Après plus de deux semaines de mutisme, c'est à la veille du premier tour de l'élection présidentielle française que les talibans ont fait connaître, vendredi 20 avril, leurs revendications pour la libération des deux otages français, identifiés seulement comme "Eric" et "Céline", de l'organisation humanitaire Terre d'enfance. Dans une déclaration en anglais de la "Direction du conseil de l'Emirat islamique d'Afghanistan" mise en ligne sur le site internet alemarah.8rf.com, les talibans demandent au "gouvernement français de retirer ses soldats d'Afghanistan dans une semaine" et à "l'administration de Kaboul une réponse rapide à propos d'un échange de prisonniers". "Sans cela, poursuit le communiqué, la position de l'Emirat islamique au sujet des prisonniers étrangers est connue et sera bientôt appliquée", ce qui signifie qu'ils seront tués, comme le mollah Dadullah l'avait annoncé dans le cas d'un otage italien. Le communiqué ne mentionne pas les trois accompagnateurs afghans des deux Français. Paris a réagi avec prudence, se contentant de déclarer, par la voix du porte-parole du ministère des affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi : "Nous avons pris note des indications qui figurent sur le site des talibans. Nous sommes en train de les analyser." Jeudi, le président Jacques Chirac avait téléphoné une nouvelle fois au président afghan, Hamid Karzaï, qui a, d'autre part, reçu le secrétaire général du ministère des affaires étrangères, Philippe Faure. Selon un communiqué du Quai d'Orsay, celui-ci a "rappelé notre position et notre très ferme volonté d'obtenir la libération de nos deux compatriotes et de leurs accompagnateurs afghans, sains et saufs, et dans les délais les plus brefs". La pression de Paris sur Kaboul s'est aussi clairement accentuée à la veille de l'échéance électorale en France, plaçant le président Karzaï dans une position délicate. Après avoir affirmé haut et fort qu'il ne céderait plus aux talibans et qu'il n'y aurait plus d'échanges de prisonniers, (comme cela a été le cas pour la libération du journaliste italien Daniele Mastrogiacomo), celui-ci peut d'autant moins se dédire qu'il n'a pas cédé pour la libération de l'interprète afghan de M. Mastrogiacomo, Adjmal Naqshbandi, décapité par ses ravisseurs le 8 avril Les talibans avaient réclamé la libération de deux de leurs combattants prisonniers. L'opinion publique afghane, qui rend le gouvernement et le président Karzaï largement responsables, par leur inaction, de la mort d'Adjmal Naqshbandi, comprendrait mal qu'un échange ait encore lieu pour des étrangers. Dans une caricature publiée à Kaboul par le quotidien Cheragh (La lumière) on peut voir Adjmal Naqshbandi suppliant le président Karzaï de le libérer alors que celui-ci dit : "Mon fils, malheureusement, nous avons peu de prisonniers talibans et nous sommes obligés de les échanger pour les Français." Sur une position de fermeté, le président Karzaï peut sans doute se prévaloir du soutien de pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui avaient critiqué l'échange consenti dans le cas du journaliste italien. Interrogé jeudi sur le sort des otages français, le commandant en chef de l'OTAN en Afghanistan, le général Dan McNeill, a réitéré la position traditionnelle de Washington de "ne jamais négocier avec les terroristes". Comment toutefois le président Karzaï peut-il convaincre Paris qu'il ne peut pas accorder à la France ce qu'il a accordé à l'Italie ? Les deux pays ont des troupes en Afghanistan et participent aux opérations de l'OTAN. Le fait que le communiqué des talibans ne mentionne pas les trois accompagnateurs afghans pourrait aussi compliquer les négociations dans la mesure où Paris a laissé entendre que toute libération devait concerner les cinq employés de Terre d'enfance enlevés le 3 avril sur la route dans le district de Khash Rod (province de Nimroz) frontalier de la province d'Helmand. Le communiqué publié vendredi, qui semble confirmer que l'équipe est bien détenue par des responsables talibans et non par des individus plus ou moins mafieux, fait suite à une cassette vidéo diffusée il y a semaine sur laquelle les deux Français, seuls à parler, plaidaient pour leur vie. Chronologie 19 mars : le journaliste italien Daniele Mastrogiacomo, otage des talibans, est libéré en échange de l'élargissement de cadres de la milice islamiste emprisonnés à Kaboul. Le président Karzaï déclare qu'il ne cédera plus au chantage. 3 avril : Deux humanitaires français de l'ONG Terre d'enfance sont enlevés sur une route reliant les provinces occidentales de Nimroz et de Farah. Les talibans affirment qu'ils sont entre leurs mains. 13 avril : les talibans diffusent une vidéo montrant les deux otages, identifiés par leur seul prénom (Eric et Céline), qui implorent d'avoir la vie sauve. 16 avril : Un porte-parole du ministère afghan des affaires étrangères réitère le refus de Kaboul de négocier avec les preneurs d'otages afin de ne pas encourager "l'industrie" du kidnapping en Afghanistan. 20 avril : Les talibans lancent un ultimatum à la France, donnant une semaine à Paris pour retirer ses troupes d'Afghanistan. Ils exigent la libération de combattants détenus par le gouvernement afghan en échange de la vie des deux humanitaires français.