Le CCIF fait état d'une hausse des actes antimusulmans durant l'année 2019. Il recense trois pics d'augmentation en corrélation avec des actualités ou déclarations politiques et médiatiques impliquant des musulmans. L'islamophobie en France a gagné du terrain en 2019. L'année a en effet été marquée par une hausse de 17% des actes islamophobes par rapport à 2018, et de 77% par rapport à 2017. C'est le premier constat que dresse le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) dans son rapport annuel publié mardi 25 février. En 2019, le CCIF a enregistré 789 signalements de faits islamophobes, contre 676 en 2018 et 446 en 2017. Parmi les principaux constats qui ressortent, les actes islamophobes touchent majoritairement les femmes (70%) et plus de la moitié de ces actes sont des discriminations, à hauteur de 59%. Le même pourcentage s'applique à la part des discriminations qui proviennent du service public, faisant des administrations les principaux foyers de discrimination antimusulmane. «Certains agents du service public confondent le principe de neutralité, qui s'impose à eux et non aux usagers. Le principe de laïcité est également mal compris et mal appliqué», réagit Jawad Bachare, directeur exécutif du CCIF, contacté par Yabiladi. «Une femme voilée qui sollicite un service public est une usagère du service public ; elle n'en est pas un agent», corrige-t-il. Hystérisation des débats politiques Jawad Bachare estime à trois le nombre de pics d'augmentation des actes islamophobes recensés en 2019, «qui correspondent à des périodes médiatiques et des déclarations politiques contre les musulmans», précise-t-il. Le premier pic correspond à la polémique suscitée par la commercialisation, fin février par le groupe français Decathlon, d'un «hijab de running» au Maroc et son arrivée en France – qui n'y sera finalement pas vendu, Decathlon ayant fait marche arrière sous la pression des réactions politiques et anonymes. «A partir de là, on a commencé à enregistrer une augmentation des actes islamophobes», indique Jawad Bachare. Une polémique suivie le 15 mars par les attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, perpétrés par un suprémaciste blanc contre deux mosquées de la ville, «suite auxquels des appels à la haine ont été diffusés sur les réseaux sociaux contre les musulmans», souligne le directeur exécutif du CCIF. Mais le pic d'augmentation des actes antimusulmans le plus important a été recensé après l'attaque à la préfecture de police de Paris, le 3 octobre dernier, dont la piste terroriste a récemment été confirmée. Dans la foulée de cette attaque, les propos d'Emmanuel Macron, qui appelait à bâtir «une société de vigilance» pour venir à bout de «l'hydre islamiste», interprétés par certains comme un appel à la délation, n'auront fait que jeter de l'huile sur le feu. Durant la période qui a suivi les déclarations du chef de l'Etat, Jawad Bachare dit avoir reçu «beaucoup de signalements de salariés convoqués par leurs employeurs en raison de leur pratique religieuse». Sensibiliser les employeurs à la législation sur les discriminations «Le secteur privé est aussi source de discriminations islamophobes», rappelle le directeur exécutif du CCIF. Une référence à sept grandes entreprises françaises (Air France, Accor, Renault, Altran, Arkéma, Rexel et Sopra Steria) soupçonnées par le gouvernement de «discrimination à l'embauche» envers des candidatures à consonance maghrébine. Toutes, à l'exception de Arkéma, Rexel et Sopra Steria, sont pourtant signataires de la Charte de la diversité, par laquelle elles s'engagent à agir pour la diversité et à lutter contre les discriminations. «On discrimine sans s'en rendre compte. On pense par exemple qu'une femme qui porte le hijab ne peut pas travailler en entreprise, ce qui est faux. Tout ceci est lié à l'hystérisation de la scène politique et médiatique : en l'absence d'un projet commun pour la nation française, on stigmatise une communauté pour faire oublier les véritables difficultés», estime Jawad Bachare. Un constat dont avait également fait part le sociologue Eric Fassin auprès de notre rédaction, en octobre dernier, en pleine polémique sur les accompagnatrices scolaires voilées : «On se rend bien compte que les débats sur le voile occultent toutes les autres problématiques.» Jawad Bachare déplore enfin la représentativité médiatique des musulmans, estimant que les différentes composantes de la communauté musulmane ne sont pas représentées. Dans ses recommandations, répertoriées par secteur (police-justice, médias, emploi, éducation, administrations), le CCIF appelle à «favoriser l'intervention d'experts, issus de la société civile et d'institutions indépendantes reconnues, à l'occasion de sujets touchant à l'islamophobie». Dans le milieu professionnel, il préconise d'«initier des sessions de formations professionnelles et de coaching sur la législation anti-discrimination en collaboration avec les acteurs de la société civile en y intégrant le volet discrimination religieuse».