Le changement de président de la République en France a placé la presse espagnole devant une série d'inconnues pour le simple fait qu'elle ne s'attendait pas au retour de la gauche au pouvoir en Europe. Tous les journaux d'audience nationale, à l'exception d'El Pais, sont de tendance conservatrice et il est clair que leurs réactions versent dans le scepticisme pour leur appui sans fissures des réformes néolibérales du gouvernement espagnol de droite, dirigé par Mariano Rajoy. Durant la campagne électorale, qui avait précédé les élections présidentielles en France, les mêmes journaux et télévisions avaient axé leurs analyses sur la critique à outrance des attitudes des progressistes et militants de la gauche qui défendaient les acquis de l'Etat du bien-être et critiquaient l'austérité comme unique issue pour réduire le déficit public. Les mêmes médias avaient également soutenu les options proposées par Sarkozy de limiter l'entrée en Europe des immigrés. Au lendemain de la victoire de François Hollande, les mêmes médias paraissent encore incapables d'admettre le changement en France et mettent en doute les capacités d'un gouvernement de gauche de récupérer la confiance des Français en un modèle d'Etat basé sur la préservation des droits acquis, dont ceux des immigrés. La presse espagnole avait d'autre part accueilli avec un sentiment de consternation les allusions faites par Sarkozy, lors de sa campagne électorale, à une Espagne en crise. Dans leurs éditions de lundi, les médias espagnols retiennent cependant que Hollande avait fait une «bonne radioscopie» des problèmes qui affectent son pays sans aller jusqu'à révéler «quelle sera sa recette magique pour les résoudre sans qu'augmentent le déficit et la dette publics». Sarkozy avait commis un péché qui lui était fatal lorsqu'il a flirté avec l'extrême droite. Les médias espagnols, qui retiennent également que la politique migratoire du président français sortant a été très dure et restrictive, ne lui pardonnent pas le fait d'avoir tourné le dos à l'Europe méridionale ni ses attaques contre l'Espagne. Curieusement, les propositions faites par Sarkozy pour juguler la crise dans son pays sont quasi-similaires à celles que vient d'adopter le gouvernement conservateur de Madrid : coupes budgétaires, protectionnisme, formation obligatoire des chômeurs, restrictions à l'entrée des immigrés et équilibre budgétaire en 2016. Comment est-elle vue la victoire de François Hollande dans la presse d'audience nationale en Espagne? El Pais titre à la Une: «La victoire de Hollande aux élections présidentielles inaugure un nouveau cycle pour la gauche et ouvre la porte à un discours différent sur la croissance en Europe». Le journal analyse aussi les causes de la défaite de Sarkozy et les points forts de la campagne de Hollande. Lors du dernier face-à-face télévisuel des deux candidats à la présidence de la République Française, Sarkozy «n'était pas capable de donner un seul argument sans faire l'éloge de ses propres vertus et en même temps humilier son adversaire». En fin de compte, «le citoyen a déduit que ce qu'il défendait n'était pas un programme mais sa propre personne, son immense égo, son narcissisme hors de toute mesure». Ceci a été «son arme secrète et terrible durant toute sa carrière politique et a été aussi l'instrument de sa perte et chute». Deux causes de sa défaite sont á retenir, «la crise et le caractère», observe El Pais. En face, Hollande est tout simplement l'image d'une société qui «ne se résigne pas au discours de la peur de Sarkozy» et qui porte de l'espérance. Dans l'autre camp de la presse qui prêche le pessimisme, El Mundo change immédiatement de discours et estime que tout indique que le nouveau président français «maintiendra une bonne relation avec le gouvernement de Madrid bien que les socialistes espagnols aient des raisons pour être satisfaits croyant que le revirement politique en France marque un changement de tendance vers la gauche en Europe». El Mundo a de l'espoir en une entente entre Rajoy et Merkel du fait qu'ils sont «à la tête des seuls grands gouvernements de centre-droite qui ont gagné des élections dans la zone-euro». Dans un papier d'analyse, El Mundo prétend que la victoire de Hollande «ouvre la voie devant l'incertitude en Europe» et que la morale à tirer des élections françaises est que «la gauche européenne commence à se recomposer après les coups reçus pour la gestion de la récente crise de la dette publique». ABC, le journal ultraconservateur, se fait l'écho des craintes du gouvernement et se préoccupe du sort de l'Espagne en Europe. Il titre : «Incertitude en Europe. Le triomphe de Hollande relance le débat sur l'austérité que propose l'Allemagne» mais remarque dans un papier d'analyse que le changement politique en France suppose un saut qualitatif qu'accomplit ce pays dans «la configuration des politiques de l'UE à travers l'axe franco-allemand». Avec la défaite de Sarkozy, rappelle le journal, sont intervenus 12 changements en Europe depuis 2010, date à laquelle la crise économique et financière avait commencé à affecter l'euro-zone et le reste des pays de l'UE : Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Irlande, Portugal, Espagne, Slovénie, Grèce, Italie, Finlande et Slovaquie. Même argument défendu par l'autre journal conservateur, La Razon, qui titre : «Le futur de l'Europe est entre les mains de Merkel-Hollande. La France vote le changement et ouvre le débat en UE sur l'austérité proposée par l'Allemagne». Le journal croit que la victoire de Hollande aura «des répercussions en Espagne: certaines d'ordre psychologique après le déclin des socialistes espagnols, et d'autres qui sont relatives au réajustement fiscal qui pourrait profiter à la politique budgétaire de Rajoy». Quant aux «points sensibles des relations hispano-françaises, tel le terrorisme d'ETA», La Razon soutient qu'il «n'y aura pas de changement et le plus probable est que le nouveau président français maintienne la politique de collaboration et de fermeté qu'avait adoptées par Sarkozy» en cette matière.