Une expédition scientifique russe est allée planter un drapeau sous le pôle Nord. A l'aide de deux bathyscaphes, le drapeau a été planté à verticale de la calotte glaciaire à plus de 4000 mètres de profondeur. Au-delà de l'exploit scientifique, il s'agit bel et bien d'une revendication du territoire arctique par la Russie, ce qui fait grincer quelques dents au niveau international. Le submersible Mir-1 a atteint la profondeur de 4261 mètres sous la calotte glaciaire. (Reuters) Le submersible Mir-1 a atteint la profondeur de 4261 mètres sous la calotte glaciaire. (Reuters) Sur le même sujet * L'année des pôles On se croirait revenu au temps des grandes expéditions polaires, où les scientifiques mêlaient leur ordre de recherche à celui de la conquête territoriale. La Russie a planté jeudi matin très exactement à 10h08 un drapeau sous le pôle nord à plus de 4 261 mètres de profondeur, à l'aide d'un bathyscaphe nommé Mir-1. Un second appareil a atteint la profondeur de 4 302 mètres vingt-sept minutes plus tard sous l'épaisse calotte glaciaire. Le drapeau, planté à la verticale, est en titane inoxydable, ce qui démontre la détermination des Russes à prouver leur main mise sur le pôle nord. Après la conquête de l'espace on se dirige vers une reconquête des pôles. L'expédition a été très largement applaudie par les scientifiques russes et le bon déroulement de l'opération a été suivi avec passion par les chaînes de télévision comme s'il s'agissait d'un fait marquant de l'histoire. La progression de l'académicien Fiodorov dans les profondeurs de l'océan arctique était commentée comme le furent celle du premier homme à voyager dans l'espace, Youri Gagarine, 12 avril 1961. On se croit d'ailleurs revenu à la période soviétique dans un contexte de guerre froide puisque les Etats-Unis avaient planté récemment un drapeau au pôle Sud. Avec ce nouvel épisode, la Russie semble répliquer. Les félicitations de Poutine Jamais auparavant un sous-marin ne s'était aventuré à de telles profondeurs sous la calotte glaciaire arctique. Au-delà des questions politiques, cet exploit scientifique éveille la curiosité et la fascination sur ce qui représente une véritable aventure humaine. L'explorateur russe de 67 ans, Tchilingarov, apporte sa touche au mystère des lieux parcourus par le bathyscaphe : "Il y a des graviers jaunâtres par ici. On ne voit aucune créature des profondeurs". Les sous-marins russes sont ensuite remontés à la surface à l'endroit même où ils avaient effectué leur plongée dans les abysses après huit heures passées sous les eaux douces de l'arctique. Tous les deux disposaient d'une réserve d'air de 72 heures mais le risque était de se retrouver pris au piège sous la glace sans pouvoir remonter. Le président russe Vladimir Poutine a aussitôt appelé les explorateurs une fois à la surface pour leur exprimer ses félicitations. Mais si la lutte d'influence se fait désormais dans des lieux déserts, elle n'en attise pas moins la convoitise. Car si officiellement la mission est scientifique, l'intérêt du fond arctique réside dans ses ressources et en particulier le gaz et le pétrole qui sont pour l'instant inexploités. Selon certaines estimations, l'arctique recélerait 136 milliards de tonnes d'hydrocarbures. De même on peut y trouver de l'étain, de l'or, du nickel, platine et diamant. "Le but de l'expédition n'est pas de formuler une revendication" La Russie pense que la dorsale continentale qui joint son territoire au pôle nord est la preuve qu'elle a un droit d'usage sur l'arctique. L'objectif de la mission pour les russes était donc de prouver scientifiquement que le continent sibérien se poursuit sous les mers de l'arctique jusqu'au pôle nord par la dorsale Lomonossov. Cela justifie pour eux le contrôle sur le sous sol de l'arctique. "Le but de l'expédition n'est pas de formuler une revendication russe mais de montrer que notre plateau continental atteint le pôle Nord", a déclaré le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov. Et l'entreprise ne s'arrête pas là puisqu'il s'agit pour la Russie de revendiquer à terme plus d'un million de km² du plateau océanique. Le pôle nord est pourtant soumis à une législation internationale qui en interdit l'exploitation et qui plus est l'appropriation. Seul les cinq pays qui bordent l'océan de glace (Russie, Groënland, Etats-Unis, Canada, Norvège) peuvent disposer du pôle sur 320 km au nord de leurs côtes. Nombreux sont les pays depuis les accords internationaux à revendiquer une partie des pôles. L'Antarctique est ainsi particulièrement convoité par le Chili qui considère la partie qui lui est allouée comme faisant partie intégrante de son territoire. Les eaux territoriales et "leurs propriétaires" En Arctique la bataille fait rage. Le Groenland estime que sa proximité du pôle justifie son droit de propriété. Les Etats-Unis utilisent le même argument que la Russie pour une autre dorsale qui joint l'Alaska au pôle nord mais ils ne prennent pas au sérieux cette conquête de territoire : "Dans tout les cas, ça n'a pas de fondement légal, ni d'effet sur leur revendication", a déclaré le porte-parole du département d'Etat américain. Enfin, le Canada estime que l'océan Arctique est sa propriété du fait qu'il est le pays historiquement tourné vers le septentrion. "Nous ne sommes pas au XVe siècle. Vous ne pouvez pas parcourir le monde, planter des drapeaux et dire : « Nous revendiquons ce territoire", a déclaré le ministre canadien des Affaires étrangères, Peter MacKay. Ces questions de propriété et de droit d'exploitation sous la calotte glaciaire arctique doivent se régler par le biais du droit international. Au fond l'entreprise russe est une nouvelle épine dans les actuelles limites des traités légiférant sur les pôles, les eaux territoriales et sur le plancher continental.