Il est né l'impérial enfant. Mercredi à 8 h 27, heure locale, la princesse Kiko a donné naissance à un garçon de 2,5 kilos à l'hôpital Aiku de Tokyo. L'annonce était anticipée depuis quelques jours par les médias, qui passaient en boucle des images autour de l'accouchement. Malgré l'absence de toute annonce officielle en ce sens, télévisions et journaux avaient déjà décidé que ce serait un garçon. «Ne circulez pas dans le centre de Tokyo», avaient recommandé les sociétés à leurs cadres, pressentant des embouteillages monstres autour du Palais impérial, au centre de la capitale. Mercredi midi, les élans populaires allaient de la presse du coeur, qui a longtemps tremblé pour la césarienne qu'a dû subir la maman (la première jamais réalisée sur un membre de la famille impériale), jusqu'à la presse économique, qui s'interroge sur les bienfaits qu'aura cette divine naissance sur la consommation. Lors de la naissance de la princesse Aiko, en 2001, dernier «heureux événement» de la famille, un économiste a évalué à 1 milliard de dollars l'effet de l'annonce de la nouvelle sur les dépenses des ménages. C'est peu dire que le nouveau prince était attendu. La nouvelle a donné des ailes au porte-parole du gouvernement, Shinzo Abe, fervent nationaliste et probable prochain premier ministre. «C'est une annonce aussi rafraîchissante qu'un ciel d'automne éclatant», s'est-il exclamé, faisant allusion aux pluies qui ont battu la capitale depuis le matin pour laisser place à un ciel radieux en fin de journée. «C'est formidable, les membres de la famille impériale, mais aussi tous les Japonais ont dû se sentir heureux», a déclaré, pour sa part, Junichiro Koizumi. En réalité, cette naissance vient à point nommé résoudre une vieille crise de succession. Aucun garçon n'était né dans la famille impériale japonaise depuis Akishino (le père du bébé), en 1965. Fille du prince héritier Naruhito et de la princesse Masako, Aiko était l'héritière la plus logique après son père, mais le code impérial interdit aux femmes de monter sur le trône. Pour dénouer la crise, Junichiro Koizumi souhaitait faire voter une loi donnant aux femmes le même droit de succession qu'aux hommes. Mais cette disposition était si controversée, au sein d'une classe politique quasi exclusivement masculine et phallocrate, qu'elle avait suscité une levée de boucliers parmi la classe politique nippone. Une frange de députés avait même suggéré de rétablir la pratique des concubines impériales afin de maintenir une lignée masculine. «Imaginez que la princesse Aiko devienne l'impératrice régnante et qu'elle s'amourache d'un étranger aux yeux bleus pendant ses études à l'étranger, puis qu'elle se marie : leur enfant pourrait être l'empereur !», avertissait à l'époque, horresco referens, Takeo Hiranuma, l'un des leaders de la majorité. La naissance d'un mâle a reporté sine die les projets de réforme du régime de la succession. Après Naruhito et Akishino, l'enfant est le troisième dans l'ordre de la succession. Au grand dam de nombre de femmes, qui espéraient secrètement voir Aiko accéder au trône. «Franchement, ça m'ennuie, j'aurais préféré qu'une d'entre nous ait sa chance», confie Kazue, une femme active d'une trentaine d'années. Cette naissance est susceptible de diviser les membres de la famille impériale. «Les deux frères s'entendent bien. S'il y a une rivalité, elle est plutôt entre épouses», révèle pudiquement un ancien fonctionnaire de l'Agence impériale. Masako, l'épouse de Naruhito, et Kiko, femme d'Akishino, sont très différentes. La première, roturière, était une brillante diplomate qui a dû se plier au «devoir» impérial lorsque le prince héritier Naruhito a jeté son dévolu sur elle. Elle a longtemps hésité avant d'accepter sa demande en mariage. Son union a donné naissance à une princesse, la petite Aiko. Mais Masako n'a visiblement pas supporté le poids de l'étiquette de la plus vieille lignée impériale du monde. Incapable de subir la pression populaire pour donner un fils au prince héritier, elle est entrée en dépression, jusqu'à abandonner toutes ses obligations publiques en décembre 2003. «Elle est venue dîner à l'ambassade un soir il y a des années, raconte un diplomate européen encore sous le charme. Je lui ai adressé la parole et, au moment de me répondre, j'ai vu disparaître cette femme, happée par son service d'ordre, qui lui intimait de rentrer au palais. C'était tragique.» Masako éprouve du mal à se rétablir complètement, limitant ses apparitions au strict minimum. Elle n'est pas la première victime des us et coutumes de la maison impériale. Peut-être Masako est-elle, au fond, très heureuse ce soir qu'un héritier soit né, car elle sentira moins de pression sur ses épaules. Masako a la sympathie des femmes de quarante ans, qui hésitent perpétuellement entre fonder une famille et poursuivre une carrière professionnelle, tant concilier les deux relève encore de la gageure au Japon. La mère du bébé, Kiko, est elle aussi une roturière. On lui prête une jeunesse sulfureuse. Celle-ci a été en partie effacée par son union modèle avec le prince Akishino. Kiko, au contraire de Masako, s'est parfaitement acclimatée à la vie impériale. Le couple qu'elle forme avec Akishino a eu deux filles avant cet héritier mâle. Longtemps éclipsée par Masako, elle est revenue sur le devant de la scène lorsque sa grossesse a été annoncée, en février. Devant les caméras, elle affiche un sourire de contentement et de bonheur, parfois au-delà des convenances. Loin de tout ce battage, la vie de l'enfant est déjà réglée. Dans sept jours, à l'issue d'une cérémonie, il recevra son nom. Dans cinquante jours, il se rendra dans trois temples shinto faisant partie du complexe impérial. Dans cent vingt jours, lorsque ses dents commenceront à pousser, une nouvelle cérémonie sera rendue pour lui donner la santé. Ainsi entre-t-il dans ce temps cyclique qui est celui du Japon.