Le Conseil de la concurrence, présidé par Driss Guerraoui, n'a pas conforté le gouvernement dans sa demande de plafonnement des marges bénéficiaires sur les carburants. Ce choix ne sera pas suffisant, selon cette instance qui devra bientôt livrer son verdict sur le comportement des opérateurs. L'avis du Conseil de la concurrence a visiblement surpris le gouvernement qui ne s'attendait pas à des critiques acerbes quant à la gestion du dossier de la libéralisation des prix des carburants. Alors que le ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi s'attendait à ce qu'il soit conforté dans sa décision de plafonnement des marges bénéficiaires des opérateurs, le Conseil de la concurrence, fraichement renouvelé, a émis nombre de réserves précisant que «ce choix ne sera pas suffisant et judicieux du point de vue économique, concurrentiel et en termes de justice sociale». Cette instance s'était-elle rangée du côté des opérateurs ? À cet égard, Driss Guerraoui n'a cessé au cours du point de presse qu'il a tenu vendredi dernier d'insister sur l'indépendance de l'organisme qu'il préside et «l'objectivité» de ses avis. En tout cas, rien n'est encore tranché sur la responsabilité des entreprises. Le Conseil s'est uniquement prononcé sur la légalité de la demande du gouvernement en matière de plafonnement, mais il n'a pas encore livré son verdict sur le comportement des opérateurs du secteur. L'enquête suite à la saisine des partenaires sociaux sur cette question va bientôt aboutir. Le verdict du Conseil sur l'existence (ou pas) d'une entente entre les opérateurs est très attendu. À ce propos, Guerraoui estime qu'il faut être prudent et qu'il est encore prématuré d'émettre un constat en la matière. Si l'enquête en cours prouve l'existence de pratiques anticoncurrentielles, des sanctions devront être prononcées contre les entreprises concernées pouvant représenter jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires des contrevenants. Les dossiers pourraient même être transférés à la justice. Le rôle de cette instance, qui a été pendant longtemps gelée, est primordial pour imposer des pratiques unifiées en ce qui concerne les prix et les conditions de vente, maîtriser la situation de concurrence du marché des hydrocarbures et contrôler les pratiques anticoncurrentielles ainsi que les opérations de concentration et de monopole. En attendant les conclusions des investigations en cours avec tous les acteurs concernés, le gouvernement est appelé par le conseil de la concurrence à revoir sa vision en matière de gestion du secteur car «le marché souffre de plusieurs dysfonctionnements de nature structurelle auxquels les réponses conjoncturelles ne peuvent avoir des effets limités». Un dossier mal géré L'instance de Driss Guerraoui critique vertement l'absence de mesures d'accompagnement pour protéger les consommateurs et les segments les plus vulnérables lors de la mise en œuvre de la libéralisation totale des prix des carburants, entrée en vigueur en décembre 2015. Le conseil de la concurrence n'hésite pas à souligner qu'il s'agissait d'une libéralisation mal préparée pour plusieurs raisons dont l'arrêt du seul raffineur national qui jouait un rôle essentiel au niveau du maintien des équilibres concurrentielles, de l'approvisionnement du marché et du stockage. Aussi, est-il recommandé d'encourager l'investissement dans l'industrie de raffinage privé et de mettre en place des partenariats public/privé pour développer ce segment. Guerraoui estime que la décision de maintenir la Samir, qui jouait le rôle de contre-pouvoir au sein du marché, est politique. Le conseil prône aussi de renforcer les capacités nationales de stokckage en développant le métier de stockiste indépendant. Critiques virulentes Il est également reproché au gouvernement la prise de la décision de la libéralisation dans un contexte de vide institutionnel marqué par l'absence du Conseil de la concurrence qui aurait pu contribuer à renforcer le contrôle institutionnel indépendant et neutre des comportements des acteurs qui enfreignent aux règles d'une concurrence libre et loyale sur le marché. À cela s'ajoute l'existence d'une forte concentration sur le marché et d'une structure monopolistique sur certains marchés et oligopolistique sur d'autres alors qu'il fallait agir en amont pour mettre fin aux barrières à l'entrée et ouvrir le marché à de nouveaux opérateurs. Ainsi, il est recommandé de mettre en place un régulateur du secteur à l'image de l'ANRT pour le secteur des télécoms. Le conseil plaide pour l'attribution de la régulation technique et économique du marché des hydrocarbures à l'autorité nationale de régulation de l'énergie pour l'accompagner vers une maturité concurrentielle tout en renforçant son indépendance. Mais, ce régulateur ne risque-t-il pas d'empiéter sur les missions du Conseil de la concurrence ? Driss Guerraoui estime qu'il faut peut-être se contenter de l'attribution technique pour cette autorité. Sur le volet du marché de la distribution au détail, les barrières à la concurrence sont pointées du doigt. Ainsi, il est proposé de substituer le régime des agréments applicable aux stations services par un simple système déclaratif, de supprimer l'obligation de disposer d'un réseau de 30 stations services et la règle de chainage entre les stations et l'encouragement de la création de stations services indépendantes. En gros, il faut revoir de fond en comble la gestion du secteur des hydrocarbures. Pour gagner le parti, il s'avère on ne peut plus nécessaire d'accélérer l'implémentation de la stratégie énergétique notamment sur le volet des énergies renouvelables pour limiter la dépendance du Maroc à l'étranger, selon Guerraoui.