Le bureau de l'Association des ordres des avocats au Maroc a appelé à un sit-in, mercredi, devant le Parlement à Rabat pour protester contre l'article 9 du projet de Loi des finances 2020. L'instance n'est pas la seule à contester ce texte actuellement en examen, des juges alertent également sur cette primauté donnée aux administrations publiques face à la justice. Un texte qui porte atteinte au principe d'égalité de traitement devant la justice. C'est ce que des magistrats et des avocats voient en l'article 9 du PLF 2020, qui donne aux institutions publiques la possibilité d'appliquer ou non les décisions finales rendues par les tribunaux à leurs encontre. Ainsi, ils s'organisent pour pousser le Parlement à abandonner cette clause, adoptée à la majorité par la Chambre des représentants. En effet, ils espèrent que le vote des conseillers permettra de revoir ses termes. Dimanche, l'Association des ordres des avocats du Maroc a appelé à un sit-in devant le Parlement, comme première démarche pour mobilisation des différents acteurs concernés. Le Club des magistrats du Maroc s'est également prononcé contre ce texte, tout en alertant sur l'impunité qu'il risque d'instaurer. Son président, Abdellatif Chentouf, explique à Yabiladi que «la Constitution énonce que citoyens et institutions doivent avoir le même traitement devant les tribunaux, or l'article 9 du PLF porte atteinte à cet équilibre, dans la mesure où en vertu de ses termes, les institutions et les représentants étatiques appliqueront les décisions finales des juges à leur bon vouloir». «Cet article vide les décisions de justice de tout leur sens et consacre la primauté des administrations sur les intérêts des citoyens. C'est pourquoi, nous continuons à appeler le Parlement à revoir sa position et nous espérons que le vote des conseillers permettra de renvoyer le texte pour un nouvel examen.» Abdellatif Chentouf «Ce point de vue est porté par nombre de spécialistes de droit administratif marocain, en dehors du Club des magistrats, en plus de l'Association des ordres des avocats et d'organisations de la société civile», affirme encore Abdellatif Chentouf. Nombre d'acteurs de la société civile pointent du doigt les expropriations des terres, qui peuvent rester impunies malgré une procédure judiciaire aboutie, en cas d'approbation par les conseillers. «On risque de ne plus permettre à des citoyens d'obtenir justice, si des tribunaux exigent d'une administration d'augmenter par exemple ses estimations d'indemnité ou même d'abandonner la procédure», s'inquiète le président du Club des magistrats. Mobiliser la société civile sur les dangers du texte Les juges et les avocats appellant à la révision de ce texte souhaitent une mobilisation qui dépasse leurs rangs. Dans ce sens, l'avocat Omar Benajiba explique à Yabiladi avoir créé un groupe sur Facebook, «afin de sensibiliser les citoyens sur les dangers de l'article 9 du PLF et d'autres textes de la mouture actuellement en examen». Pour lui, l'article 9 institue même «des usages de 'blad siba'», période historique où «l'administration centrale prenait les terres, exerçait différentes formes d'abus de pouvoir, sans que les personnes lésées ne puissent faire valoir leurs droits». «C'est un texte qui permet justement aux représentants de l'Etat de choisir ou non d'appliquer des décisions de justice contraignantes», souligne Me Benajiba, en se posant des questions sur «le poids d'une justice indépendante lorsque la loi donne le droit de se mettre au-dessus des tribunaux». Exerçant au barreau de Tanger, l'avocat fait allusion en effet à des dossiers dont il s'est d'ailleurs saisis : «Alors que ce texte a été approuvé une première fois, Tétouan connaît une grande opération d'expropriation, avec l'accaparement d'une première tranche de 1 600 hectares du domaine urbain et de 2 200 autres pour une seconde, au bénéfice de projets hôteliers, de golfs et immobiliers de haut-standing, sous couvert d'utilité publique. Alors que la Direction générale des impôts fixe les prix de ces terrains de la ville entre 2 000 et 10 000 DH le mètre carré, des habitants ont été indemnisés sur la base de 12 DH/m² à 70 DH/m². Si ce texte est approuvé par les conseillers, la justice ne pourra pas grand chose pour les expropriés.» Par ailleurs, ce déséquilibre de traitement face à la justice pourrait atteindre d'autres aspects, en dehors de l'expropriation. «Ce texte permet également aux autorités de ne pas se conformer aux décisions de justice concernant par exemple le refus de réception de dossiers de constitution d'associations, ou d'annuler des mesures prises au niveau local et considérées par la justice comme arbitraires», prévient Omar Benajiba. Abondant dans le même sens, Abdellatif Chentouf conclut que «l'article 9 du PLF 2020 remet en question l'accès des citoyens à la justice dans tous les cas où ils s'estiment lésés par une mesure, quelque soit sa nature, prise par des administrations publiques».