La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et dont la commercialisation au Maroc aura lieu prochainement. Adoptant une démarche académique, l'ouvrage collectif opère une analyse essentiellement juridique de la nouvelle Charte fondamentale en y commentant les nombreuses innovations qu'elle comporte par rapport à celle de 1996. Dans son article titré, « Le nouvel ordre constitutionnel marocain : de la “monarchie gouvernante” à la “monarchie parlementaire” », David Melloni aborde l'un des enjeux majeurs de la réforme constitutionnelle marocaine de juillet 2011 : celui du régime politique qu'elle instaure. Plus précisément encore, il répond à la question centrale soulevée par les débats politiques et juridiques ayant accompagné la réforme : le nouvel ordre juridique marocain marque-t-il le passage d'une monarchie gouvernante à une monarchie parlementaire ? L'auteur démontre que le royaume du Maroc parvient à édifier un modèle constitutionnel original, respectueux de son histoire, et porteur de l'idéal démocratique. Il précise que le nouvel ordre constitutionnel marocain n'est ni l'expression aboutie d'une monarchie parlementaire (dans son acception moderne, c'est-à-dire européenne), ni la résurgence d'une monarchie gouvernante (dans sa conception hassanienne). Il est, de manière beaucoup plus complexe et subtile, l'expression d'un régime hybride, c'est-à-dire d'une monarchie parlementaire et gouvernante. Prend ainsi forme un régime parlementaire original, de type dualiste, respectueux des principes démocratiques. Son seul véritable défaut - aux yeux de l'auteur - est qu'il ne parvient pas à exprimer et à assumer pleinement son originalité. Selon Michel Rousset, qui analyse les pouvoirs conférés au roi, chef spirituel et chef de l'Etat, le souverain demeure, conformément à la tradition nationale, le pilier sur lequel est adossée la collectivité nationale dont il garantit l'indépendance et la préservation de l'identité dans la diversité de ses composantes. De même, le monarque est le garant du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles. Si dans les constitutions antérieures, l'interprétation des pouvoirs du roi reposait sur la théorie des pouvoirs implicites, aboutissant à un élargissement de ces pouvoirs au détriment du gouvernement et du parlement, le contexte politique interne et international qui a présidé à l'élaboration de la nouvelle Constitution milite en faveur d'une interprétation stricte de ces pouvoirs sur la seule base de ceux qui lui sont expressément attribués. Par ailleurs, plusieurs auteurs ont signalé que la nouvelle Charte fondamentale consacre un rééquilibrage des pouvoirs, fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs au profit du gouvernement et du parlement. Pour Didier Maus, qui traite du « pouvoir exécutif dans la Constitution marocaine de 2011 », la nouvelle Constitution renforce le pouvoir gouvernemental. Elle tente de dissocier véritablement le pouvoir royal du pouvoir politique en franchissant quelques étapes vers un régime d'allure parlementaire. Mais, l'histoire, la tradition et les circonstances politiques marocaines ne peuvent être ignorées. Le roi, tel qu'il apparaît dans le texte de 2011, est beaucoup plus qu'un souverain parlementaire à la mode espagnole, britannique ou norvégienne. En même temps, il dispose, au moins dans le domaine civil, de moins de prérogatives que le président de la république française. Le roi règne, cela ne fait aucun doute. Il devrait gouverner moins, cela est également acquis. Le gouvernement devrait donc gouverner plus. Quant au parlement qui dispose du pouvoir législatif, son champ d'action a connu une extension des matières faisant partie du domaine de la loi. Par ailleurs, si ses pouvoirs traditionnels de contrôle de l'action gouvernementale ont été maintenus à l'instar de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement par l'adoption d'une motion de censure, ils ont également été renforcés. Selon Mohammed Amine Benabdallah, dans la Constitution de 1996, le bicaméralisme a souvent constitué un facteur de blocage dans la procédure d'adoption des lois, à tel point que l'on pouvait fort bien parler de deux parlements en un seul. La Constitution de 2011 l'a certes maintenu mais tout en y apportant des modifications dans la mesure où le nouveau système consiste en ce que la chambre des représentants bénéficie d'une prééminence incontestable tant dans le processus législatif que dans le contrôle exercé sur le gouvernement, ajoute le même auteur. Le secteur de la justice, chantier primordial et enjeu de la révision, a également connu des changements. Le plus important est que le pouvoir judiciaire a succédé à l'autorité judicaire. Pour Yves Gaudemet, le changement n'est pas que nominal. C'est le visage et le fonctionnement de la justice qui sont appelés à changer, en même temps que sont expressément reconnus, dans le texte constitutionnel, les « droits des justiciables » à une justice équitable et rapide. Et, d'ajouter qu'en marge du nouveau pouvoir judiciaire, la Cour constitutionnelle accède au rang de véritable juridiction. Nadia Bernoussi qui traite de la justice constitutionnelle, est allée dans le même sens. Elle a indiqué que la justice constitutionnelle est confiée à une Cour constitutionnelle qui pourra contrôler les élections et les opérations référendaires, mais aussi le respect de la Constitution par le législateur sur la base d'une saisine par certaines autorités. Il s'agit en l'occurrence du roi, du chef du gouvernement et des parlementaires. Mais aussi, et cela est nouveau, par le biais d'une exception d'inconstitutionnalité qui pourra être invoquée par tout justiciable qui estimerait que la loi qui lui est applicable violerait un droit ou une liberté garantie par la Constitution. La séparation des pouvoirs dans la Constitution de 2011 a été évoquée dans nombre d'articles de l'ouvrage collectif. Cependant, Abderrahim El Maslouhi a traité de cette thématique dans le cadre d'une contribution spécifique. L'auteur a notamment démontré que le constituant de 2011 a donné une suite favorable aux revendications des partis politiques et de la société civile sans pour autant s'en tenir à une conception littérale de la séparation des pouvoirs. En clarifiant de façon très précise le fonctionnement des rouages constitutionnels, il a résolument réduit les champs de l'implicite et établi des frontières de moins en moins ambigües entre les organes de l'Etat. Ainsi, outre l'article premier, la séparation des pouvoirs se trouve consacrée par d'autres dispositions de la Constitution à savoir, l'article 70 énonçant que « Le Parlement exerce le pouvoir législatif », l'article 89 disposant que « Le gouvernement exerce le pouvoir exécutif » et l'article 107 selon lequel « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ». L'accentuation des traits parlementaires du régime constitutionnel marocain s'est traduite par une série d'infléchissements de l'équilibre entre le roi, le gouvernement et le parlement. Lesquels infléchissements ont pris principalement deux formes différentes : d'un côté, la création de zones de « subsidiarité constitutionnelle » au niveau des rapports entre le roi et le gouvernement (contreseing, délégation, consultation), zones qui semblent favoriser l'émergence au Maroc d'un exécutif fort, mais non moins soumis à la majorité parlementaire. De l'autre côté, le maintien des mécanismes de collaboration entre l'exécutif et le législatif a pour objet principal de satisfaire aux exigences d'équilibre et de rationalisation du travail parlementaire. Abderrahim El Maslouhi a noté enfin que d'autres formes de séparation sont repérables dans le nouveau texte constitutionnel marocain. Ainsi, par-delà l'axe central articulant le législatif à l'exécutif, les nouveaux clivages qui animeront le régime politique marocain sont ceux qui opposeront désormais majorité et opposition, juges et pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales et Etat et société civile. La séparation verticale des pouvoirs, peu explorée par la doctrine constitutionnelle, acquiert ainsi ses lettres de noblesse. Quant à Frédéric Rouvillois qui a traité des « règles relatives à la révision dans la Constitution marocaine de 2011 », il note que les procédures de révision prévues par les articles 172 à 175 du nouveau texte, sont en harmonie avec l'esprit de ce dernier, en ce qu'elles manifestent à la fois le souci de parachever l'Etat de droit, d'affirmer l'importance des organes élus, et de conserver au roi, ou plus exactement, au dialogue avec son peuple, la place centrale, dans ce qui constitue un authentique régime mixte. Les relations civilo-militaires furent analysées par Brahim Saidy, telles qu'elles découlent de la nouvelle Charte fondamentale. Car, le cadre constitutionnel joue un rôle crucial dans le contrôle des forces armées, contrôle qui diffère d'un pays à l'autre en fonction de la nature démocratique ou autoritaire du régime politique en place. Il a été soutenu que les dispositions de la Constitution marocaine de 2011 établissent clairement la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. A ce sujet, la Constitution marocaine, à la différence de plusieurs constitutions à travers le monde, est dotée d'une structure solide, incluant des dispositions fondamentales régissant les relations civilo-militaires. Ladite structure est fondée sur le principe démocratique de la séparation des pouvoirs et sur un pacte de concordance de vues entre militaires et civils, avec la mise en place du Conseil supérieur de sécurité en vertu de l'article 54 de la Constitution de 2011. Le nouveau texte définit ainsi sans ambigüité les compétences et les responsabilités des différentes institutions de l'Etat vis-à-vis des Forces armées royales, ainsi que les mécanismes de contrôle pour s'assurer du caractère dépolitisé et professionnel du corps militaire. Sur un autre registre, le débat sur la détermination des rapports entre les textes juridiques internationaux et l'ordre interne du royaume a été repris par la nouvelle Constitution dont les apports en la matière sont considérables. Pour Said Ihraï, bien que le débat concernant la hiérarchie des normes demeure, la Constitution marocaine tend à consacrer un ordre juridique unique où coexistent les normes, internes et internationales, dans ce sens où elle cherche activement à promouvoir le droit international et à l'incorporer dans les normes juridiques internes, contrairement aux lois fondamentales antérieures. De là, un certain nombre d'avancées transparaissent. Le renforcement des droits et libertés se manifeste notamment par la constitutionnalisation de la parité entre l'homme et la femme. Selon Amina Aouchar, il faut reconnaître à la Constitution de 2011, dans cette conjoncture où, partout dans le monde musulman, les mouvements opposés à la parité entre les hommes et les femmes semblent hégémoniques, une audace certaine. Ainsi la nouvelle Constitution du royaume, en reconnaissant explicitement à la Marocaine sa qualité de « citoyenne », dotée des mêmes droits et des mêmes devoirs que le Marocain, à travers la mise en place d'une institution constitutionnelle chargée de défendre la parité, améliore substantiellement la situation de la femme. Pour certains, en situant l'exercice des droits de l'Homme, et donc des femmes, dans le cadre du « référentiel islamique », qui n'est pas défini et qui peut prêter à des interprétations libérales comme à des interprétations conservatrices, la Constitution limite sérieusement la portée de ces droits ; limitation que vient renverser, selon Amina Aouchar, a priori l'article 41 du nouveau texte constitutionnel, consacrant la place du roi en tant que véritable garant des droits des femmes. En effet, en vertu de l'article 41, le roi veille au respect de l'Islam. En contrôlant le Conseil supérieur des ouléma, et en nommant la moitié des membres de la Cour constitutionnelle, il demeure la source essentielle d'interprétation de cet Islam tolérant réitéré sans cesse dans la nouvelle Loi fondamentale. Sur un autre registre, la diaspora marocaine a été mise en exergue. Zouhair Aboudahab a relevé la prise en compte par la nouvelle Constitution de l'existence d'une importante communauté marocaine à l'étranger en lui reconnaissant des droits dits « de pleine citoyenneté » quoique inachevée. Mais également, en assignant aux pouvoirs publics un cadre permettant de mener à bien une « bonne gouvernance » de la diaspora. Dans une contribution dédiée aux droits fondamentaux dans la nouvelle Constitution, Bertrand Mathieu souligne que le texte de 2011 énumère dès le préambule, l'essentiel des droits et des libertés tels qu'ils sont universellement reconnus dans les pays démocratiques. De plus, même si l'Islam est reconnu comme la religion de l'Etat, il n'en demeure pas moins que la Constitution fait mention non seulement de la tolérance du royaume vis-à-vis des autres religions mais garantit également à tous le « libre exercice des cultes ». Une telle disposition est primordiale, selon l'auteur, eu égard à la situation qui prévaut dans certains pays musulmans. Sur un autre volet, la dernière révision constitutionnelle a envisagé le volet économique sous l'angle de la bonne gouvernance, aussi bien à l'échelle nationale que locale. En effet, du point de vue de Henri-Louis Védie, la nouvelle Constitution fait un lien judicieux entre les réalités, économique et territoriale, afin de répondre concrètement aux attentes populaires. Outre l'aspect économique de la régionalisation avancée, qui se retrouve consacrée par la nouvelle Charte fondamentale comme mode de gestion territoriale choisi par le Maroc, tel que souligné par François-Paul Blanc, l'on remarque, saillante, la volonté de renouveler les élites dirigeantes au niveau local et de les impliquer davantage dans la gestion de la chose régionale. La Constitution de 2011 aura, par là-même, permis de franchir un grand pas vers la mise en place du projet ambitieux de la régionalisation avancée où les provinces du Sud occuperont une place centrale, ajoute M. Blanc. Au total, la Constitution marocaine de 2011 témoigne de la volonté du souverain et du peuple marocain de progresser dans le sens d'un système plus démocratique, plus équilibré dont la stabilité demeure garantie. Celle-ci est une condition nécessaire de la réussite des institutions mises en place par la nouvelle Constitution. Mais une telle réussite demeure évidemment tributaire du respect du texte constitutionnel dont l'autorité procédera de la volonté et de la capacité de l'ensemble des acteurs du jeu politique à appliquer non seulement la lettre mais aussi l'esprit démocratique qui anime incontestablement la nouvelle Loi fondamentale du royaume.