Najat Vallaud Belkacem, Franco-marocaine, est porte parole du candidat socialiste François Hollande, et Salima Saa, Franco-algérienne, est porte parole adjointe du candidat UMP Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la campagne présidentielle. Pour Eric Keslassy, sociologue, enseignant à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille et spécialiste des questions de représentation politique de la diversité des origines, et auteur de Citations politiques expliquées (Eyrolles, 2012), la présence de ces deux personnalités politiques relèvent plus d'une politique «d'affichage» que de la volonté de rendre la classe politique plus représentative. Yabiladi : La présence de Najat Vallaud Belkacem et de Salima Saa est-elle significative d'un accroissement de la représentativité de la classe politique en ce qui concerne la diversité des origines de la société française ? Eric Keslassy : Cet affichage n'est pas nouveau. Pendant la campagne présidentielle de 2007, Rachida Dati était porte parole de Nicolas Sarkozy et Najat Vallaud Belkacem était déjà celle de la candidate socialiste, Ségolène Royale. Depuis, les choses n'ont pas vraiment évolué. La mise en avant de ces personnalités politiques n'a pas entrainé de conséquences concrètes sur la représentativité de la diversité. J'ai l'impression que la représentativité de la classe politique s'améliore un peu, mais cela va rarement plus loin que de l'affichage. Pourtant Rama Yade, Rachida Dati et Fadela Amara sont entrées au gouvernement pour des portefeuilles ministériels importants comme le ministère de la Justice, pour Rachida Dati. Ce n'est pas une avancée ? La concrétisation de la politique Nicolas Sarkozy a fait long feu. Rama Yade a quitté l'UMP, Fadéla Amara est devenue une inconnue, Rachida Dati est dans une situation explosive [Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement de Paris depuis 2008 est en conflit avec François Fillon, premier ministre, pour l'investiture aux législatives de 2012 dans la 2e circonscription de Paris, depuis 2010, ndlr]. Nicolas Sarkozy a mis en avant quelques personnalités, il fallait le faire, c'était nécessaire pour banaliser la chose, mais ce geste n'a pas eu d'effet d'entrainement sur la représentation politique. Ceci dit, il a au moins permis de mettre la gauche devant ses responsabilités, pour lui faire mesurer l'importance de cette question. Le PS ne pouvait pas laisser cette question à la droite alors qu'il se pose comme un part progressiste. Il faut rappeler que dans le gouvernement de Lionel Jospin [premier ministre socialiste de 1997 à 2001, sous la présidence de Jacques Chirac] il n'y avait aucune personnalité appartenant aux minorités visibles. L'UMP a poussé le PS à réagir, les deux partis ont-ils des façons différentes d'améliorer leur représentativité ? A l'UMP, la chose se caractérise plus par le fait du prince. Les personnalités issues de l'immigration qui émergent sont nommées à des postes de façon discrétionnaires. Nora Berra [Franco-algérienne et lyonnaise est élue députée UMP au Parlement européen en 2009, ndlr], par exemple, voulait être la candidate de l'UMP aux législatives pour la troisième circonscription de Lyon, mais le parti le lui a refusé, elle est finalement candidate dans la quatrième circonscription. Le Parti Socialiste a une logique plus collective par sa volonté, notamment, de mettre un terme au cumul des mandats. Le PS a aussi plus une logique de mandat, que de poste. Pour les prochaines législatives le parti a réservé 22 circonscriptions à des personnalités politiques issues de la diversité, dont une dizaine serait gagnable. Pourquoi les partis politiques sont-ils encore si frileux à l'idée de laisser monter et apparaître les personnalités politiques issues de l'immigration ? Les préjugés sont encore très forts au sein des élites politiques. En 2007, Patrick Ollier, président de l'Assemblée nationale, a tout de même affirmé que s'il n'y avait pas de noirs à l'Assemblée nationale c'est qu'il n'y en avait pas qui soient au niveau. Il existe encore de très puissants préjugés qui mettent en doute les compétences de ces personnalités politiques ainsi que leur appartenance nationale. Lorsque Malek Bouthi, [franco-algérien et membre du bureau du PS] était pressenti pour être président de la Halde, Gérard Longuet a affirmé : «si vous mettez quelqu'un de symbolique, extérieur, vous risquez de rater l'opération», alors qu'il a évidemment la nationalité française. Ces préjugés s'illustrent également dans la façon dont Rama Yade et Rachida Dati ont été traitées par l'UMP. Rama Yade a été radiée des listes électorales de Colombes parce qu'elle y avait une adresse d'emprunt et n'y résidait pas, comme si c'était la première à être dans cette situation. Rachida Dati, ancienne ministre de la Justice tout de même, aurait normalement dû être indéboulonnable dans sa circonscription. Il y a là un traitement différencié manifeste et un mépris réel à leur égard.