L'objectif est ambitieux : Ouarzazate veut devenir le leader africain du cinéma, avant l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Kenya et la Tunisie. Un rêve, mais aussi une nécessité pour la province où l'industrie du cinéma traverse actuellement une période difficile. La dernière grande production remonte à 2008 - Prince of Persia - et le tourisme, autre grande source de revenus, n'a pas été à la hauteur des attentes en 2011. La ville mise toujours sur une combinaison des deux pour sortir de sa torpeur. Avec 40 tournages par an et la construction du plus grand studio d'Afrique d'ici 2016, la Ouarzazate Film Commission (OFC), créée en 2008, voit grand. L'OFC veut faire de Ouarzazate la première destination de producteurs et réalisateurs internationaux à échelle régionale et continentale. «Mille et un plateaux tous au même endroit», une «lumière naturelle exceptionnelle» pour accueillir les cinéastes dans cette «perle du sud marocain, avec ses oasis, Casbahs centenaires, désert magique, plaines parfaites et vallées florissantes», mentionne la plaquette de l'OFC. Pour ajouter des avantages plus matériels : «économiser 30-50% de coûts de production» par rapport à l'Europe et aux Etats-Unis tout en gardant des «standards internationaux de production cinématographique et audiovisuelle» avec deux studios cinématographiques professionnels et de très bons hôtels haut de gamme. Plusieurs centaines de millions de dirhams Depuis des décennies, de nombreux réalisateurs étrangers ont fait le choix du Maroc pour leurs tournages. A partir des années 1980, le cinéma est devenu une véritable industrie. Les Studios de l'Atlas (Atlas Corporation Studios) à l'entrée de Ouarzazate, conçus pour les besoins du film «Le Diamant du Nil» de Lewis Teague avec Michael Douglas, ont professionnalisé le secteur. Ils ont introduit les plateaux artificiels et ont été les premiers à mettre en place une infrastructure de tournage permanente, pouvant accueillir de grandes productions de metteurs en scène comme Ridley Scott, Alain Chabat ou encore Martin Scorsese. Dans les années 1990, les studios Aster se sont installés, à leur tour, à Ouarzazate. La société italienne venait tourner une série de films sur la bible. La société étant partie, ces studios installés en face de la Casbah de Taourirt (qui figure sur les billets de 50 dirhams) sont aujourd'hui devenus un musée cinématographique. Pour améliorer davantage l'infrastructure du cinéma, les Studios CLA ont été créés en 2004 (un partenariat entre Dino de Laurentiis, Cinecittà et Sanam Holding), dirigés par Amine Tazi qui est également directeur d'Atlas Corporation Studios. Dès lors, le secteur a incontestablement pris de l'importance dans la région à prédominance agricole. Selon Said Andam, film commissioner à la OFC, «pendant ces trois dernières années, la valeur moyenne générée par les longs métrages uniquement est de 280 millions de dirhams par an». Difficile de dire combien de personnes vivent directement et indirectement de cette manne. Si le besoin de figurants peut être important, il ne dépasse plus les 500 personnes par tournage, et comme l'explique l'un des plus célèbres figurants de Ouarzazate, la figuration reste un «dépannage» (lien vers le portrait de Ben Laden). Moins encore que les autres métiers du cinéma, les artisans, techniciens de plateau, mais aussi les métiers de l'hôtellerie et de la restauration, ils ne peuvent compter sur les tournages de films pour un revenu stable ; il n'y en a pas assez et les besoins varient d'un tournage à l'autre. Les deux studios en place à Ouarzazate n'emploient qu'une quarantaine de personnes de manière permanente. Secteur en crise Ces raisons poussent Youssef, développeur informatique et habitant de Ouarzazate, à affirmer : «le cinéma à Ouarzazate, ça ne me fait ni chaud ni froid». Selon lui, le secteur ne profite qu'à des cercles restreints. «Les responsables font travailler leurs connaissances, les membres de leurs familles. Ils organisent des formations entre eux, par exemple pour être cascadeur», ajoute-t-il. Il y a de l'amertume dans ses propos, mais un autre aspect prévaut : depuis quelques années, le cinéma à Ouarzazate est en crise. Ce constat, tout le monde le partage à Ouarzazate. Le tournage de la dernière grande production remonte à 2008 (Prince of Persia); en 2011, au total 15 tournages, dont 9 long-métrages ont été effectués, ce qui reste peu, même s'il y a une légère augmentation par rapport à 2010. En cause, en partie, le printemps arabe. Ridley Scott devait venir tourner une partie du film «Prometheus» à Ouarzazate, mais les prix d'assurance se sont envolés en 2011. Les compagnies ne voulaient plus assurer de tournages au Maroc. Said Andam est conscient des enjeux auxquels le secteur fait face. Pour lui, les objectifs chiffrés énoncés par l'OFC pour devenir le leader africain de tournage relèvent de la pure nécessité, pour sortir de la crise et dépasser les principaux concurrents du Maroc que sont la Jordanie, la Tunisie et l'Afrique du Sud. Les priorités : professionnaliser davantage le secteur, les services offerts au producteurs. Première étape : les figurants. «Nous sommes en train de mettre en place un base de données de figurants, qui sera accessible sur notre site et grâce à laquelle les réalisateurs pourront choisir les visages qu'il leur faut de leurs bureaux avant même de venir». Plus besoin de passer par de longs et fastidieux castings sur place. L'infrastructure aussi est un handicap pour la région. La route de Marrakech en passant par le col du Tizi N-Tichka est difficile à parcourir, la seule destination régulière internationale de l'aéroport est Paris, et les vols intérieurs sont très chers, et il manque également des infrastructures médicales de standards internationaux. Côté ressources humaines, la région bouge. Deux instituts de formation supérieure enseignent les métiers du cinéma et l'OFC propose également des formations pour répondre à des besoins spécifiques. La stratégie commence à porter des fruits : si, dans les années 80, les équipes de tournage étaient composées de 80% d'étrangers et de 20% de Marocains, cette proportion s'est aujourd'hui inversée, explique Amine Tazi, directeur général des Studios de l'Atlas et des Studios CLA.
Pour la postproduction, le constat est moins positif. Au Maroc, seules quelques entreprises de Marrakech, Casablanca et Rabat possèdent, explique Said Andam. Un secteur à investir dans l'avenir ? Lier tourisme et cinéma Le plus grand espoir économique de Ouarzazate réside ailleurs. «Nous n'avons pas beaucoup d'agriculture ici, nous n'avons qu'un peu de tourisme et un peu de cinéma. Alors il faut combiner les deux pour avoir plus de touristes», explique Andam. L'idée a été discutée aux dernières Rencontres MovieMed, en janvier 2011, à Ouarzazate. Elles regroupaient des acteurs du cinéma de 6 pays du pourtour méditerranéen. Utiliser la renommée des films tournés dans la région pour développer un type de tourisme très spécifique. «Nous avons lancé un fond spécial pour encourager les acteurs du tourisme à faire des projets touristiques en lien avec le cinéma à Ouarzazate», rapporte Andam. Un fond public qui attend aujourd'hui des projets éligibles. Qui sait, bientôt les touristes pourront peut-être venir rejouer Kingdom of Heaven et les croisades chrétiennes du XIIe siècle ? Ou enfiler le costume d'Astérix pour construire le palais de Cléopâtre ? Mis à jour le 30 janvier 2012