Au coeur de la polémique sur l'article 9 du PLF, qui rend optionnelle l'application des décisions de justice en défaveur des administrations publiques, une note de 1998 refait surface. A l'époque Premier ministre, Abderrahmane El Youssoufi y est ferme sur le respect de ces décisions. Une position qui contraste avec le plaidoyer actuel de l'USFP. Alors que le corps de la justice se mobilise en appelant les députés de la Chambre des conseillers à renvoyer l'article 9 du PLF 2020 en deuxième lecture, le groupe parlementaire de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) ne se démarque pas de ses compères qui le défendent fervemment. Lors d'une séance consacrée à l'examen du texte, mercredi, un élu du parti a même déclaré y être favorable «par conviction». Il s'agit d'Abdelwahab Belfkih, qui dit défendre cette version de l'article à partir de son «expérience» et de «souffrances». «Imaginez que dans la ville de Guelmim, l'Etat ne possède même pas un mètre des terres. Dites-moi comment pourrait-on construire une école sans recourir à l'expropriation ?», a-t-il plaidé au sein des autres députés. A différents degrés, nombre de ces derniers sont majoritairement restés du même avis, à l'exception du PJD et d'Abdelhak Hissane, conseiller aux couleurs de la Confédération démocratique du travail (CDT). Celui-ci a invoqué l'impératif de mettre en œuvre le principe constitutionnel de la reddition des comptes au niveau des postes de décision. Alors que le texte est en débat en deuxième Chambre, ces derniers jours ont été marqués par des sit-in d'avocats de différents barreaux à travers le Maroc. Ainsi, les Ordres des avocats à Tanger ou à Rabat, entre autres villes, ont manifesté à l'intérieur des tribunaux de première instance de leurs villes, alertant sur ce texte qui «porte un coup à la valeur des verdicts rendus par les juges». De l'indépendance de la justice à l'impunité De plus en plus houleux entre les ONG, la magistrature et les avocats d'une part, et la majeure partie des députés d'autre part, le débat suscité par les termes de l'article 9 du PLF 2020 a fait remonter à la surface une note d'Abderrahmane El Youssoufi, datée d'août 1992. Premier ministre du gouvernement de l'alternance depuis à peine cinq mois, El Youssoufi a en effet adressé une note aux différents secteurs ministériels pour la généraliser auprès des administrations publiques et des collectivités territoriales. Il y appelle fermement les responsables publics à se tenir aux jugements définitifs des tribunaux et à les appliquer, sous peine d'être sous le coup de sanctions supplémentaires pour non-conformité à une décision de justice. «Le Premier ministre répond quotidiennement à un grand nombre de correspondances, dont les auteurs font part de doléances au sujet de certains ministères, départements, délégations, collectivités locales et agences indépendante, qui refusent d'appliquer des décisions de justice», lit-on en ouverture de cette note. Dans le temps, l'USFP et le gouvernement marocain à travers El Youssoufi ont considéré l'application des décisions de justice par les différents départements de l'Etat comme «une reconnaissance de l'autorité de la magistrature, une garantie de la paix sociale et des intérêts des citoyens», dans une logique de «respect des droits humains». «Pour toutes ces raisons, je vous appelle à donner expressément vos instructions aux services concernés, sur l'impératif d'exécuter les ordres, les verdicts et les décisions de justice contraignantes à l'égard des administrations et de institutions publiques, tout en veillant à ce que ces consignes soient respectées», écrit l'ancien Premier ministre. 21 ans plus tard, ce sont les nouveaux députés de l'USFP qui défendent l'inverse, Abdelwahab Belfkih invoquant même «la protection des fonds de l'Etat et des collectivités territoriales d'éventuelles saisies». Ne pas confondre dédommagement de l'Etat avec saisie des biens de l'Etat Or, les détracteurs de l'article 9 du PLF 2020 précisent bien que les décisions de justice ne «vident» pas les caisses des administrations publiques ou permettent aléatoirement de «saisir» des biens qui reviennent légitimement à l'Etat, mais rétablissent les équilibres en cas de violation de l'un des droits des plaignants, si un abus est avéré. «L'argent bloqué en cas de litige est géré par la Trésorerie générale, donc il reste dans le circuit étatique jusqu'à exécution d'une décision, et l'administration concernée ne le gère pas tant qu'elle est sous le coup d'une sanction, ce qui est le cour normal de toute procédure, qu'elle concerne des particuliers ou des administrations», nous explique Omar Benajiba, avocat au barreau de Tanger qui a participé à un sit-in, mercredi. Il y a une semaine, le Club des magistrats du Maroc s'est également prononcé contre ce texte, tout en alertant sur l'impunité qu'il risque d'instaurer. Son président, Abdellatif Chentouf, a expliqué à Yabiladi que «la Constitution énonce que citoyens et institutions doivent avoir le même traitement devant les tribunaux, or l'article 9 du PLF porte atteinte à cet équilibre, dans la mesure où en vertu de ses termes, les institutions et les représentants étatiques appliqueront les décisions finales des juges à leur bon vouloir». Ce juge s'inquiète surtout du risque «de ne plus permettre à des citoyens d'obtenir justice, si des tribunaux exigent d'une administration d'augmenter par exemple ses indemnités ou ses estimations, en fonction des prix de référence, ou même d'abandonner la procédure» d'expropriation de biens. C'est là où le recours à l'expropriation pour intérêt public est entaché par des abus, selon Me Benajiba, qui nous explique que «des projets hôteliers, immobiliers de haut standing et des espace de golf sont mis en place au nom de ce principe, alors que l'intérêt public est ailleurs : une école, un centre de santé, une route. Mais ce n'est pas toujours pour ces raisons que les administrations recourent à l'expropriation», dénonce l'avocat.