Mardi, Mariano Rajoy, président du Parti Populaire, a été investi à la majorité absolue par le Congrès des Députés, nouveau président du gouvernement d'Espagne grâce à l'appui de 187 députes. La passation rituelle de pouvoirs entre le président en fonctions et celui élu s'est déroulée au Parlement (avec un amical échange de saluts) dans un climat serein totalement différent des moments de crispation qui avaient caractérisé la dernière législature. Le discours d'investiture de Rajoy et les interventions d'Alfredo Perez Rubalcaba pour le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE – majorité sortante) ont corroboré l'entente entre les deux dirigeants sur l'urgence de récupérer la stabilité sociale et de remettre sur le rail l'économie du pays. Rajoy aura la tâche facile du fait qu'il compte appliquer une recette néolibérale, dont le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero avait mise en marche depuis mai dernier suivant les consignes de la chancelière allemande, Angela Merkel. Au fond, les deux partis ont laissé de côté leurs convictions idéologiques pour tenter de tirer l'Espagne du marasme économique, réduire le chômage et contrôler le déficit public. C'est l'éternelle Espagne. Les gouvernements changent mais les intentions de défense des intérêts de l'Etat sont imprescriptibles. Contrairement aux craintes manifestées par certains médias et hommes politiques marocains quant au futur des relations entre le Maroc et l'Espagne avec des conservateurs au pouvoir à Madrid, il existe des évidences empiriques selon lesquelles la politique espagnole repose sur des fondements nationaux. Parmi ces fondements, il y a la politique extérieure, dont les relations de voisinage avec le Maroc. C'est à la commission des relations extérieures de la Chambre Basse et de la Commission mixte du Parlement espagnol (les deux chambres) où sont débattues les grandes lignes de la politique extérieure, les relations avec l'Union Européenne (UE) et les grands accords de coopération. Le consensus prédomine dans ces questions et le ministre des affaires extérieures se charge de la stricte application des décisions adoptées au parlement. En repassant les sept dernières années du PSOE au pouvoir, dont certains dirigeants se proclament amis du Maroc, aucun grand problème bilatéral en suspens n'a été abordé ou résolu. Il est certes, la coopération dans la résolution du phénomène de l'immigration irrégulière a été exemplaire grâce à l'appui de l'UE et la bonne volonté manifestée par les deux parties. Toutefois, le collectif marocain, le plus affecté par la crise avec plus de 53% en chômage, ne jouit guère d'un traitement de faveur par rapport aux autres collectifs d'étrangers. La question du Sahara demeure un thème de prédilection pour une bonne partie des médias et un bon argument pour de nombreuses ONG espagnoles pour vilipender les institutions marocaines. Ceci a été vécu en novembre 2010 en rapport avec les incidents du campement de Gdim Ezik, dans la banlieue de Laâyoune. Rajoy, un homme discret, placide et moins charismatique, est entouré d'une équipe de faucons. Durant la période passée dans l'opposition, ceux-ci se sont révélés calculateurs, de durs négociateurs et intransigeants. Ce sont aussi de fervents défenseurs des valeurs patriotiques et de la doctrine conservatrice en politique extérieure. D'autant plus, Rajoy est un fin connaisseur du Maroc. D'abord, il avait géré la question de l'immigration alors ministre de l'intérieur au gouvernement de José Maria Aznar. C'est à son époque où s'était éclatée la « crise des pateras » qui avait conduit les relations avec le Maroc au bord de la rupture en été 2011. Le gouvernement d'Aznar avait fait appel à la main d'œuvre latino-américaine et de l'Europe de l'Est pour substituer les travailleurs marocains dans de nombreux secteurs, particulièrement dans les fermes de cueillette de fraises à Huelva et les grandes exploitations agricoles à Murcie, Almeria, Valence et Cuenca. Rajoy avait également signé en compagnie de Abbés Fassi, alors ministre de l'emploi (au gouvernement Yousfi) le premier accord maroco-espagnol, en juillet 2011, sur la régulation de la main d'œuvre et les flux migratoires. Ensuite, Rajoy avait dirigé le « cabinet de crise » durant l'incident de l'îlot Laila/Toura, en juillet 2002. Cet incident constitue l'épisode le plus triste dans les relations entre les deux pays depuis l'avènement de l'indépendance du Maroc. Le nom de Rajoy est uni au dossier de Sebta et Melilla. Il avait dirigé en 1994, alors le PP dans l'opposition, les négociations avec le gouvernement socialiste, sur l'octroi d'un statut d'autonomie aux deux villes occupées, une mesure que le Maroc avait violemment critiquée. Enfin, Rajoy n'a pas encore exprimé le vœu, suivant une tradition non écrite, d'effectuer au Maroc son premier déplacement à l'étranger en tant que président de gouvernement. Dans aucune de ses sorties médiatiques ni dans son discours d'investiture, les relations avec le Maroc n'ont été mentionnées. Pourtant, sa formation et le Parti de l'Istiqlal ont des affinités communes et entretiennent des relations fluides. Il est probable que cette exceptionnelle circonstance contribue au rapprochement entre les futurs gouvernements marocain et espagnol. Rajoy, qui a été inverti président de gouvernement, devra annoncer, mercredi soir la liste de son cabinet, après avoir prêté serment devant le roi Juan Carlos 1 er. C'est à partir du profil des ministres qui vont composer ce cabinet qu'il serait possible de deviner le type de politique à suivre aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il suffit de repasser le contenu du discours d'investiture au parlement pour se rendre compte du moment délicat que traverse l'Espagne et des mesures drastiques que compte appliquer Rajoy. Celui-ci a annoncé, comme un couperet, la réduction des dépenses publiques, la diminution des budgets assignés aux gouvernements régionaux et du nombre des fonctionnaires et des mesures urgentes en matière économique et budgétaire. Pour 2012, il compte réduire de 16,500 milliards d'euros le déficit public en vue de le ramener à 4,4% du Produit Intérieur brut (PIB). Dans son discours d'investiture, il a révélé que selon les prévisions du gouvernement en fonctions, le déficit public a atteint 65 millions d'euros en 2011, soit 6% du PIB. Reste à savoir quelle méthode devrait appliquer pour atteindre cet objectif. C'est la raison pour laquelle il a annoncé le gel de l'embauche des fonctionnaires et le recours à l'austérité budgétaire. De nombreux fonctionnaires non titulaires et contractuels seraient automatiquement licenciés alors que les processus de départ volontaire et de retraite anticipée seront suspendus. Au plan éducatif, Rajoy compte introduire un bilinguisme espagnol-anglais et la préparation de futurs universitaires capables d'intégrer le marché du travail et exercer dans des activités scientifiques. Au plan fiscal, il prévoit l'exemption des travailleurs autonomes et petites et moyennes entreprises de l'Impôt sur la Valeur Ajoutée jusqu'au paiement des factures par leurs clients et réviser l'impôt sur les sociétés. Il sera aussi institué une subvention de 3.000 euros au profit des entreprises pour l'embauche de nouveaux travailleurs et la promotion de l'emploi des jeunes. La presse espagnole d'audience nationale a salué, mercredi, l'investiture de Rajoy avec des titres révélateurs. El Pais écrit à la Une : «Rajoy se réserve les mesures les plus dures». El Mundo parle des «100 jours qui changeront l'Espagne» alors qu'ABC soutient que «Rajoy a un programme pour l'Espagne». L'autre journal pro-PP, La Razon parle de “la Parole de Rajoy”. Par contre, Publico met en garde contre «les drastiques réductions générales».