faisant place notamment à l'amazighité. La Commission devait définir les moyens susceptibles de mieux assurer l'équilibre des pouvoirs en renforçant ceux du parlement et du gouvernement ; ce dernier étant dirigé par un chef de gouvernement pleinement responsable de la politique gouvernementale. Le projet ainsi préparé a été soumis à l'approbation du roi et approuvé par référendum le 1er juillet 2011. Les attributions royales connaissent une innovation capitale. L'article 19 disparaît, ou se voit remplacé plutôt par deux articles qui distinguent les compétences religieuses du roi de ses compétences de chef d'Etat. Il reste le « représentant suprême » de la nation mais il exerce par dahir les pouvoirs qui lui sont expressément attribués. Si cette formule existait déjà dans les constitutions précédentes, elle a désormais vocation à être strictement respectée. D'une façon générale, les pouvoirs du roi sont limités à proportion de l'accroissement de ceux du gouvernement et de son chef. La confrontation des compétences du Conseil des ministres à celles du Conseil du gouvernement, aujourd'hui constitutionnalisé dans son existence comme dans ses compétences, montre la nécessité d'une coopération dans laquelle le principe traditionnel d'autorité n'a pas sa place pour autant que, dans la pratique du fonctionnement des institutions, les protagonistes, chef de l'Etat et responsables gouvernementaux, le veuillent. Certes, le chef de l'Etat demeure la pièce centrale du puzzle institutionnel, mais ses pouvoirs font l'objet d'une énumération précise que vient illustrer l'article 42, alinéa 3, de la Constitution en vertu duquel le roi exerce par dahir les missions qui lui sont confiées sur la base des pouvoirs qui lui sont expressément dévolus par la Constitution. Cette formule, qu'il conviendra donc de respecter à la lettre, est dictée par le nécessaire respect de l'autonomie des trois autres composantes du mécanisme constitutionnel et politique que sont le gouvernement investi du pouvoir exécutif, qui est aujourd'hui le bénéficiaire le plus visible du rééquilibrage des pouvoirs opéré par la nouvelle Constitution, le parlement en charge du pouvoir législatif, dont le domaine de la loi a été étendu, et évidemment le pouvoir judiciaire.