La pluie est revenue, ravivant l'espoir d'une relance de la filière oléicole. Mais après plusieurs années de sécheresse, le chemin reste semé d'incertitudes. En 2024, la production nationale d'olives était estimée à environ 945.600 tonnes, soit une diminution significative par rapport aux années précédentes. Cette baisse est principalement due à des conditions climatiques défavorables, notamment une sécheresse prolongée et des variations de température qui ont perturbé le cycle végétal des oliviers. Certaines régions, comme El Kelâa des Sraghna, ont enregistré une réduction de 50% de leur production, entraînant la fermeture de nombreuses huileries locales. Cette situation a également conduit à une flambée des prix de l'huile d'olive sur le marché intérieur, le litre dépassant les 100 dirhams, ce qui a fortement impacté le pouvoir d'achat des consommateurs. «Au Maroc, l'huile d'olive est un produit qui est quasiment de première nécessité. On ne peut pas ne pas en avoir chez soi. Sauf que la sécheresse a causé une explosion des prix, mais aussi une baisse de la disponibilité des produits chez les professionnels auprès desquels nous avions l'habitude d'acheter cette denrée», raconte un père de famille installé à Salé.
L'huile de chez nous
Pour pallier ce déficit, le Maroc a importé environ 30.000 tonnes d'huile d'olive afin de stabiliser le marché et contenir la hausse des prix. Ces importations proviennent principalement de pays européens producteurs. Si les professionnels et les consommateurs sont mitigés par rapport à l'efficacité réelle de cette mesure (voir interview), il n'en demeure pas moins que tous portent l'espoir que le retour des pluies permettra enfin de revoir l'huile d'olive marocaine couler à flot et à bon prix. «Bien sûr que nous espérons que l'impact des dernières pluies se ressentira au niveau de la production. Apparemment, les pluies ont arrosé une bonne partie des vergers d'olivier au bon moment et avec générosité. Vivement que nous puissions retrouver l'huile d'olive et les olives bien de chez nous en quantités suffisantes chez nos fournisseurs», poursuit notre interlocuteur, notant que «les produits d'importation ne pourront jamais remplacer les produits nationaux, ni prétendre à la même appréciation des consommateurs marocains».
Vers la reprise ?
La mobilisation des autorités marocaines au chevet de la filière oléicole s'est également matérialisée durant ces dernières années à travers l'accélération de la mise en place de l'arrêté fixant les dates de récolte des olives, en concertation avec les professionnels, avec pour objectif d'optimiser la qualité et la quantité de la production. Des mécanismes ont également été instaurés pour lutter contre le secteur informel et les pratiques spéculatives qui perturbent le marché des produits oléicoles. Avec les récentes précipitations, la chaîne de valeur de production des olives et de l'huile d'olive pourra-t-elle enfin se relever sans dopage étatique ? Un certain nombre de producteurs semblent déjà relativement confiants au vu des premiers indices encourageants. A Jbala, plusieurs exploitants rapportent une reprise de vigueur inespérée des oliviers. Dans cette zone à forte tradition oléicole, les sols ont été suffisamment réhydratés pour relancer le cycle végétatif, avec une floraison annoncée plus dense que l'an dernier.
Oléiculture résiliente
Même son de cloche dans certaines zones du Moyen Atlas et du Haouz, où les vergers bour, habituellement les plus exposés, montrent déjà des signes visibles de reprise. Reste que cet espoir n'empêche pas les professionnels d'être prudents dans leur attente : «On ne peut pas encore se prononcer sur la production oléicole de la saison en cours et encore moins dire qu'elle est sauvée. Nous avons pour l'instant un très bon démarrage avec le contexte et les circonstances actuelles, c'est indéniable. Si on n'avait pas eu ce bon démarrage, les producteurs auraient alors dû se résoudre à attendre l'année prochaine pour s'autoriser à espérer une bonne production», nous confie Rachid Benali, président de l'Interprofession marocaine de l'olive (Interprolive). Autant d'espoir que de prudence, dans un contexte où le changement climatique et ses effets nous ont appris à ne rien considérer comme gagné d'avance, tant que la résilience n'a pas été érigée en valeur cardinale de nos filières et marchés. Omar ASSIF 3 questions à Rachid Benali, président de l'Interprolive : «D'autres risques et aléas climatiques peuvent également se manifester durant les prochains mois» * En plus des récentes pluies, qu'est-ce qu'il faudrait pour que la campagne oléicole actuelle aboutisse à une bonne production ? Il faut d'abord noter que le cycle de l'olivier est très long. Il a démarré, mais la récolte ne se fera qu'au mois de novembre. On observe actuellement une remontée des températures dans plusieurs régions. Or, la première condition qui pourrait favoriser une bonne production pour cette année serait justement que les températures n'augmentent pas beaucoup, surtout durant la période actuelle qui est considérée comme difficile dans la culture de l'olivier (floraison, nouaison...) et durant laquelle l'arbre est très sensible à la chaleur. On a déjà vu que les augmentations de la température durant le mois d'avril par exemple sont catastrophiques pour l'olivier. La deuxième condition déterminante est bien évidemment la disponibilité de l'eau que ce soit pour les cultures irriguées ou pour les cultures bour (pluies supplémentaires). D'autres risques et aléas climatiques comme les vents de Chergui ou les chutes de grêle peuvent également se manifester durant les prochains mois. Espérons que ce ne sera pas le cas.
* Avec ce bon démarrage, et avec les conditions que vous avez évoquées en termes de température, de disponibilité de l'eau, est-ce qu'on peut s'attendre à une baisse des prix ? J'ai pu constater dans la grande et la moyenne distribution des prix de vente de l'huile d'olive entre 100 et 120 dirhams le litre. Ce sont les prix après les intermédiaires, les spéculateurs et les industriels (qui ont importé ou produit localement). Or, ces prix n'ont rien à voir avec la réalité puisque les prix ont baissé. Aujourd'hui, avec la quantité qui reste chez les industriels au niveau des unités, il est question de 60 dirhams le litre. Maintenant, l'espoir est que des conditions favorables pour la saison en cours puissent permettre le retour à un prix «normal» de 35 à 40 dirhams le litre (dans les huileries).
* Quelle est votre perspective par rapport aux importations qui ont été réalisées pour stabiliser les prix de l'huile d'olive ? Pour le consommateur, l'importation avait pour objectif justement de tempérer les flambées des prix. Mais cela n'a pas forcément été un succès, puisque certains importateurs ont acheté à des prix dérisoires (4,2 à 4,5 euros, principalement en provenance de Tunisie) sans répercuter cela sur leur prix de vente. On a bien vu des baisses des prix dans notre marché, mais ces baisses sont restées limitées, concernant surtout les gammes les moins chères. Pour les agriculteurs, c'est encore pire puisque l'impact de l'import a été mal vécu, surtout pour ceux qui n'avaient pas vendu leurs stocks avant l'opération en question : pour la saison en cours, le coût de revient était de 92 à 93 dirhams, or, aujourd'hui, les huileries offrent autour de 60 dirhams le litre aux agriculteurs. Vous imaginez leur double perte face à cette concurrence imbattable et face aux aléas climatiques... Sècheresse : Une crise oléicole partagée par toute l'aire méditerranéenne L'oléiculture est en souffrance sur l'ensemble du pourtour méditerranéen. En Espagne, la production a été divisée par deux en deux ans, passant de 1,48 million de tonnes en 2021/2022 à seulement 660.000 en 2022/2023. La Grèce et l'Italie ont également connu des reculs marqués, respectivement de 42% et 27%, selon les données du Conseil oléicole international. Partout, la sécheresse, combinée à des vagues de chaleur anormales, a bouleversé les cycles de production. Résultat : le prix du litre d'huile d'olive vierge extra s'est envolé, atteignant 9,36 € en Espagne en janvier 2024, contre moins de 3 € cinq ans plus tôt. Ces hausses spectaculaires, inédites à cette échelle, montrent que la crise dépasse les frontières marocaines. Elles annoncent un avenir incertain pour toute la filière oléicole méditerranéenne, désormais confrontée à un défi commun : réinventer ses pratiques face à la raréfaction de l'eau, à l'irrégularité des saisons et à la pression croissante sur les marchés et les équilibres locaux. Santé : «60 Millions de consommateurs» alerte sur certaines huiles Alors que l'huile d'olive locale se fait rare et chère, de nombreux consommateurs se tournent vers des produits importés, souvent présentés comme plus accessibles. Mais cette alternative est-elle vraiment sans risque ? Une enquête récente du magazine français «60 Millions de consommateurs» alerte sur la qualité de plusieurs huiles d'olive vendues en grande surface. Sur 24 références analysées, 23 contenaient des plastifiants, des substances chimiques issues des matériaux d'emballage, connues pour être des perturbateurs endocriniens potentiels. Parmi les marques épinglées, certaines sont pourtant labellisées «bio», comme Naturalia, La Vie Claire, Cauvin ou encore Terra Delyssa. Leurs huiles affichaient des taux significatifs de DINP et de DEHP, des composants soupçonnés d'effets néfastes sur la santé humaine. À l'inverse, une seule marque, Primadonna (commercialisée par Lidl), s'est distinguée en ne présentant aucune trace de ces résidus. Pour le Maroc, qui a importé plusieurs dizaines de milliers de tonnes d'huile d'olive en 2024 afin de contenir la flambée des prix, cette alerte relance le débat sur la traçabilité et la qualité des produits étrangers. À défaut de pouvoir acheter l'huile nationale, les consommateurs se retrouvent face à des huiles importées peu contrôlées. Ce contexte met en lumière l'importance de mieux réguler les importations, de renforcer les analyses sanitaires et de soutenir les filières locales pour garantir à la fois disponibilité, sécurité et confiance dans ce produit emblématique.