Quand la nouvelle Constitution s'émancipe de la sacralité. «La citoyenneté du roi en lieu et place d'une sacralité qui n'appartient qu'à Dieu.» C'est en substance le message adressé par le monarque aux chantres de la révision constitutionnelle. Au-delà des avancées systémiques que consacre le projet de nouvelle Constitution, dont l'essentiel des dispositions sont à présents connues, celle-ci relègue toutes les autres à des colifichets presque dénués d'importance. Car le basculement de la sacralité vers le respect et l'inviolabilité de la personne du roi s'impose comme la modulation la plus essentielle qu'on ait vécue depuis l'indépendance. Rétrospectivement, la genèse d'un nouveau statut royal sous cette forme, s'imposait comme un émollient fondamental à la construction d'un triple pouvoir sain et transparent. Encore fallait-il sauter le pas sans ambiguïté aucune. Ce fut le cas. A présent, les nouveaux périmètres d'intervention du monarque devenu symbole suprême de l'Etat et non plus de la nation, ouvrira la voix à une répartition des pouvoirs affranchie de toute notion d'ingérence. Désormais, les prérogatives liées à la «Commanderie des croyants» s'activeront principalement dans le champ religieux. La promulgation de dahirs visera essentiellement les affaires religieuses. Pour entendu que le nouveau statut royal bouleverse grandement l'esprit de l'article 19 tel qu'il est formulé dans l'ancienne Constitution, nul n'est à même de se prononcer sur le sort dévolu à cette article au sein de la prochaine charte fondamentale. Pour autant, les hypothèses vont bon train et, dans le dédale d'analyse, on retrouve des bribes de pertinence. D'abord, la théorie de la subdivision de l'article 19 en deux articles distincts. Le premier consacrerait Imarat al Mouminine et le statut du roi en tant que symbole de l'Etat, exerçant son autorité religieuse par le truchement de dahirs ; le second, en revanche, se focaliserait sur sa qualité de chef suprême, chef d'état-major des Forces armées royales. Ce clivage est d'autant plus intéressant qu'il crée un distinguo limpide entre les domaines religieux et temporel. Les domaines réservés du monarque se cristalliseront à présent autour du diptyque, protection des cultes et défense nationale. Découlant de cette taxinomie, le roi pourra produire des dahirs portant sur la nomination des membres du Conseil scientifique des Oulémas qu'il présidera en sa qualité de Commandeur des croyants de par laquelle il tire sa légitimité religieuse. A contrario, l'intervention du monarque dans la sphère civile entrera dans le cadre d'une décision collégiale avec le président du gouvernement, nouveau titre accordé à l'actuel Premier ministre. Ainsi, les désignations d'ambassadeurs et autres nominations au sein de l'administration publique seront entérinées par le roi conséquemment aux propositions du président du gouvernement. Checks & balances De la sorte, la relation de travail liant le souverain et le chef du gouvernement trouve un équilibre sain et consacré par le texte constitutionnel. C'est en soi une véritable révolution. Car si l'on remonte à 1978, on retrouve cette affirmation devenue, à la lumière de l'actuelle mouture constitutionnelle, résolument anachronique. Dans un discours à la nation daté du 13 août, feu Hassan II déclarait ceci : «La séparation des pouvoirs ne concerne guère l'autorité suprême». Or, aujourd'hui, la séparation des pouvoirs devient une réalité coulée dans le marbre. Ainsi, les libertés décisionnelles du président du gouvernement issu du parti arrivé en tête des élections législatives, subissent un impressionnant relooking. Choix des ministres dont il sera habilité, selon sa discrétion, à écourter le mandat ; possibilité de convoquer un conseil des ministres selon un calendrier précis au sein duquel de vastes discussions et arbitrages pourront résulter sur des nominations élargies, y compris, dit-on, dans l'appareil sécuritaire. Si la sacralité du roi a suscité bien des remous sur fond de revendications des 20 fébréristes, c'est que, dans l'imaginaire populaire, l'emploi qui en est fait rappelle des épisodes précédant le règne de Mohammed VI. Ainsi, en 1981, à la veille des élections législatives, feu Hassan II, décide unilatéralement de passer outre le scrutin populaire, étendant le mandat des parlementaires de deux ans. L'orientation, ou du moins sa possibilité, trouvait sa source dans l'article 19, lequel vague dans son acception, autorisait un vaste éventail d'initiatives. Par conséquent, le pouvoir législatif faisait souvent office de chambre d'enregistrement aux dahirs royaux, dont la fréquence et le volume minimisaient la portée des compétences parlementaires. Avec la nouvelle Constitution, s'installe un modus operandi radicalement opposé. Désormais, la surface législative propre à la Chambre des représentants sera dopée. Passant de 9 volets décisionnels à 40. En outre, la part belle est faite à l'opposition qui se verra attribuer la présidence de deux commissions parlementaires. L'idée, étant, autant que faire se peut, d'opposer des contre-pouvoirs à la pensée dominante, celle de la majorité. Mieux, l'expression du pluralisme est consolidée par deux éléments inédits. D'abord l'aptitude de l'hémicycle à opposer une motion de censure à l'action du gouvernement au tiers des votants, ensuite, cette possibilité qui est attribué à la première Chambre de mandater une commission d'enquête et ce, moyennant un cinquième des voix. La batterie de mesures précitée augure d'une architecture institutionnelle ou nul pouvoir, aussi hégémonique puisse-t-il être, ne peut exercer d'ascendants sur les deux autres. A ce titre, la Constitution 2011 est un juste retour aux «Checks & balances» (poids et contrepoids) de Montesquieu. En acceptant d'ôter la notion de sacralité de son statut de Commandeur des croyants, il inaugure un épisode démocratique sans précédent. Pour un analyste politique : «Mohammed VI entame là sa deuxième révolution. La première étant son accession au trône. Il s'agit de noter que bien qu'ayant eu la compétence constitutionnelle d'agir sans contre-pouvoir manifeste, le roi, contrairement à feu Hassan II, n'a pas fait un usage excessif de l'article 19. En conséquence de quoi, sa décision d'en limiter l'amplitude n'en est que plus louable». A quelques jours du référendum du mois de juillet, le peuple sera appelé à sanctifier le texte constitutionnel le plus démocratique qu'ait connu notre royaume. L'avenir de notre pays sera donc arrimé à un cadre institutionnel sur lequel pourra fleurir un jeu politique sain et équilibré. Il est à présent du ressort de la classe partisane d'harmoniser ses pratiques à l'aune de la nouvelle charte. Nos futurs gouvernants devront transformer l'essai. En seront-ils capables ? Ceci est une autre histoire. Réda Dalil