Ils avaient imaginé la démocratie pour le Maroc, ils ont gagné l'élection du PJD. En 2011, rien ne s'est passé comme prévu et si le premier anniversaire du Mouvement du 20 février sonne comme une échec pour ses membres, son irruption dans le paysage politique marocain n'a pas été sans conséquences. - «Nous avons tracé un trait dans l'Histoire du Maroc» Rachid Hababa, membre de la coordination casablancaise du Mouvement du 20 février et membre du PSU (Parti Socialiste Unifié) - «Jusqu'à présent aucun de nos objectifs n'a été atteint, le makhzen s'est joué de nos revendications» Hakim Sikouk, membre du Mouvement et professeur de philosophie à Safi. Ces deux réflexions concluent un an de manifestations hebdomadaires au Maroc. La grande victoire du Mouvement du 20 février a d'abord été de parvenir à exister, malgré les répressions ponctuelles. «Lors de la toute première manifestation du dimanche 20 février 2011, certaines personnes qui sont parties manifester ont fait leurs adieux à leurs familles», se souvient Rachid Hababa. Plus précisément, pour Abdullah Abaakil, entrepreneur et membre de la coordination casablancaise du Mouvement du 20 février, «la nouveauté est d'avoir pu coupler les revendications sociales avec des revendications politiques : de politiser des revendications sociales.» «Le mouvement à entamé la peur du peuple marocain et depuis le 20 février n'importe quel citoyen peut parler et contester le pouvoir que ce soit individuellement ou en groupe», estime également Hakim Sikouk. Toutefois, Rachid Hababa ne partage pas son constat : «l'emprisonnement de Rachid Nini et d'autres montrent que les journalistes sont encore loin de pouvoir s'exprimer totalement librement.» Du moins, explique Khadija Mohsen Finan, politologue, maître de conférences à l'université de Paris VIII, «les manifestants, pour la première fois ont nommé l'entourage du roi.» Nouvelle liberté Les membres du Mouvement sont également fiers d'avoir secoué la scène politique. «Nous avons rendu son esprit au politique. Auparavant aucun jeune ne pensait à s'engager en politique», souligne Rachid Hababa. «Le mouvement a créé un nouveau mode de revendication, un nouveau rapport de la société civile au pouvoir. Le mouvement a politisé cette société civile», souligne avec satisfaction Khadija Mohsen Finan. Entre les militants, des liens se sont tissés au cours de cette année par le biais notamment des réseaux sociaux et de sites web comme Mamfakinch.com. «Avant les gens qui voulaient un changement démocratique au Maroc se sentaient seuls. Aujourd'hui, l'une des victoires est de les avoir mis en réseau», souligne Abdullah Abaakil. Le palais royal contraint de répondre En «montrant les limites de la culture de consensus», selon les mots de Khadija Mohsen Finan, en manifestant dans un contexte régional révolutionnaire, le Mouvement du 20 février est parvenu à obliger le palais royal, pour la première fois, à réagir par le discours du 9 mars. «Nous avons vécu cet instant là, cet instant où une bande de gamins à imposé au roi une réforme constitutionnelle», souligne Karim El Hajjaji, président de l'association Capdéma (Cap Démocratie Maroc). «La Nouvelle constitution accorde, notamment, une avancée démocratique considérable par le fait que désormais le premier ministre doit être issu du parti qui obtient la majorité des sièges aux législatives», souligne Khadija Mohsen Finan. Dans les rangs du Mouvement du 20 février, le discours est plus mitigé voire radicalement opposé à cet optimisme. « Le Maroc ne vit pas selon les règles de sa constitution mais dans les marges que celle-ci offre, estime Abdullah Abaakil, or le texte précédent avait l'avantage de ne pas être clair. La nouvelle constitution a multiplié les articles et le système dans lequel nous vivons depuis 10 ans a été couché sur le papier.» Amère victoire du PJD La victoire politique du M20 sur laquelle tout le monde s'accorde : le gouvernement PJD gagné par les urnes le 25 novembre. «Oui, l'élection du PJD est à mettre au crédit du Mouvement estime Abdullah Abaakil. Il a permis, ce n'est peut être pas une bonne chose, que survive une certaine vitrine du multipartisme.» Moins amer, Rachid Hababa rappelle que «jusqu'au mouvement du 20 février, tout le monde assistait à la montée en puissance du PAM et on s'attendait à le voir gouverner.» Khadija Mohsen Finan voit même dans l'arrivée du PJD au gouvernement une réussite objective du Mouvement, même si ce n'était pas directement sa volonté, car «il demandait un renouvellement des élites or le PJD a été empêché d'arriver au pouvoir pendant des années par le biais d'intimidation et d'autocensure notamment.» Si les islamistes marocains sont aujourd'hui au gouvernement ce n'est pas simplement parce qu'ils représentent la dernière alternative politique crédible, mais également parce que, selon Khadija Mohsen Finan, «même si le PJD ne s'est jamais positionné en faveur du mouvement, son programme politique était celui qui était le plus proche des revendications du Mouvement parmi les partis qui n'appelaient pas au boycott des élections, sans pour autant que ce soit pour lui une prise de position opportuniste.» Le M20 borné Si seul le PJD apparait aujourd'hui comme le grand gagnant de cette année politique c'est qu' «à aucun moment le Mouvement n'a fait d'autocritique, il n'a pas cherché à mesurer ses forces réelles quand, au lendemain du discours du 9 mars, il avait réussi à faire répondre le palais», estime Karim El Hajjaji. Il a gardé la même stratégie de mobilisation de la rue même si après les vacances d'été le nombre de manifestants s'est beaucoup réduit. «Nous n'avons pas su garder les 180 000 manifestants réunis en un week-end dans tous le Maroc au plus fort de la mobilisation. Aujourd'hui nous parvenons péniblement à en réunir 30 000», reconnait Rachid Hababa. Pendant toute cette année, le Mouvement a fait deux erreurs selon les analystes interrogés. En amont, le M20 s'est coupé des revendications sociales qui étaient le moteur de la mobilisation. «Le discours idéologique de gauche n'est pas porteur, ce sont des revendications sociales aussi simples que les factures d'eau et d'électricité qui portent la mobilisation, estime Karim El Hajjaji. Le message qui passait était politique alors que les causes de la mobilisation étaient sociales.» En aval, le discours politique du M20 ne débouche sur aucun projet politique cohérent unique. «Le Mouvement du 20 n'est pas allé plus loin, il est resté dans le refus, mais ce n'était pas un refus intelligent, estime Karim El Hajjaji. Le mouvement n'a pas fait de la politique, il n'a pas cherché à savoir ce qu'il pouvait négocier avec le régime.» «Négocier, mais négocier quoi ?», se défend Abdullah Abaakil. Pour ce militant, la négociation n'avait pas de sens parce que ce que réclamait le Mouvement c'était des a priori démocratiques à toutes discussions politiques. Impossible aussi de devenir un véritable mouvement politique car «le M20 est un mouvement contestataire, il ne peut pas faire des propositions en même temps : il s'agit de deux positions distinctes», estime-t-il. Restait donc l'espoir pour le Mouvement de voir ses revendications lancées ici et là dans les manifestations «repris pour en faire des données programmatiques par les partis politiques. Nous avons constaté que ces relais n'existaient pas», indique Abdullah Abaakil. «Les partis ne représentent plus rien, ils sont totalement coupées de la base», laisse tomber Karim El Hajjaji. Alors que le Mouvement fête son 20° anniversaire sous de mauvais auspices le malaise social se poursuit. Les tentatives de suicides par immolation à Rabat de diplômés chômeurs, les explosions de violences lors de manifestations à Taza, le 4 janvier et le 1er février, et Béni Mellal, le 12 février, en témoignent. Ces revendications sociales pourraient-elles prendre, à nouveau, un tour politique, ou, comme le croit Abdullah Abaakil, le pouvoir prévoit-il d'utiliser ces poussées de violences pour mettre un terme à l'une des victoires du mouvement : le droit de manifester.