Le Conseil de la concurrence a rendu public ce vendredi 15 février son avis, suite à la demande du ministère délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance concernant le plafonnement des prix des carburants. Un avis défavorable à une telle mesure, dont l'institution déconseille le gouvernement d'entreprendre. Le même Conseil promet de se prononcer sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles des pétroliers, depuis la libéralisation du marché des hydrocarbures en 2015 dans l'une de ses prochaines sessions. Inapproprié, inefficace, pas suffisant, pas judicieux, aux effets limités, ne garantissant aucunement la préservation du pouvoir d'achat des citoyens et de la justice sociale, discriminatoire même. Driss Guerraoui n'a pas lésiné sur les mots pour affirmer l'avis du Conseil qu'il préside au sujet du plafonnement du prix envisagé par le gouvernement. Cet avis, l'institution l'a adopté en se basant sur les dispositions de l'article 4 loi 104.12 relative à la liberté des prix. Il conditionne la prise de mesures temporaires visant à soustraire provisoirement un produit ou un service à la liberté des prix à deux conditions cumulatives: la survenance d'un hausse ou baisse excessive de prix, et sa motivation par des circonstances exceptionnelles, une calamité publique et une situation manifestement anormale du marché dans le secteur déterminé. Sur cette base, Driss Guerraoui considère que la demande d'un avis du gouvernement « ne remplit pas les conditions légales requises ». « Mauvaise » idée Si le gouvernement opte pour le plafonnement des marges bénéficiaires des carburants liquides, le Conseil désapprouve ce choix, d'où les qualificatifs de son président, cités ci-haut. Le plafonnement envisagé par le gouvernement pour influer sur le prix à la pompe est une « mesure conjoncturelle limitée » dans le temps, selon Driss Guerraoui. « Les dispositions de l'article 4 de la loi 104.12. en fixent la durée d'application à six mois, renouvelable une seule fois », tranche Driss Guerraoui. Le rapport de l'institution consultative estime que le contrôle public des marges des distributeurs « ne va pas changer la réalité des prix » et, corrélativement, « ne conduira pas à protéger le consommateur et à préserver son pouvoir d'achat ». La véritable question, d'après Driss Guerraoui, n'est pas de plafonner les marges mais d'« identifier les mesures compensatoires » et « les actions d'accompagnement en directions des acteurs de la filière et des catégories de la population qui seront les plus touchées par les hausses imprévisibles des cours mondiaux ». En effet, le président du Conseil ne cesse de rappeler la dépendance du marché intérieur des fluctuations du prix du baril de pétrole dans le monde. « Nous importons environs 93% de nos besoins énergétiques », insiste-t-il, alors que le pétrole brut représente entre 50 et 60% du prix final. Bénéfices « limités » Se souciant du risque de pénaliser les opérateurs de petite et moyenne taille (le marché marocain compte 20 sociétés distributrices d'hydrocarbures) qui verraient leur vulnérabilité accroître, le rapport du Conseil de la concurrence juge le plafonnement « discriminatoire ». Le fait qu'il soit appliqué indistinctement à tous les opérateurs, quelle que soit leur taille, leurs capacités de stockage ou la structure de leurs coûts, est déconseillé par l'institution. Il donnerait même, selon Driss Guerraoui, « un mauvais signal » au marché et perturberait la visibilité des opérateurs du secteur. Le plafonnement des prix des hydrocarbures a déjà été expérimenté entre décembre 2014 et décembre 2015 sous le gouvernement Benkirane, qui a décidé depuis la libéralisation totale du secteur. Dans cette option testée durant un an, « les opérateurs s'alignent sur les prix maximums fixés sans fournir d'efforts en termes de baisse des prix, le prix maximum se transformant de facto en prix minimum », analyse Driss Guerraoui,. Pour lui, le marché intérieur souffre de plusieurs dysfonctionnements de nature structurelle. « les réponses conjoncturelles ne peuvent avoir que des effets limités », avance le président du Conseil. Outre le prix de la matière première, l'autre composante du prix des hydrocarbures sont les taxes (TVA et TIC), le coût du transport (par voie maritime ou terrestre), et de stockage; puis la marge de bénéfice des pétroliers. Driss Guerraoui indique que cette dernière est estimée par les experts à 8% du prix final. Au cas où le gouvernement déciderait de plafonner les prix, le responsable chiffre une économie de 0,2 centimes par litre. Combien épargneraient les Marocains en terme de prix, toutes taxes comprises dans ce scénario ? « Nous allons passer de 10,32 à 10,12 DH pat litre », répond Driss Guerraoui. « Et structurellement, le prix restera dépendant des changement brusques des prix sur le marché international des hydrocarbures », prévoit-t-il. Libéralisation incontrôlée Dans son rapport, publié en janvier 2014, sur la Caisse de compensation, la Cour des comptes avait recommandé au gouvernement, s'il opte pour la décompensation et la libéralisation (ce qu'il a fini par le faire), de continuer à maintenir le contrôle des prix. « C'est une chose que le gouvernement n'a pas fait », tance Driss Guerraoui, en signalant l'absence de mesures d'accompagnement et de compensation. L'avis du Conseil de la concurrence est accusé de se ranger derrière les grands distributeurs d'hydrocarbures. Via son président, l'institution n'a pas évoqué l'importante hausse des marges et des gains, jugés « obscènes », des sociétés distributrices d'hydrocarbures. Pour rappel, elles avaient fait l'objet d'une mission d'information parlementaire dont les conclusions ont été rendus publics en mai 2018. « L'enquête sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles par certains opérateurs du marché se poursuit et sera dévoilée lors de prochaines sessions du Conseil », riposte Driss Guerraoui. Il poursuit : « le Conseil ne répondra pas sur les attitudes et les pratiques des intervenants du secteur, car nous sommes en train de mener des enquêtes sur le sujet et nous avons convoqué lors de nos réunion d'enquête toutes les entreprises du secteur ». Le président promet de se prononcer sur ce sujet « au cours des prochaines session du Conseil » et déclare que le rapport de la mission d'information parlementaire sera pris en compte dans les résultats d'enquête de l'institution. A noter que le Conseil de la concurrence se réunit en sessions quatre fois par an.