La question de la hausse des prix touchant pratiquement tous les produits de première nécessité est sur toutes les lèvres. Elle fait partie des préoccupations quotidiennes des citoyens et occupe une large place dans les médias et les réseaux sociaux. Au point où tous les ingrédients sont réunis pour déclencher une véritable grogne populaire qui risquerait de menacer sérieusement notre stabilité sociale. Des avertissements et des signaux d'alarme nous viennent de toutes parts auxquels le gouvernement se doit d'être attentif plus que jamais. Il faut bien reconnaitre, objectivement parlant, que la situation est difficile et les problèmes se compliquent de plus en plus sous la conjugaison de plusieurs facteurs à la fois exogènes et endogènes : hausse des prix sur le marché mondial des produits alimentaires et énergétiques dont les répercussions sont immédiates sur le Maroc, phénomène aggravé par la guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine ; une sécheresse sévère que le Maroc n'a pas connue depuis quatre décennies. Tout cela dans une conjoncture où le pays ne s'est pas entièrement remis de la récession de 2020 puisque de larges pans de l'activité souffrent encore des conséquences de la pandémie tels que le tourisme et les activités qui en dépendent comme le transport aérien, les agences de voyage l'artisanat, la restauration ... Il faut également souligner que le gouvernement, en application des directives royales, n'est pas resté inactif. Pour lutter contre les effets de la sécheresse et en réduire l'impact, une enveloppe de 10 milliards DH est mobilisée, dont 60% concernent le crédit agricole. De même, les trois produits subventionnés, à savoir le gaz butane, le sucre et la farine nationale continuent de l'être en leur affectant une enveloppe de 16 milliards DH dans la loi de finances 2022. Ce montant est revu à la hausse pour intégrer les dernières augmentations des prix. Mais il faut aussi admettre que le citoyen ne vit pas que du pain et du thé. Quid des autres produits ? Et c'est là où le gouvernement fait preuve d'un manque d'imagination et d'audace. A ce niveau, le gouvernement se contente d'incriminer le marché mondial sur lequel il n'a aucune prise. Il se comporte comme s'il s'agissait d'une fatalité, alors que des marges de manœuvre sont possibles à condition d'avoir l'audace politique de les saisir en dépassant les intérêts catégoriels étroits. Prenons juste l'exemple des carburants. N'est-il pas opportun de prendre au sérieux les propositions faites ici et là pour procéder à une sorte de plafonnement des prix à la pompe en actionnant un certain nombre de leviers tels que la TIC (taxe intérieure de consommation) et les marges bénéficiaires des distributeurs ? Une telle mesure aurait non seulement un impact positif sur l'économie et le pouvoir d'achat de la population, mais aussi, doperait le moral des citoyens et renforcerait leur confiance dans les institutions de leur pays. Ainsi, en réduisant la TIC, le budget ne perdra pas grand-chose puisque le manque à gagner sera largement compensé par l'augmentation de l'assiette de cette taxe. D'après un simple calcul, on peut réduire le taux de cette taxe de 10 points tout en gardant la même recette ! Par ailleurs, concernant la réduction des marges des distributeurs des hydrocarbures, elle ne sera que justice à l'égard du consommateur dans la mesure où, comme cela a été démontré par plusieurs rapports, les distributeurs ont bénéficié, depuis la libéralisation du secteur des hydrocarbures en 2015, d'une position oligopolistique ayant conduit à l'accaparement d'une rente socialement injuste et économiquement improductive. Nous n'en voulons comme preuve que le rapport d'information réalisé par la Commission parlementaire (mai 2018) et d'autres travaux effectués par le Front National de défense de la SAMIR et de certains activistes de la société civile qui se sont intéressé à cette question. Pour ne citer que le dernier rapport de l'association « Damir », les profits jugés « illégitimes » par l'association ont culminé, à fin 2020, à 38,2 MMDH et ont dépassé de loin la bagatelle des 40 MM DH à fin 2021 !! On peut discuter de l'exactitude de ce chiffre, mais une chose est sûre : de l'abus, il y en avait et il y en a. Preuve ? Rarement, pour ne pas dire jamais, on a assisté à une réduction conséquente des prix à la pompe suite à l'effondrement du prix du baril durant toute l'année 2020. Autrement dit, on sait répercuter à chaque fois qu'il est question d'une action à la hausse, mais on a du mal à le faire dès qu'il s'agit de la baisse. Finalement, le citoyen usager est en droit d'exiger la restitution de ce dont il est injustement spolié ! C'est une question de justice sociale. Voire de justice tout simplement. Autre levier sur lequel le gouvernement peut agir et il y va de sa responsabilité, c'est d'assainir les circuits de commercialisation des biens, de réduire les intermédiaires et autres parasites, de « taper fort » sur les spéculateurs et les profiteurs de la crise comme cela a été annoncé au terme du dernier conseil du gouvernement. Les solutions existent, il suffit de consulter l'avis rendu par le CESE sur la question : « Pour une approche novatrice et intégrée de la commercialisation des produits agricoles ». Aussi, l'action gouvernementale ne devra pas être circonstancielle et épisodique comme on a coutume de le vérifier à l'approche de chaque mois sacré de Ramadan. Sinon, ça pourrait être compris par ces spéculateurs comme suit : « épargnez-nous le mois de ramadan et vous aurez toute l'année pour vous rattraper » !! En définitive, le gouvernement est invité à tout faire pour juguler l'inflation pour que la tendance en cours ne se transforme pas en inflation galopante. Il y va de la protection du pouvoir d'achat des citoyens, de la préservation de leur dignité et, par conséquent, de la stabilité de notre pays. Il ne faut surtout pas se laisser bercer par les chiffres relativement rassurants du HCP et de Bank Al-Maghrib qui évaluent le taux d'inflation à 1,8% pour 2021 et 2022, contre 0,8% en 2020. La réalité sur le terrain, telle qu'elle est vécue et ressentie, est différente. Au gouvernement d'en tenir compte et de faire preuve de son engagement pour s'attaquer avec détermination à ce fléau. Dr Abdessalam Seddiki. Economiste, ex ministre de l'emploi et des affaires sociales.