Le président de la Cour des comptes, Driss Jettou, a présenté mardi l'exposé annuel sur les activités des juridictions financières, en plénière devant les deux chambres du Parlement. Parmi les axes les plus importants, la déclaration du patrimoine, une obligation constitutionnelle pour les élus et les responsables publics. En plénière, mardi, devant les députés des deux Chambres parlementaires, le président de la Cour des comptes Driss Jettou a présenté le rapport annuel relatif aux juridictions financières. Il en ressort qu'au total, 9 387 déclarations ont été réceptionnées dans l'année 2018. Depuis 2010, date d'entrée en vigueur d'une nouvelle législation en la matière, plus de 232 339 déclarations de patrimoine ont été faites. Par ailleurs, l'exposé indique que les Cours régionales des comptes ont transmis au Chef du gouvernement les listes de personnes tenues de déclarer leurs biens parmi les élus, mais qui n'ont pas régularisé leur situation malgré les notifications par le biais de mise en demeure. Evolution de la législation après les engagements internationaux du Maroc En 2010, le dispositif juridique régissant la déclaration obligatoire de patrimoine (DOP) est en effet entré en vigueur, après publication au bulletin officiel en novembre 2008. La Cour des comptes rappelle que ce mécanisme a eu comme objectif de «moraliser la vie publique» et «consacrer les principes de responsabilité, de transparence et de protection des deniers publics». Ces démarches ont d'ailleurs été une suite à la ratification par le Maroc, en 2007, de la Convention des Nations unies contre la corruption, après adoption en 2003. Dans son article 20 relatif à la lutte contre l'enrichissement illicite, le texte onusien énonce que «chaque Etat partie envisage d'adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale, lorsque l'acte a été commis intentionnellement, à l'enrichissement illicite, c'est-à-dire une augmentation substantielle du patrimoine d'un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes». Pour garantir ainsi une efficacité au contrôle des DOP comme première démarche, la Cour des comptes s'est vue confiée le dépôt, le suivi et le contrôle des déclarations obligatoires de patrimoine. D'ailleurs, ce rôle constitutionnalisé en 2011, dans les articles 147 et 158 de la Constitution marocaine. Le premier énonce que «la cour des Comptes contrôle et assure le suivi des déclarations du patrimoine». Quant au second, il indique que «toute personne, élue ou désignée, assumant une charge publique doit faire, conformément aux modalités fixées par la loi, une déclaration écrite des biens et actifs détenus par elle, directement ou indirectement, dès la prise de fonctions, en cours d'activité et à la cessation de celle-ci». Déclaration généralisée du patrimoine : «Une fuite en avant» de Mohamed Benabdelkader Ainsi, les personnes tenues de répondre aux dispositions de la DOP sont celles «exerçant des fonctions gouvernementales et assimilés, à savoir le Chef du gouvernement, les ministres, les ministres délégués et les secrétaires d'Etat le cas échéant, les personnalités assimilées aux membres du gouvernement pour leur situation administrative et les chefs de cabinet des membres du gouvernement», explique la Cour des comptes. A ceux-là s'ajoutent les «membres du Conseil constitutionnel, représentants et conseillers du Parlement, magistrats des tribunaux du royaume, magistrats des juridictions financières, membres du Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, certains élus des conseils locaux et des chambres professionnelles, certains fonctionnaires ou agents publics». La lutte contre l'impunité, un nouveau défi Il a fallu attendre plus de dix ans pour que la déclaration obligatoire du patrimoine donne lieu à des démarches pour la pénalisation de l'enrichissement illicite, débattue dans le Parlement marocain. Toujours est-il qu'en cas de non-déclaration du patrimoine, les assujettis peuvent être sous le coup de diverses procédure administratives ou pénales, selon leurs catégories. Ainsi, les fonctionnaires ou agents publics risquent la révocation de leur fonction ou la résiliation de leur contrat. Ils peuvent également faire l'objet de poursuites, conformément à l'article 262 bis du Code pénal, qui prévoit une amende de 3 000 à 15 000 dirhams, en l'absence de «préjudice de dispositions pénales plus graves». Conformément à celui-ci, «si des faits constitutifs d'infractions aux lois répressives sont relevés», l'autorité judiciaire compétente se saisit du dossier. Quant aux élus locaux, ils peuvent être soumis à une décision de suspension provisoire ou à une révocation par décret motivé du Chef du gouvernement. Comme les fonctionnaires et agents publics, ils sont tout autant soumis aux termes de l'article 262 bis du Code pénal. Code pénal : L'emprisonnement écarté des sanctions prévues pour l'enrichissement illicite ? En 2015, la «criminalisation de l'enrichissement illicite des fonctionnaires et des magistrats» a été incluse à la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC). Mais en ce mois de janvier, les parlementaires ont débattu du projet de loi 16.10 modifiant et complétant les dispositions du Code pénal dans ce sens, afin d'exonérer les assujettis de peines de prison. Ce coup de force des députés risque de mettre à mal les mécanismes de lutte contre cet enrichissement, s'inquiète l'avocat Mohamed El Ghelloussi. Egalement président de l'Association marocaine de protection des biens publics (AMBP), précédemment contacté par Yabiladi, celui-ci estime en effet que «la position gouvernementale sur la non-inclusion des peines de prison dans cette loi est un défaut d'engagement de l'exécutif lui-même, par rapport à la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC), de même que la Convention de l'ONU de lutte contre la corruption». Selon lui, «à chaque fois qu'un dossier ou une avancée est en cours dans ce sens, la partie la plus lésée par l'obligation de transparence crie aux règlements de comptes».