Cela fait plus de trois semaines que les groupes parlementaires ont déposé leurs propositions d'amendements sur le projet de loi portant modification du Code pénal après plusieurs ajournements et un blocage depuis 4 ans du texte au sein de la Chambre basse. Bien que les groupes de la majorité aient présenté des amendements en commun, ils ne parlent pas de la même voix sur certaines questions et à leur tête la disposition de lutte contre l'enrichissement illicite. Visiblement, il s'agit d'un nouveau champ de bataille entre les composantes de la coalition gouvernementale comme en témoignent les passes d'armes à ce sujet. Le ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme et des relations avec le Parlement saisit chaque occasion pour souligner la nécessité de faire passer les dispositions de la mouture initiale du texte. Mustaha Ramid qui est l'initiateur du projet lorsqu'il était à la tête du département de la Justice au gouvernement de Benkirane a récemment publié sur sa page facebook tout un argumentaire pour défendre son point de vue. Sauf que les sorties de ce responsable gouvernemental ne sont pas appréciées au sein de la coalition gouvernementale. Selon une source au sein de la majorité gouvernementale, Ramid est appelé à prendre de la distance vis-à-vis de ce dossier «d'autant plus que le projet a été déposé au Parlement à la veille des élections et ne porte que sur 83 articles du Code pénal». Plusieurs questions sont en suspens, selon notre source : Comment s'est fait le choix de ces articles ? Ne faut-il pas reprendre ce texte de fond en comble pour revoir les priorités en matière de révision du Code pénal ? Faut-il garder les mêmes articles ? Faut-il absolument passer le projet sans des discussions de fond pour rapprocher les points de vue en se basant sur le contexte actuel marqué par le débat sur les libertés individuelles ? Dispositions vagues En tout cas, il apparaît clairement que le blocage risque de durer longtemps. Si le texte est repris par le ministère de la Justice, il risque de ne pas voir le jour au cours de ce mandat gouvernemental. La majorité pourrait, par ailleurs, trouver un terrain d'entente sur les points qui font l'objet de divergences pour pouvoir adopter le projet au cours de cette législature. Les groupes parlementaires parviendront-ils à accorder leurs violons sur l'incrimination de l'enrichissement illicite ? Rien n'est moins sûr. Les dispositions de la mouture initiale du texte en la matière sont jugées par les alliés du PJD trop vagues et elles ne permettront pas ainsi de lutter contre ce crime. On met en garde contre la chasse aux sorcières et on souligne la nécessité de respecter le principe de la présomption d'innocence. «Ce n'est pas à l'accusé de prouver son innocence, c'est au parquet de prouver l'accusation de l'enrichissement illicite», souligne aux Inspirations ECO le président du groupe socialiste à la Chambre des représentants, Choukrane Amam. Ce député de l'USFP estime qu'il est nécessaire de tenir une réunion de la commission pour discuter tous les points en suspens. Reproches Rappelons que les groupes de la majorité se sont mis d'accord pour ajouter une disposition importante : l'instance compétente en matière d'appréciation de l'enrichissement illicite doit être la Cour des comptes qui reçoit les déclarations du patrimoine. C'est cet organisme qui devra être chargé de prononcer le verdict sur les abus en fin de mandat. Une disposition qui ne fait pas l'unanimité. Certaines voix appellent à engager des investigations et des poursuites avant la fin du mandat du fonctionnaire accusé de dilapidation des deniers publics ou d'abus. Par ailleurs, il est reproché au texte et aux propositions d'amendements qu'aucune peine privative de liberté n'est prévue en cas d'enrichissement illicite. À cet égard, la société civile plaide pour l'impératif d'introduire des peines d'emprisonnement outre les amendes et la confiscation des biens. Pour certains parlementaires, le problème ne se pose pas car les dispositions d'autres textes pourraient s'appliquer aux cas prouvés d'enrichissement illicite, comme celles relatives au faux et usage de faux ou encore à l'évasion fiscale...Mustapha Ramid, rappelons-le, a expliqué l'absence des peines privatives de libertés en cas d'enrichissement illicite par la nécessité d'éviter des règlements de compte notamment à la veille des périodes électorales. Le projet de loi prévoit une amende allant de 100.000 à un million de dirhams en cas d'enrichissement illicite ainsi que la confiscation des biens. Les investigations ne portent que sur les biens de ceux qui sont assujettis à la déclaration de patrimoine et de leurs enfants mineurs. Les conjoints et les enfants adultes ne sont pas concernés. Une première au Maroc ! La disposition de lutte contre l'enrichissement illicite qui figure dans le projet portant modification du Code pénal permettra de combler les lacunes juridiques en la matière. Jusque-là, aucune loi ne permet d'incriminer l'enrichissement illicite pour les fonctionnaires, les élus, les ministres, les hauts responsables... Les magistrats constituent l'unique exception à cette règle. Il s'agit ainsi d'une disposition de la plus haute importance qui donnera du sens à la déclaration du patrimoine. Les peines ne sont prononcées actuellement qu'en cas de non déclaration du patrimoine ou de fausse déclaration. Précisons que même la loi sur la déclaration du patrimoine sera révisée, comme l'a récemment indiqué le chef du gouvernement devant les parlementaires.